La loi 99 : point d'orgue d'un volontarisme qui ignore la réalité

Le grand remplacement : de la nation réelle à la nation légale

Pour la reconnaissance d'un Québec bi-national

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Chronique de Gilles Verrier

Les souverainetés malmenées par le mondialisme


Je ne dirai rien de bien nouveau en écrivant que le mondialisme fait son chemin sur les gravats des nations réelles. Élimination des frontières, immigration massive, dissimulation de capitaux dans les paradis fiscaux, évasions fiscales et juridiques pour les GAFA et autres géants multinationaux. Ces évolutions en apparence désordonnées, mais qui vont toutes dans le même sens, échappent aux juridictions nationales bâillonnées par des traités et accords internationaux, passés au-dessus de leur tête ou des populations concernées. S'ajoute la propension des anglo-saxons à imposer leur droit, phénomène dont l'aspect le plus détestable est sans doute la portée extra-territoriale qu'ils lui donne par l'imposition unilatérale de sanctions à autrui. La souveraineté des pays est malmenée.


La souveraineté en déclin : le cas du Canada


Prenons le Canada. Quand on compare celui de Justin avec celui de son père, P-E Trudeau, le pays apparaît nettement plus vassalisé aujourd'hui qu'il ne l'était à l'époque. PET avait eu l'audace diplomatique, et certainement la marge de souveraineté qu'il lui fallait pour normaliser ses relations avec la Chine, amorçant un mouvement qui sera suivi par les États-Unis seulement trois ans plus tard, en 1973. Le Canada pourrait-il encore se démarquer de l'OTAN et de Washington à ce point ? À titre d'exemples, embarquer Mme Meng Wanzhou dans le premier vol pour Pékin ? Ou clouer au sol les Boeing 737 Max jusqu'à ce que la lumière soit faite sur les écrasements ? Or, le Canada semble défendre si mollement ses intérêts propres qu'on ne manque pas de se demander si le démantèlement de SNC Lavalin ne serait pas une affaire programmée des États-Unis. En matière de souveraineté, il y a souvent plus loin de la coupe aux lèvres qu'il n'y paraît. 


L'organisation du monde : un enjeu d'actualité


Justement, pour revenir au Québec et à son éventuelle indépendance. N'apparaît-elle pas aujourd'hui, revue et corrigée, comme l'ambition de former un mini Canada avec quelques particularités ? Et avec quelle marge de manoeuvre? Assisterait-on à un remake de la "souveraineté limitée", cette doctrine que l'URSS appliquait jadis aux pays d'Europe de l'Est ? Pour les cas du Québec, du Canada et de tant d'autres pays, n'a-t-on pas toutes les raisons de se demander qui a peur d'une diversité qui s'articulerait à partir des autonomies nationales ? L'enjeu des prochaines décennies sera l'architecture mondiale. Le monde sera-t-il organisé à partir du respect des souverainetés nationales ou sur ses ruines ? Personnellement j'estime que le bien commun sera mieux servi par un monde multi-polaire.




Souverainisme et mondialisme : le cas du Québec


Au Québec, le lien entre mondialisme et souverainisme ne semble pas avoir fait l'objet d'études ni avoir suscité l'intérêt de la "québécor-sphère" ou d'autres antennes médiatiques. Ce n'est sans doute pas très sexy non plus pour les chaires de recherche du Canada... Ça ne veut pas dire qu'un tel lien n'existe pas. D'ailleurs, peut-on nier que le mouvement national a souffert de l'influence débilitante de l'idéologie libérale mondialiste sous plusieurs rapports ? Représentatifs de cette idéologie, l'anti-nationalisme et l'immigrationisme ont eu une influence croissante et vérifiable, voire centrale, dans la recomposition de la dynamique nationale. La recomposition nouvelle, a réussi à repousser dans l'ombre les idées du nationalisme qui avaient suscité tant d'espoirs pendant vingt-cinq ans, à partir de la fin des années 1950. Le nouveau paradigme, qui coïncide de façon étonnante avec le déclin d'une cause pourtant juste, est partagé par le PQ, QS et la CAQ et même le PLQ. Il repose sur l'adoption définitive d'un nationalisme plurinational de convergence, dont il est devenu très difficile d'ailleurs de remettre en cause la valeur. Si on est généralement très critique envers Claude Morin, on continue néanmoins de chérir son héritage. La nouvelle configuration du mouvement souverainiste est reconnaissable par certains mots clés comme "étatique", "territorial" et "civique", qui ont remplacé "égalité nationale", "annexion" et "colonialisme", etc. Ces derniers mots ont effectivement été sortis du discours public, sans que rien ne change de la réalité à laquelle ils s'appliquaient. Claude Morin et son influence néfaste, qu'on peut regrouper sous le thème de l'étapisme, peut-être identifié comme le pivot d'un basculement de l'idée nationale qui a semé les graines d'un inéluctable déclin. À ce sujet, on pourra lire avec profit la partie du livre de Simon-Pierre Savard-Tremblay, Un souverainisme de province, consacrée au congrès du PQ de 1974.  Ce qui a changé, entre l'avant et l'après (pour partager en deux et simplement un phénomène naturellement plus complexe) c'est ce qu'on appelle dans le langage marxiste la "superstructure idéologique".  Mais sous quelle influence ? Celle de Claude Morin, certes, mais elle se rattache à quoi ? 


