Le «minable» répond au maire Labeaume

Lettre d'un antimilitariste au maire Labeaume

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Afghanistan - une guerre masquée

Francis Dupuis-Déri et le maire Régis Labeaume, samedi. (Le Soleil, Clément Allard)

Claude Vaillancourt - L’homme que le maire de Québec, Régis Labeaume, a qualifié de «minable», samedi, lors d’une cérémonie destinée à rendre hommage aux soldats de Valcartier morts en Afghanistan, n’est pas un inconnu pour les militants de la cause pacifiste.

Professeur de sciences politiques à l’UQAM et, pendant un temps, chercheur au célèbre Massachussets Institute of Technology de Boston, Francis Dupuis-Déri s’est fait connaître à Québec peu de temps avant le départ des militaires de Valcartier pour l’Afghanistan, quand il a publié une lettre bouleversante à sa sœur, Catherine, qui s’apprêtait elle-même à partir pour le front. Depuis, «elle est revenue en un seul morceau», précise le professeur au Soleil.
À Montréal, son nom est déjà fait. Antimilitariste avoué, il était parmi les manifestants qui ont eu maille à partir avec les policiers lors d’une manifestation contre le G8, au centre-ville de Montréal, en avril 2002. Il représente aujourd’hui les plaignants dans un recours collectif autorisé contre la Ville de Montréal et le procureur général du Québec.
Âgé de 42 ans, Francis Dupuis-Déri est aussi cofondateur des Zapartistes, un groupe d’humoristes engagés, et collabore en outre au journal satirique Le Couac. Ex-membre de la coalition Guerre à la guerre, il est partie prenante de l’Institut de recherches et d’études féministes.
Verbomoteur, l’homme ne pratique pas la langue de bois. Il a l’habitude d’appeler un chat un chat et une guerre une guerre.
«J’ai moi-même une sœur dans l’armée», écrit le politologue dans une lettre au maire Labeaume reproduite intégralement en page 25. «Elle a passé 10 mois en Afghanistan. Pendant cette période, mes parents et moi avons consulté Internet tous les jours à plusieurs reprises pour savoir si elle était saine et sauve. Et vous me faites la leçon?»
Là par hasard


Lors de la cérémonie, samedi, le maire Labeaume était allé au-devant du manifestant qui scandait son opposition à la guerre devant l’hôtel de ville. «J’étais là par hasard», raconte le politicologue au Soleil. «Quand j’ai constaté la présence de militaires sur le parvis de l’hôtel de ville, j’ai été attiré et j’en ai profité pour manifester mon opposition au rôle du Canada dans cette guerre. Je n’avais aucune pancarte.»
Invité à expliquer son objection à une telle manifestation, le maire avait alors mentionné que cela l’avait dérangé «car ce gars a été totalement irrespectueux».
«Des gens en deuil allaient faire leur entrée à l’hôtel de ville et il allait dire ses idées politiques», avait continué M. Labeaume, ajoutant que l’homme «doit être bien à l’aise chez lui car il n’ira jamais à la guerre».
Qualifiant ensuite le manifestant de «minable», M. Labeaume avait conclu : «Ce ne sont pas ses idées qui sont minables, mais le gars lui-même. On est tous contre la guerre. Je ne connais personne qui soit pour la guerre, mais il y a des lieux pour l’exprimer. Ici, ce n’était pas la place pour ça.»
Pour Francis Dupuis-Déri, le discours est autre : «Ce que je trouve minable, moi, c’est l’attitude des politiciens comme vous (qui n’irez jamais à la guerre) qui moussent leur capital de sympathie à même le sang des victimes, nos concitoyens ou des étrangers... Il n’y a pas de quoi célébrer.»
M. Dupuis-Déri promet d’être encore devant l’hôtel de ville, le 3 juillet, date du 400e anniversaire de la ville de Québec. Comme c’est l’habitude, le 22e Royal Régiment exercera alors son droit de cité.
«Des groupes ont annoncé qu’ils allaient manifester leur opposition à la guerre. J’y serai», promet le manifestant évincé.
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Lettre d'un antimilitariste au maire Labeaume

Nous nous sommes croisés devant l'Hôtel de Ville de Québec, samedi dernier. Vous receviez, sur le trottoir, des officiers supérieurs de l'armée canadienne, avant une cérémonie en hommage aux soldats morts en Afghanistan. J'ai crié quelques slogans anti-guerre : «Sortons l'armée canadienne d'Afghanistan! Arrêtons le massacre!». Vous m'avez dit de me taire et de respecter les morts et leur famille. Lisant Le Soleil le lendemain, j'ai découvert que vous m'aviez traité de «minable», ironisant sur le fait que je n'irai «certainement jamais à la guerre!». Vous ajoutiez que votre cérémonie n'était «pas la place» pour exprimer mes idées politiques. Permettez-moi quelques précisions.
Pour ce que j'en sais, les familles de soldats morts n'étaient pas encore arrivées quand j'ai lancé mes slogans. Je vous l'ai dit : j'ai moi-même une soeur dans l'armée. Elle a passé dix mois en Afghanistan. Pendant cette période, mes parents et moi avons consulté Internet tous les jours à plusieurs reprises, pour savoir si elle était saine et sauve. Et vous me faites la leçon?
Ce que je trouve minable, moi, c'est l'attitude des politiciens comme vous — qui n'irez jamais à la guerre non plus! — qui moussent leur capital de sympathie politique à même le sang des victimes, nos concitoyens ou des étrangers. Il ne faut pas oublier que la guerre a provoqué plus de 30 000 morts là-bas, dont beaucoup de civils, sans compter les blessées et les prisonniers torturés. Combien d'Afghans et d'Afghanes «nos» soldats ont-ils tué? Il n'y a pas de quoi célébrer.
Si les militaires ne veulent pas être apostrophés dans la rue par de «minables» pacifistes, sachez que des cérémonies privées seraient beaucoup plus appropriées. Quand les politiciens participent à des spectacles militaires dans l'espace public, que ce soit des funérailles, des festivals aériens ou navals, des parades dans les rues et des remises des clefs d'une ville à un régiment qui aurait «droit de cité», ils font la promotion de l'armée, du militarisme et de la guerre. Qu'ils ne s'étonnent pas, ensuite, s'il y a des soldats qui perdent leur vie — pour le bénéfice de qui? — dans des guerres injustes. Et qu'ils ne s'étonnent pas de croiser des antimilitaristes en colère. On se revoit le 3 juillet?
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Francis Dupuis-Déri
Professeur de science politique (Montréal) et auteur du livre L'Éthique du vampire : De la guerre d'Afghanistan et quelques horreurs du temps présent (Lux, 2007).

Source: http://www.cyberpresse.ca/article/20080617/CPSOLEIL/80616140/5019/CPSOLEIL


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