Le déracinement multiculturel et la haine de soi

Le destin québécois

« La terreur déracinante invoque toujours le nom de l’utopie. »

Marc Chevrier (2005), Le temps de l’homme fini. Éd. Boréal.
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Le déracinement, l’idée de la perte du sentiment de s’inscrire dans une continuité d’histoire et de culture relative à une collectivité donnée, voilà un mal terrible qui afflige bon nombre de Québécois. Privés de ce qui les enracine dans une culture, une histoire et un milieu de vie à la fois hérité et façonné par leurs ancêtres, ceux-ci se sentent perdus entre deux univers inconnus, l’un fait, l’autre à faire. Ils ont donc perdu le sens de la continuité en entretenant une méconnaissance profonde d’un passé dont ils sont pourtant les héritiers.
En levant le nez, à tort ou à raison, devant leur passé, les Québécois se privent de repères fondamentaux dans leur trajectoire historique. En effet, le Québécois moyen hérite non seulement d’un passé, mais aussi d’une partie de l’étant collectif canadien-français. En étant nous-mêmes, nous serons toujours un peu d’eux, mais nous sommes aussi ce qu’ils ont bien voulu devenir. Nous héritons de leur goût prononcé pour l’émancipation nationale, et quoiqu'en disent certains, la légitimité émancipatoire est à la fois intemporelle et universelle puisqu’elle est et a toujours été, en tout lieu et en tout temps, le propre des communautés humaines.
Quoi de plus probable que ce déracinement, lorsqu’il est érigé en politique d’État? Le multiculturalisme et son pendant québécois si peu différentiable, l’interculturalisme, font figure de véritables politiques de déracinement national, quoiqu’on en dise. Au programme, la perte progressive d’une culture nationale par sa relativisation incessante. À terme, une perte d’autant plus progressive de la perception de ces contours, submergée ultimement au sein d’une infinité de « succédanés de cultures coupés de leurs racines premières » (1) et de fait, bêtement nivelées par le postulat de l’incommensurabilité des valeurs. En fait, le seul jugement de valeur que les pratiquants de cette doctrine se permettent, c’est celui de la supériorité autoproclamée de ladite doctrine. Tellement supérieure, qu’ils se permettent d’ailleurs allégrement de prendre congé de la démocratie québécoise, sa majorité historique étant atteinte de pathologies identitaires. Nos grands thérapeutes identitaires lui promettent donc une cure dans l’oubli graduel d’elle-même.
Il n’en demeure pas moins que notre passé canadien-français nous lègue bel et bien un lourd héritage pathologique, dont les traits s’apparentent fortement à ceux des peuples qui ont subi la colonisation d’un autre. Font partie de ces traits, autodénigrement, haine de soi, et parfois, faut-il le rappeler, un certain masochisme nous excusant d’être, purement et simplement, ce que nous sommes et avons été. N’y en aura-t-il pas toujours, d’ailleurs, des gens qui, dans un élan frénétique d’approbation de leurs anciens maîtres, crieront incessamment à la légitimité du Quebec bashing?
La haine de soi, propre aux sociétés occidentales, est en fait étrangement enracinée dans notre étant collectif, héritage légué de notre passé canadien-français largement renié, et dont l’effet d’aliénation est d’autant amplifié. Les ténors du pluralisme identitaire veulent résolument greffer à la culture nationale québécoise un passé coupable. Coupable de quoi, sinon de survivance ? Coupable de quoi, sinon d’avoir voulu préserver le peu de fierté et de dignité qui puisse rester à un peuple conquis, colonisé, à qui l’on a voulu faire une fleur en l’assimilant?
Avoir seulement voulu être, voilà bien le seul aveu de culpabilité que nous pouvons sincèrement nous permettre.
Pouvons-nous en dire autant de la nation canadienne-anglaise, tellement coupable qu’elle s’ignore elle-même, plus souvent qu’autrement, dans un éloge incessant de l’hybridité, du métissage tout en se complaisant dans un romantisme béat de la différence? Se cacher dans l’infinité multiculturelle est le meilleur moyen qu’elle a trouvé pour se faire oublier.
Cependant, du côté est de la rivière des Outaouais, l’idéal multiculturel ne colle tout simplement pas. À celui-ci manque le passé coupable. Qu’à cela ne tienne, les chantres du multiculturalisme québécois en construiront un, et ils ont assez de patience pour attendre que tous les Québécois passent par le filtre du cours ECR, et ce, jusqu’à ce que le nationalisme populaire des plus vieux s’éteigne, une mort et une naissance à la fois.
À terme, au rythme où vont les choses, la nation québécoise vaudra bien toutes les identités multiculturelles. Elle sera éventuellement à même de se complaire, tel le Canada-anglais, dans l’exotisme de la figure de l’autre et dans le préjugé systématiquement favorable envers la différence. N’est-ce pas cela, au fond, que la promesse de la société des identités? Une société fragmentée, et ô combien suffisante, croyant avoir intériorisé en son sein et dans toute sa pluralité la richesse culturelle des peuples du monde?
(1) Chevrier, Marc. 2005. Le temps de l’homme fini. Éditions Boréal. p.33.


