Le mariage gay

Chronique d'André Savard


Le mariage gay a été traité comme une abomination par les Eglises chrétiennes. Les presbytériens, les catholiques, les baptistes et les évangélistes s'accordent là-dessus. Les prédicateurs remettent la question sur le tapis. Les délégués du parti Conservateur pressent le Fédéral de refléter les préoccupations du Canada bien-pensant.
Le gouvernement avait besoin d'utiliser un angle nouveau pour rouvrir le dossier. Il fallait un thème qui fasse bien entendre la volonté de prémunir les citoyens contre un préjudice appréhendé. En principe pourtant, le mariage gay n'a pas quoi causer de tort à personne. Il permet à des conjoints du même sexe de se jurer fidélité pour la vie.
L'enjeu entourant la question du mariage gay n'est pas celui de la liberté religieuse. Comme tout autre mariage civil, le mariage gay n'a pas de valeur sacrementelle. Les Eglises ne sont pas tenues de le reconnaître. La foi des conjoints n'est pas une condition préalable au mariage civil.
Le mariage civil est reconnu devant l'Etat et strictement devant l'Etat. Il n'a pas en soi la prétention de s'élever jusqu'à Dieu. L'Etat laisse à chacun comme citoyen le soin de déterminer la signification sacrée de leur geste d'union en fonction de leurs convictions intimes.
Le mariage civil avant même la légalisation du mariage gay n'avait pas pour fonction de défendre une définition traditionnelle du mariage. Des mariées devant l'Etat peuvent pratiquer l'échangisme pendant leurs loisirs. Bien des cas sont possibles. Une mariée qui est enregistrée devant l'Etat comme étant une femme est peut-être un hermaphrodite. Des gens dotés de chromosomes sexuels variables naissent avec une ambiguité sexuelle qui ne laisse pas présumer d'avance la nature de leur identité.
Les déterminants des rôles sexuels sont nombreux. Pour les croyants de la plupart des confessions, seul l'amour entre un homme et une femme est voulu par Dieu. Les pratiquants restent totalement libres de s'en tenir à cette version des faits. Le but du mariage civil quant à lui n'est pas de répondre aux aspirations de croyants particuliers. Il s'adresse aux citoyens et les homosexuels sont des citoyens.
Comme citoyens, les homosexuels ont tout à fait le droit de s'aimer et de se consacrer l'un à l'autre. Il y a en fait deux points qui sont en cause dans le mariage gay : le droit des homosexuels au bonheur conjugal et l'égalité de droits des conjoints du même sexe. Le mariage légal des homosexuels n'empiète aucunement sur le monde religieux, ses règles liturgiques, ses droits canoniques, ses cultes, le respect de ses lieux de prière, la hiérarchie de ses prêtres. L'Etat ne se réserve le droit d'intervention auprès des divers cultes qu'en cas de sévices, sacrifices d'animaux, privation du droit à l'éducation chez les enfants des croyants. Alors en quoi le mariage gay risque-t-il d'altérer les conditions de la liberté religieuse?
L'Etat ne s'octroie en légitimant le mariage gay aucun pouvoir sacré, aucun droit de regard sur ce que les Eglises jugent bon ou mauvais. Certains me répondront que l'Etat s'attaque à la sagesse traditionnelle. Le pouvoir civil n'a pas à décréter que des définitions sont bonnes parce que traditionnelles. Ce n'est pas parce qu'un précepte est né à la faveur d'une tradition qu'il est transhistorique.
Les prêtres peuvent de leur côté croire à la transcendance de certaines définitions traditionnelles. L'Etat ne se prononce pas là-dessus. Alors pourquoi Harper tient tant à remettre le débat au feuilleton?
L'Etat doit se borner à la distinction entre les amours nuisibles et les amours licites. Il existe pour cela le critère du libre consentement et celui de santé publique. Un amour incestueux est néfaste pour le développement de l'enfant. La zoophilie est un abus de force et il soumet l'animal à des risques de sévices. On observe en plus des symptômes de déstructuration de la personnalité très prononcée dans ce genre d'union. Ceux qui s'opposent au mariage gay le rangent dans la catégorie de toutes ces unions qui se méritent la colère de Dieu.
Il y a un abîme entre les conséquences découlant de la levée des interdits touchant l'inceste, la zoophilie, la pédophilie et celui touchant l'union des conjoints du même sexe. La condition homosexuelle en général n'engendre pas des dysfonctionnements profonds de la subjectivité et de l'équilibre mental. C'est quand on la réprime qu'elle devient pour les individus qui sont porteurs cause de déséquilibre profond.
