Le Manifeste des femmes québécoises

Crise d'Octobre '70 - 40e anniversaire


Dans la foulée du 40e anniversaire de la Crise d'octobre, on oubliera sûrement des événements contemporains qui concernent l'histoire des Québécoises de cette époque, car il y avait des femmes au sein de l'extrême gauche québécoise. En décembre 1971, les éditions L'Étincelle ont publié en effet le Manifeste des femmes québécoises, opuscule de 58 pages, imprimé sur papier brouillon. «Ce manifeste circule à Montréal depuis quelques mois, sous forme polycopiée à faible tirage. Nous croyons qu'il mérite une plus grande diffusion», explique l'éditeur. L'ouvrage et la préface sont signés «Un groupe de femmes de Montréal».
Le titre même était un écho au célèbre manifeste du FLQ, lu sur les ondes de Radio-Canada en octobre 1970. Le texte se référait explicitement au silence de ce manifeste sur la situation des femmes, sur l'absence des femmes dans les cellules felquistes, outre pour faire la cuisine, sur la forte impression que «la libération des femmes soit sous-entendue dans la libération nationale».
Eh bien non, affirment les auteures: «La libération des femmes n'est pas nécessairement le corollaire d'une révolution sociale. Les révolutions socialistes antérieures sont là pour le prouver. [...] Donc, huit mois après le manifeste du Front de libération du Québec, voici le manifeste des femmes.»
Révolution dans la révolution
Suivaient quelques portraits de femmes, une brève analyse de la «condition des femmes», suivie de propos plus spécifiques sur l'exploitation économique, l'exploitation sociale et politique, l'exploitation culturelle, et l'exploitation sexuelle. Le texte se terminait par la nécessité d'organiser une révolution dans la révolution: la révolution des femmes.
À notre connaissance, ce document est le seul qui ait été produit par ce collectif anonyme, membres d'un groupe mixte de l'extrême gauche. En relisant Une sorcière comme les autres, de Louise Lanctôt, paru en 1981, on comprend aisément que la place des femmes dans l'extrême gauche était étroitement circonscrite. «J'ai mis du temps, écrit-elle, à comprendre le refus des autres à ma participation aux discussions et aux critiques de l'action, à l'analyse politique.»
L'action des jurés
Or, deux ans auparavant, en décembre 1969, se constituait le Front de libération des femmes du Québec, un groupe autonome de femmes, qui n'a existé que deux ans, mais dont les actions ont contribué à modifier considérablement le féminisme, grâce à l'influence des militantes qui l'avaient constitué et s'étaient retrouvées, par la suite, dans les multiples groupes apparus à partir de 1972.
Une de ses actions les plus spectaculaires s'est d'ailleurs déroulée en 1971, en marge du procès de Lise Balcer (lui-même lié au procès de Paul Rose), lorsque sept militantes ont mené l'«action des jurés», pour contester la loi qui empêchait les femmes d'être jurées. L'une d'elles, Marjolaine Péloquin, a consacré un ouvrage en 2007 — En prison pour la cause des femmes: la conquête du banc des jurés (éditions du Remue-Ménage) — à cet événement mémorable que tout le monde avait oublié, même le Collectif Clio dans son Histoire des femmes au Québec.
De nombreux écrits ont assimilé les deux groupes, celui du Front de libération des femmes (1969) et celui du Manifeste des femmes québécoises (1971). Pourtant, ce sont deux mouvements distincts qu'il ne faut surtout pas confondre, dans la jungle des mouvements contestataires qui ont bourgeonné dans le Québec des années 1970. On regrette ou on se félicite, c'est selon, que cette époque troublée soit terminée. On oublie, semble-t-il, que le seul mouvement révolutionnaire qui ait vraiment produit une petite révolution est le mouvement des femmes, celui qui est issu des groupes autonomes de femmes.
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Micheline Dumont - Historienne


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