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6 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    14 octobre 2010

    Vous tromper? Oui, mais surtout par ignorance, par acculturation, par déracinement. 1837, 1867, 1917, 1967 c'est pour vous du pareil au même, c'est le «Bas-Canada», le pays des ti-clins, des Elvis Gratton, des rongeux de balustres, celui des «collabos canadiens-français» comme se plait à les appeler le RRQ, et pourquoi pas, tant qu'à y être Monsieur Racine, celui des mangeux de marde et des marie-couche-toi-là... Et bien, ces gens-là que vous insultez allègrement de votre lointaine Suède, que vous traînez ainsi dans la fange, que le RRQ méprise, qu'une grande partie des Vigiliens renient par leur silence ou leurs mensonges, ce sont nos ancêtres, nos propres parents. Vous donnez tous une remarquable illustration de ce mépris des siens, de cette haine de soi, de ce déracinement dont il est ici question. Et j'ignore comment on peut vivre avec de tels sentiments. Car Monsieur Racine, vos ancêtres canadiens-français sont ceux qui ont tout sacrifié pour nous donner le Québec d'aujourd'hui. Que croyez-vous donc, que les Québécois sont sortis de la cuisse de Jupiter? Qu'ils ont entraperçu saint René un beau matin, qu'ils se sont alors convertis à sa québécitude et qu'en retour, dans son infinie bonté, il leur a apporté la lumière et la connaissance, la transfiguration dans l'espoir qu'un jour nous puissions être enfin dignes d'atteindre la félicité de l'indépendance? Grands dieux, sortez un peu de la propagande péquiste, il n'y a pas une institution d'importance au Québec français qui n'ait été fondée par les Canadiens-Français : universités, collèges, écoles techniques, hôpitaux, même la Bibliothèque nationale est crée en 1967 dans une optique toute canadienne-française... La province de Québec, votre cher Québec, qui donc a réussi le tour de force de la relever 27 ans seulement après le désastre de 1840 ? Les petits bonhommes verts ? Le pays réel, la terre qu’il a fallu «faire», les villes, les réseaux de transport, pensez-vous que c'est le saint Esprit qui les gardait en réserve pour le jour béni où des petits Sylvain Racine viendraient au monde? Vieillissez un peu, cessez de voir le monde comme un enfant, la réalité ne commence pas avec vous, pas plus que la vraie lutte n'a commencé avec le PQ. La présente lutte a commencée en 1763, dans des conditions épouvantables : un pays totalement ruiné, sans autre garantie que notre liberté de religion. Nous n’étions que 70 000 contre l’empire britannique et nous sommes toujours là, nous avons su résister et grandir avec les moyens du bord mais tant et si bien que nous sommes aujourd’hui près de 7 000 000 ! De quoi pouvez-vous tous avoir si honte ???
    RCdB