Je ne suis pas homosexuel mais il m'est arrivé d'être mis dans la confidence au fil des amitiés. Ces gens vivent des états amoureux aussi déterminants que le sont nos amours hétérosexuels. Plusieurs homosexuels forment des modèles de couples. Si ce n'était pas de cette croyance que Dieu tient leurs rapports charnels pour une abomination, ils pourraient servir d'exemple de loyauté et d'engagement à bien des punaises de sacristie.
Du point de vue religieux en général, ce n'est pas seulement le droit des homosexuels à sceller leur union qui est en cause. On demande aux homosexuels d'enterrer leur amour et de le ravaler comme contraire à toute expérience spirituelle valable. Les moralistes religieux leur disent que c'est du vice, un parti pris arbitraire en faveur du Mal.
Pourtant l'homosexuel se sent habité par un amour très vivant, le seul qui corresponde vraiment à la structure de son être, à ses impulsions et à la vérité de son désir. Les moralistes lui disent alors que tout ce poids existentiel qui est le sien est illusoire. Les émotions de l'homosexuel sont un conditionnement à éviter à tout prix car démoniaques. Le psychisme de l'homosexuel est le siège d'une dévotion au Mal, ajoutent-ils. L'homosexuel est donc tenu de s'aliéner par rapport à son identité. Son amour le plus candide et le plus authentique doit être mis sur le compte des aberrations honnies par Dieu.
Comme citoyens, nous n'avons pas à nous associer à une telle brimade. Nous n'avons pas à imposer à des concitoyens un fardeau que nous jugerions insupportables pour nous-mêmes. Moi, si on voulait m'empêcher d'aimer la femme que j'aime de tout mon cœur au nom d'une moralité transcendante je serais révolté. Mon état amoureux d'hétérosexuel me plonge-t-il dans une existence si différente de celle d'un homosexuel quand son cœur est épris?
Le sentiment amoureux est déstabilisant. On s'en veut de perdre notre belle croyance en notre maturité et notre indépendance émotive. Fréquemment ce sentiment ne nous semble pas naturel, à l'opposé de nos bonnes conditions de vie, contre notre confort intellectuel. À cet égard, nous hétérosexuels et homosexuels traversons des phases semblables.
Dans l'optique traditionnelle, l'un vit une expérience naturelle tandis que l'autre se livre à l'infamie. Comme Dieu est dans cette optique la cause ultime et que sa parole connue est la dernière, le sacrement du mariage continuera d'être refusé aux homosexuels. Les lois promulguées par l'Etat ne prétendent pas non plus être le révélateur de fondement naturel ou divin. Si tel était le cas, il faudrait refondre constamment le corpus légal en fonction des dernières trouvailles en éthologie. Les Bonobos s'adonnent au sexe récréatif. Le droit de cuissage est réservé aux individus dominants dans plusieurs meutes animales. La prostitution est observable au sein de plusieurs tribus de primates. La masturbation est une pratique courante chez plusieurs mammifères.
Les religieux allèguent une loi naturelle. Ils sont pourtant les premiers à admettre que l'idée même d'une distinction entre le Bien et le Mal relève d'un écart par rapport à l'état de nature. L'acceptation de l'autre n'est pas en soi naturelle non plus.
Dans notre petite enfance, livré à nos réflexes immédiats, chacun se souvient combien les enfants qui paraissaient anormaux dans la classe étaient discriminés. Il faut habituellement dépasser le cap de l'adolescence pour secouer la gangue de la normalité, voir que ce qui passe pour un pas de travers peut être la démarche qui convient. Il faut du temps pour se rendre compte que le poison de l'un est le salut de l'autre.
En outre, nos amours se révèlent entachés de névroses personnelles, des sources troubles qui nous obligent au travail sur soi. Dans ce contexte global, bien fou serait celui qui jugerait a priori celui qui est le plus sain, le plus équilibré entre un couple hétérosexuel et un couple homosexuel.
Le monde est plein de souffrances. Je ne pense pas que ce soit le rôle de la collectivité d'en rajouter en affligeant des couples souvent constitués d'individus admirables d'un statut moindre. Il est de la responsabilité du gouvernement de ne pas tourner ce sujet au tragique. Le Fédéral n'a pas à prendre Dieu comme référence, à moins de vouloir animer une théocratie. Que les croyants continuent de prétendre parler au nom de Dieu, le mariage gay n'y change rien. Leur liberté religieuse ne signifie pas que les lois civiles doivent être régentées par leurs prétentions.
Le bon religieux canadien, lecteur du National Post, passera outre à mes arguments. J'ai sans doute été trop exposé à la déliquescence des mœurs québécoises et au laxisme moral si typiquement latin...
André Savard


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