La nation réelle délogée


Un nationalisme de convergence - et de convenance, pourrait-on dire - s'est imposé. Il a délogé la nation réelle comme assise du combat national. La lutte pour l'égalité politique des nations a été détournée, un détournement réalisé sous l'influence d'un mondialisme intéressé à la refonte de la nation réelle dans une nation synthétique décrétée par l'État. La nation légale contre la nation réelle. Dans la foulée, le mondialisme a soustrait au souverainisme le pouvoir d'attraction, de mobilisation, voire de fascination qu'il avait généré dans sa phase initiale.



Jean Charest et Lucien Bouchard, les chefs des partis libéral et québécois à l'adoption de la loi 99



Une cause vidée de son sens


Disons le franchement, la cause de l'indépendance du Québec a été vidée de son sens. Mais la classe politique continue de croire - ou de faire croire – que tout ce qui a été fait était méritoire. Mais avec le morcellement du souverainisme et ses nombreux réalignements, s'ajoute ces jours-ci celui de Catherine Fournier, l'édifice de la "québécitude", même bancal, ne laisse encore entrevoir que peu de signes d'une remise en question approfondie. Il en faudra plus pour convaincre la classe politique de sortir de ses certitudes éculées. Il en faudra plus avant qu'elle consente à analyser la loi 99 avec toute la lucidité nécessaire. Une loi encore qualifiée par plusieurs de "plus grande loi de l'histoire du Québec", excusez du peu. En réalité, cette loi, votée à l'unanimité par tous les partis politiques en 2000, ce qui peut déjà faire sourciller, est le point d'orgue, l'événement qui a mis un terme à l'idée que l'identité québécoise était la poursuite et le prolongement de l'identité canadienne-française, mais modernisée. Les premiers "considérants" de cette loi, que l'on aime présenter comme le noyau d'une constitution du Québec, pêchent par un révisionnisme historique bien conforme à l'effacement programmé des nations, voeu le plus cher du mondialisme et passage obligé vers une gouvernance mondiale totalitaire. 


Nation réelle et nation légale - le passage de la loi 99


La loi 99 a décrété par un acte volontariste une nation nouvelle. Or, encore une fois, la nation légale n'est pas la nation réelle. Avec les Considérants de cette loi, qui en est la partie la plus importante, les Québécois cessent d'être décrits et d'exister comme le peuple dont l'avant-garde, en 1980, et la majorité absolue, en 1995, avait voté oui aux référendums. Ils sont désormais une "majorité francophone" laconique, intégrée dans les arcanes de l'ordre colonial résiduel, mais toujours prépondérant, qui les a maintenus dans l'état d'une "minorité sociologique"; dans l'état d'une nation non reconnue et dépourvue du pouvoir d'agir par et pour elle-même. Avec la loi 99, les Québécois se sont faits annexer à la portion de la nation canadienne-anglaise présente au Québec. Au passage, on aura pris soin de procéder à la consécration des droits de la minorité chérie, comme dans un rituel religieux, droits qui reconduisent néanmoins, essentiellement, des privilèges coloniaux. C'est sans doute ce qui explique le mieux pourquoi le Parti libéral du Québec, dirigé alors par Jean Charest, a voté en faveur de cette loi qui garantit le maintien de la position respective et inégalitaire des nations internes du Québec. Avec ou sans l'indépendance, ça ne devrait rien changer car la garantie est solide. Elle est sanctionnée par une loi constitutionnelle de l'État du Québec. 


Les Québécois, ceux d'identité canadienne-française, qu'on appelle de plus en plus "Québécois francophones" se voient donc doublement annexés, leur avenir doublement verrouillé. Une première fois avec la conquête, comme l'historien Maurice Séguin s'était appliqué à le démontrer. Une deuxième fois sous l'influence de l'anti-nationalisme globaliste, qui a instauré la prépondérance d'une nation décrétée par les législateurs sur la nation réelle. La loi 99 est donc un déni des constats de la division du Québec en deux nations principales, division pourtant révélée avec une absolue limpidité lors des référendums de 1980 et de 1995. Comme quoi le volontarisme se soucie peu de la réalité. 


