POLITIQUE NATIONALE DE LA RECHERCHE ET DE L’INNOVATION

Le gouvernement Couillard déstructure une politique essentielle

Doit-on comprendre que, pour le nouveau ministre, « les vraies affaires » excluent les études québécoises et l’innovation sociale ?

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Massacre à la tronçonneuse façon Couillard

Il est tout à fait légitime pour un gouvernement nouvellement élu d’envisager de réviser certains programmes et même d’en éliminer d’autres. Mais dans le cas de la Politique nationale de la recherche et de l’innovation (PNRI) lancée en octobre dernier et saluée par toute la communauté des chercheurs et des innovateurs, la décision du premier ministre Couillard de ne plus confier sa réalisation à un seul ministre aura des conséquences néfastes.

Il est à noter que le gouvernement Couillard a d’abord réduit l’influence du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie (MESRST) en le mettant sous la responsabilité du ministre de l’Éducation.

En ce qui concerne la recherche et l’innovation, ce seront maintenant deux ministres aux objectifs différents (Éducation-Ens. sup. et Développement économique) qui veilleront à l’application de cette politique. Qui sera le véritable ministre responsable ? Ce gouvernement vient d’installer un mur entre la recherche et l’innovation. En déchirant ainsi en deux la vision de la PNRI, le gouvernement déstructure l’approche qui avait fait l’objet d’un consensus et entrave son développement.

À la différence du gouvernement du Canada qui s’est mis à dos la communauté scientifique, notre gouvernement avait tout mis en oeuvre pour favoriser l’harmonie entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée. La PNRI mariait ces deux types de recherche, favorisant la concertation et la collaboration entre tous les acteurs du monde du savoir. La présence d’un seul ministre responsable en offrait une illustration éclatante.

Un exemple d’efficacité : celui des Centres collégiaux de transfert de technologie (CCTT). Auparavant, deux ministères devaient évaluer puis financer cette quarantaine de centres. Il y avait un dédoublement inutile. La création du MESRST permettait à un seul ministère de superviser tout le travail.

La présence d’un seul ministre responsable de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a aussi donné le résultat suivant : présenter à la société québécoise une PNRI s’étendant sur cinq années. Jamais auparavant, dans une structure à deux têtes, n’avait-on été capable de proposer une vision du savoir sur une aussi longue période. Les « stratégies » (SQRI) précédentes ne s’étendaient que sur trois ans. La nouvelle PNRI a ainsi pu répondre à une importante exigence du milieu de la recherche et de l’innovation : lui offrir davantage de stabilité en pérennisant les engagements financiers et les subventions de recherche. Dans l’avenir, deux ministres s’entendront-ils à ce sujet pour que la PNRI soit financée sur cinq ans ?

Comme la recherche est d’abord apolitique, la démarche faisant naître la PNRI l’a également été. À mon arrivée comme nouveau ministre du MESRST, j’ai maintenu en place le comité stratégique science innovation (CSSI) prévu dans la Stratégie québécoise de recherche d’innovation du gouvernement Charest. Le MESRST a pris en considération tous les mémoires qui avaient déjà été déposés à la suite d’un appel lancé par l’Adriq et l’Acfas. De plus, en avril 2013, nous tenions des assises sur la recherche l’innovation afin de consulter le milieu sur la future PNRI. Trois grands axes prioritaires furent présentés et débattus. Il était suggéré que la future politique puisse fédérer le monde du savoir autour des changements démographiques, du développement durable et de l’identité québécoise. Certains intervenants proposaient même des chaires de recherche sur l’identité québécoise. En octobre 2013, la PNRI était déposée et suscitait l’unanimité dans les milieux universitaires, industriels et économiques.

Quelques jours seulement après l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, loin d’être rassurant, le premier geste du nouveau ministre de l’Éducation et de l’enseignement supérieur, Yves Bolduc, fut d’éliminer les huit chaires sur l’identité québécoise (quatre sur l’histoire et quatre sur la langue). Le concours était pourtant déjà lancé. Cette suspension est inacceptable. Un comité formé de scientifiques allait étudier les propositions sous l’autorité du Fonds de recherche du Québec. Le nouveau ministre invoqua les « vraies affaires », un slogan électoral, pour justifier cette première coupure de quatre millions de dollars dans le domaine de la recherche.

Doit-on comprendre que pour le nouveau ministre, « les vraies affaires » excluent les études québécoises et l’innovation sociale ? Que la langue et l’histoire ne sont que des sujets secondaires, insignifiants ? Ce nouveau gouvernement va-t-il amputer la PNRI de l’un de ses trois axes, l’identité québécoise, qui avait eu l’assentiment de tous ? La créativité si ardente au Québec dans le domaine des arts de la scène, notre façon de développer et de gérer nos entreprises, nos pratiques sociales, notre politique familiale en particulier, notre conception des rapports hommes-femmes, nos traditions juridiques sont tous des éléments constitutifs de notre identité. En Corée, en Catalogne, au Brésil, au Japon et ailleurs, des chercheurs se spécialisent en études québécoises. Il est normal qu’il y en ait au Québec.

Étudier sa propre société, c’est mieux se comprendre, c’est être plus confiant et trouver ainsi des façons d’aller vers les autres. Et comme l’écrivait Joseph Yvon Thériault, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en mondialisation, citoyenneté et démocratie : « Le meilleur moyen de contrer la tentation populiste de la mouvance identitaire est justement de favoriser la recherche savante sur ces enjeux. » Souhaitons que ce nouveau gouvernement sache profiter du consensus qui s’est développé autour des objectifs de la PNRI et qu’il y adhère dans le but d’enrichir le Québec.


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