Le lauréat

JJC associé au Mouvement Desjardins... pas bon, pas bon du tout, du tout! Les tizamis se congratulent et offrent ainsi un simulacre de légitimité et d'honnêteté.


Depuis deux ans, le premier ministre Charest a été continuellement accusé de bafouer les règles d'éthique publique les plus élémentaires, sans se soucier des dommages causés à nos institutions.
Malgré des révélations plus embarrassantes les unes que les autres, il a résisté jusqu'à la dernière extrémité aux pressions de la société québécoise tout entière, qui réclamait une enquête publique sur la corruption dans l'industrie de la construction et ses liens avec le financement des partis politiques, en particulier le sien. Encore maintenant, il faut lui arracher morceau par morceau les pouvoirs dont la commission Charbonneau aura besoin.
Pourtant, hier soir, lors d'un grand gala à la salle Windsor, M. Charest s'est vu remettre le prestigieux prix Woodrow Wilson pour le «service public», en même temps que la présidente du Mouvement Desjardins, Monique Leroux, honorée dans la catégorie «présence sociale de l'entreprise».
Comme pour mieux souligner la contribution de M. Charest à l'édification de l'État québécois, le PDG d'Hydro-Québec, Thierry Vandal, et celui de la Caisse de dépôt, Michael Sabia, qui lui doivent tous les deux leur poste, coprésidaient la soirée.
Sur le site du Woodrow Wilson Center, on peut lire que c'est «avec enthousiasme» que son conseil d'administration a proposé le nom de M. Charest. On explique que ces prix sont décernés à des personnes «qui ont maintenu un engagement sincère à l'égard d'opinions éclairées et d'idées bien mûries».
Heureusement que le choix avait été fait avant le congrès libéral de la fin de semaine dernière, au cours duquel les positions pour le moins changeantes de M Charest n'ont semblé ni très éclairées ni très mûries.
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Le choix du lauréat devait répondre à un autre critère: «Plutôt que de sacrifier leurs politiques et leurs idées à l'opportunisme politique ou professionnel, ces dirigeants ont à coeur d'étudier le contexte historique et de mesurer les répercussions à long terme d'importantes questions de politique publique.»
Bien entendu, il ne viendrait à personne l'idée que M. Charest puisse sacrifier ses idéaux à des intérêts partisans. Dans son esprit, il n'était sûrement pas incompatible de vouloir faire du Québec «un paradis pour les familles» et de laisser son ministre distribuer les nouvelles places en garderie aux contributeurs à la caisse libérale.
Quand il a planifié la «réingénierie» de l'État, comment aurait-il pu prévoir qu'en décapitant le ministère des Transports, il allait ouvrir toute grande la porte à la collusion? L'historique des relations entre l'État et le secteur privé ne démontre-t-il pas que l'intérêt public est la première préoccupation des firmes de génie-conseil et des entreprises de construction?
Le premier ministre a généralement bonne presse à l'étranger. L'an dernier, au Sommet des leaders sur les changements climatiques tenu à Cancún, il avait reçu un prix décerné par l'État d'Australie méridionale, qui avait même donné son nom à une forêt urbaine.
Le rôle du Québec dans la lutte contre les changements climatiques pouvait peut-être justifier cet honneur, mais après qu'il eut laissé un «empire malfaisant» infiltré par la mafia s'emparer des fonctions essentielles de l'État, comme l'a constaté le rapport Duchesneau, par quelle aberration a-t-on pu lui l'honorer pour sa contribution au «service public»? Et on s'étonne que les gens deviennent cyniques!
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Comme chacun le sait, le hasard fait bien les choses. L'intronisation de M. Charest au panthéon de la vertu survient précisément au moment où il tente de prendre un nouveau départ à l'aube d'une année électorale. Son discours de dimanche ne laissait aucun doute sur son désir d'être de la prochaine campagne.
Le premier ministre s'est déjà réclamé de la lignée des «bâtisseurs» libéraux d'antan, comme Jean Lesage et Robert Bourassa. Le voilà maintenant associé aux grands de ce monde qui ont été honorés par l'institut Woodrow Wilson dans le passé. Par exemple, le président brésilien sortant, Lula da Silva, ou encore d'anciens secrétaires d'État américains comme Henry Kissinger, Colin Powell et James Baker, etc.
Stephen Harper a reçu le même prix en 2006, mais aucun premier ministre provincial en exercice n'avait eu droit à un tel honneur avant M. Charest. William Davis (Ontario), Peter Lougheed (Alberta) et Michael Harcourt (Colombie-Britannique) avaient tous pris leur retraite de la politique. Tout comme Brian Mulroney, qui avait profité de l'occasion pour régler ses comptes avec Jean Chrétien.
Ce n'était pas la première fois que les qualités de M. Charest étaient soulignées à l'occasion d'une remise des prix Woodrow Wilson. Lauréat en 2003, le président du conseil de Power Corporation, Paul Desmarais, avait fait un vibrant éloge du premier ministre nouvellement élu.
«Sa victoire est un témoignage de courage personnel et de détermination, une preuve de sa capacité de croire en lui et dans la cause qu'il défend, et de son talent à persuader les autres de partager ses convictions [...] Je crois sincèrement que nous sommes à l'aube d'un nouveau départ au Québec», avait déclaré M. Desmarais. C'est bien d'avoir un ami comme celui-là.
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mdavid@ledevoir.com


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