Comprendre la réalité bi-nationale du Québec


La nation canadienne-anglaise au Québec a tiré sa puissance de la conquête, un acte de piraterie. C'est la source des inégalités nationales "essentielles" non réglées, un contentieux politique vieux de deux siècles et demi, qui se retrouve de nouveau mis à l'index. Les colonisés sont bien dressés. Pour bien comprendre les réalités nationales du Québec, il faut se rappeler que le berceau de la nation canadienne-anglaise se trouve au Québec. Et c'est d'abord à partir du Québec qu'elle a occupé et mis en valeur le Canada moderne. Faire croire que la nation canadienne-anglaise au Québec est formée de Québécois, dans le sens de ceux qui ont dit oui aux deux référendums, relève d'une parfaite imposture. Certes, ils sont Québécois de souche, on ne peut le leur disputer puisqu'ils sont ici depuis 1763. Ils sont Québécois de souche comme le sont tous les habitants de longue date de la province de Québec. Mais certainement pas dans le sens d'une appartenance nationale commune. La nation canadienne-anglaise ne disparaîtra jamais du Québec. Dans l'éventualité la plus favorable, il faudra s'entendre avec elle sur la base de l'égalité des nations. Et non sur la base de ses droits consacrés. 



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Annexe


Les premiers Considérants de la loi 99 - sur lesquels se fonde les critiques qui lui sont adressées ci-dessus. J'ajouterais que le Considérant no 8, combiné avec l'absence de reconnaissance de la nation canadienne-française - qui, faut-il le rappeler, n'est pas la "nation" québécoise - viole le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Un aspect de la question que j'ai déjà traité ailleurs. GV




Projet de loi no 99


LOI SUR L’EXERCICE DES DROITS FONDAMENTAUX ET DES PRÉROGATIVES DU PEUPLE QUÉBÉCOIS ET DE L’ÉTAT DU QUÉBEC


[1]CONSIDÉRANT que le peuple québécois, majoritairement de langue française, possède des caractéristiques propres et témoigne d’une continuité historique enracinée dans son territoire sur lequel il exerce ses droits par l’entremise d’un État national moderne doté d’un gouvernement, d’une assemblée nationale et de tribunaux indépendants et impartiaux ;


[2]CONSIDÉRANT que l’État du Québec est fondé sur des assises constitutionnelles qu’il a enrichies au cours des ans par l’adoption de plusieurs lois fondamentales et par la création d’institutions démocratiques qui lui sont propres ;


[3]CONSIDÉRANT l’entrée du Québec dans la fédération canadienne en 1867;


[4]CONSIDÉRANT l’engagement résolu du Québec à respecter les droits et libertés de la personne ;


[5]CONSIDÉRANT l’existence au sein du Québec des nations abénaquise, algonquine, attikamek, crie, huronne, innue, malécite, micmaque, mohawk, naskapi et inuit et les principes associés à cette reconnaissance énoncés dans la résolution du 20 mars 1985 de l’Assemblée nationale, notamment leur droit à l’autonomie au sein du Québec ;


[6]CONSIDÉRANT l’existence d’une communauté québécoise d’expression anglaise jouissant de droits consacrés ;


[7]CONSIDÉRANT que le Québec reconnaît l’apport des Québécoises et des Québécois de toute origine à son développement ;


[8]CONSIDÉRANT que l’Assemblée nationale est composée de députés élus au suffrage universel par le peuple québécois et qu’elle tient sa légitimité de ce peuple dont elle constitue le seul organe législatif qui lui soit propre ;

 


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Gilles Verrier138 articles

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Entrepreneur à la retraite, intellectuel à force de curiosité et autodidacte. Je tiens de mon père un intérêt précoce pour les affaires publiques. Partenaire de Vigile avec Bernard Frappier pour initier à contre-courant la relance d'un souverainisme ambitieux, peu après le référendum de 1995. On peut communiquer avec moi et commenter mon blogue : http://gilles-verrier.blogspot.ca





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1 commentaire

  • Jean Lespérance Répondre

    18 mars 2019

    Je suis très heureux que vous voius souciez de la loi 99 sur l'auto-détermination du Québec. Malgré votre vision négative du Considérant 8, je crois que nous pouvons utiliser cette loi à notre avantage. Si on me dit que je n'existe plus comme canadien-français et qu'on dit que je suis québécois et qu'on m'accorde des droits, je peux me prévaloir de ces droits lorsque les conditions me favorisent comme c'est le cas présentement. Rien n' empêche Legault de défendre tous nos intérêts exactement comme s'il était le chef du PQ. Il peut même utiliser la clause nonobstant. Cette loi bien comprise nous permet de prioriser le BAPE sur l'ONÉ. Le fédéral ne peut pas aller à l'encontre d'une loi du Québec votée à l'unanimité. Évidemment cela ne nous donne pas tous les pouvoirs politiques mais nous devrions être assez intelligents pour utiliser ceux que l'on possède. Je fais abstention des pouvoirs économiques associés à la souveraineté. Tous nos faux indépendantistes se font un devoir de rayer de leur vocabulaire le mot souveraineté et les traîtres se plaisent à accepter des traités de faux libre-échange, sans obligation réelle d'échange, on ne fait qu'acheter sans contrepartie. L'appellation que l'on nous donne n'est pas correcte, on peut même dire qu'elle est méprisante, mais si je réussis à obtenir des droits sous une autre appellation, un fois mis en vigueur, je serai bien heureux de profiter de ces droits.