Au lendemain d’une élection, les analystes évaluent l’écho des programmes et l’impact des faits et gestes des chefs. À l’aide de la cartographie des résultats par section de vote et des données par district, l’analyse géographique des élections municipales de Montréal permet de dégager des mouvements de fond et de mettre en lumière des phénomènes qui, autrement, passeraient sous le radar.
En 2017, sous l’effet de l’effondrement des tiers partis, qui ne présentaient plus de candidats à la mairie de la ville, Projet Montréal et l’Équipe Denis Coderre ont vu tous deux leurs électorats s’accroître. Sur le plan spatial, les changements les plus remarquables sont, naturellement, l’expansion du parti de Valérie Plante et la bipolarisation du vote.
Ainsi s’est effacé l’impact qu’ont eu, en 2013, le parti du Vrai Changement pour Montréal de Mélanie Joly et la Coalition Montréal de Marcel Côté. La cartographie des sections de vote révélait alors que l’ensemble des quartiers du centre-ouest, où les anglophones et les allophones sont nombreux, étaient devenus un patchworkgéopolitique où les luttes se faisaient à trois ou à quatre. Il est tout aussi singulier qu’en 2017 cet espace hétérogène ait principalement favorisé Projet Montréal.
Bouleversements durables
En 2009, sous Louise Harel, Vision Montréal, avec des candidats souverainistes et fédéralistes reconnus, réussit à percer certains univers allophones. En 2013, prenant le relais de Vrai Changement pour Montréal, Coalition Montréal réussit à gagner de nouveaux électeurs dans Côte-des-Neiges quoiqu’en perdant une bonne part des acquis de Vision Montréal dans l’est.
On n’aura guère remarqué que les succès obtenus par Mélanie Joly pour le poste de maire en 2013 ont été spectaculaires dans la mesure où celle-ci finit première dans maints secteurs du centre-ouest, de Pierrefonds, de Saint-Laurent et de Tétraultville, autant dans des secteurs francophones qu’anglophones ou allophones.
Avec des luttes à quatre, les élections de 2013 ont créé des bouleversements durables dans le centre-ouest, devenu politiquement plus fluide.
Pour la mairie de Montréal, dans l’est, les anciens partisans de Coalition Montréal ont massivement appuyé Valérie Plante. Dans l’ouest, les partisans du Vrai Changement pour Montréal ont majoritairement fait de même, sauf ceux de Saint-Laurent et du centre-ville qui lui ont préféré Denis Coderre.
Châteaux forts
De Saint-Laurent à Rivière-des-Prairies, l’Équipe Denis Coderre l’emporte fortement dans les districts où la présence des allophones est supérieure à la moyenne. Il reste que les fortes majorités obtenues dans le nord-est indiquent que les francophones des banlieues sont nombreux à opter pour cette formation.
À première vue, le territoire où la majorité des électeurs appuient l’Équipe Denis Coderre correspond à l’espace du vote libéral aux paliers québécois et canadien. Toutefois, le château fort péquiste de Pointe-aux-Trembles est resté fidèle au maire sortant, alors que le centre-ouest, majoritairement libéral, lui a largement échappé dès 2013.
En 2013, le territoire où les électeurs de Projet Montréal dominent prenait la forme d’un triangle unissant Ahuntsic, Tétraultville et Saint-Henri. Cela correspond aux quartiers à forte majorité francophone. En 2017, cet espace s’est fortement étendu aux extrémités sud de la ville, de sorte que l’apport des électeurs anglophones et allophones s’est accru.
En 2013, le territoire de Projet Montréal recoupait essentiellement l’espace composite où prédominent, au provincial, les électeurs solidaires et péquistes et, au fédéral, les électeurs néodémocrates et bloquistes (version 2015). En 2017, l’expansion vers l’ouest, déjà entamée à Notre-Dame-de-Grâce, s’est faite dans des univers politiquement mixtes ou libéraux.
Diverses cités
La géographie des réalités ethnolinguistiques et des sensibilités politiques montre des parentés avec la géographie des formations municipales. Le recoupement n’est toutefois pas total, comme si un troisième paramètre manquait à la dynamique. Les analyses électorales, focalisées sur le rôle du politique et du culturel, oublient souvent celui du social qui, à l’échelle municipale, est déterminant.
L’électorat de Projet Montréal est massif dans la « ville centre », soit la partie de Montréal qui s’est bâtie avant la Deuxième Guerre mondiale et qui se caractérise par une trame urbaine dense avec des infrastructures qui demandent des réparations.
On y rencontre plus de ménages locataires et d’usagers du transport en commun. Vu ce profil urbain, on y préconise davantage des approches de politique participative. En banlieue, le cadre de vie et le profil socioéconomique (plus de propriétaires et plus d’usagers de l’automobile) sont différents, de sorte qu’on y est moins sensible aux propositions de Projet Montréal.
Ce n’est pas un hasard si l’actuel territoire de Projet Montréal rappelle le Montréal des années 1960, les banlieues annexées ayant majoritairement voté pour l’Équipe Denis Coderre ou des partis locaux, à l’exception de Verdun et de Lachine.
Espaces de changement
En 2017, au-delà des programmes proposés, les défis de l’Équipe Denis Coderre et de Projet Montréal étaient d’aller au-delà des terres acquises. Pour le maire sortant, il était embêtant de ne pas avoir d’élus dans les districts francophones centraux. En ralliant à sa cause des candidats issus d’autres partis municipaux, dont plusieurs souverainistes reconnus, bien des espoirs lui étaient permis. Pour l’aspirante mairesse, il fallait sortir de la ville centre, notamment en rejoignant les milieux anglophones et allophones.
Or, le jour du scrutin, Projet Montréal a réalisé de fortes avancées dans les quartiers politiquement et culturellement mixtes du centre-ouest tout en ralliant, à l’est, les anciens partisans de la Coalition Montréal et du Vrai Changement pour Montréal qui n’ont pas suivi les transfuges. Malgré ces poussées, le territoire de l’Équipe Denis Coderre s’est bien maintenu, mais en s’affaiblissant en matière d’écarts.
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