  • Archives de Vigile Répondre

    13 octobre 2010

    J'avais tout compris. Vous voulez retourner au Bas-Canada. Recommencer la lutte à ce point... oh, non, pardon, plutôt en 1969 ou peu importe, avant que la lutte dans "la réalité" commence, celle libérée du joung de l'église et des arrivistes canadiens-français, qui se sont toujours pliés devant Ottawa. Comme si les pieds noirs canadiens-français n'avaient pas eu l'opportunité de la faire votre lutte depuis 1837. Les intellectuels et l'église ont toujours gardés les ti canadiens-français dans l'ignorance. Et vous, en 2010, vivez dans un paradigme totalement en parallèle de la réalité, alors que je suspecte que vous récitiez encore votre chapelet avant d'aller dormir. Vous avez perdu votre autorité, tellement vous devez écrire sous un pseudonyme. Vraiment, vous êtes pathétique. Ayez le courage d'exprimer vos idées à visage découvert. On sait que vous n'êtes pas confédéraliste, ni fédéraliste, ni péquiste, ni adéquiste, ni libéral. Vous êtes canadiens-français et le Parti canadien vous manque. Avez-vous fait plastifier votre vieille carte de membre du Parti canadien?
    Enfin, au moins, vous, vous prenez la peine de me répondre. Merci. Vos idées ne font que rendre la réalité du Québec encore plus absurde, un statu quo sur les psychotropes. C'est peut-être le fait que je suis observateur de l'étranger que je vois le Québec ainsi. Je me trompe peut-être...

  • Archives de Vigile Répondre

    12 octobre 2010

    @Sylvain Racine
    La lutte? Tout simplement celle de notre émancipation politique, celle qui stagne depuis que le PQ exerce sa mainmise sur le mouvement indépendantiste, celle qui s’égare sans cesse davantage, vous l'aurez sans doute remarqué.
    Le moyen? Refonder notre action politique sur ce qui fut arrêté et proclamé lors des États généraux du Canada français en 1967:
    1° Les Canadiens-Français constituent une nation.
    2° Le Québec constitue le territoire national et le milieu politique fondamental de cette nation.
    3° La nation canadienne-française a le droit de disposer d'elle-même et de choisir librement le régime politique sous lequel elle entend vivre.
    La manière? Rejeter toute forme de pluralisme identitaire (québécois ou «canadian») afin de recouvrer une identité française fermement enracinée dans l'histoire, pour qu'à terme nous puissions faire reconnaître officiellement le Québec comme notre État national : le Canada Français.
    Et oui Monsieur Racine, se doter ainsi d’un véritable État-nation, et non pas s'identifier stupidement à un morceau, à une sous structure administrative d'un empire colonial anglo-saxon (car c'est ça le Québec!) ; en somme, faire comme les grands, se territorialiser en nommant de notre propre nom ce qui constitue notre foyer national. Les Slovènes l'ont fait, les Slovaques l'ont fait, les Russes-Blancs l'ont fait, je vois mal pourquoi les Canadiens-Français devraient s'interdire de le faire.
    Mais pour cela, il faut retrouver la fierté de nos origines, il faut cesser de porter cette absurde haine de soi, ce complexe d'infériorité du colonisé que nous ont légué nos bons progressistes des années 1950 et fidèlement transmis leurs successeurs péquistes et libéraux. Oui je sais, cela signifie du bien beau monde à désavouer, des statues à déboulonner, bien des badernes décorées, de vieilles baudruches à dégonfler, de fort mauvais vents à évacuer... Mais il faudrait le faire. Y en a-t-il parmi vous capables d’oser seulement l'envisager?
    Rassurez-vous, cette dernière question ne vous est pas destinée Monsieur Racine, car je crains vous avoir encore perdu... Il est vrai que vous êtes déjà bien loin.
    RCdB

  • Jean-Louis Pérez-Martel Répondre

    12 octobre 2010

    Être ou ne pas être
    Le mouvement pour la revendication de l’identité CANADIENNE-FRANÇAISE continue à faire son chemin pour rassembler de plus en plus de vrais et sincères nationalistes afin de faire face à ceux qui nous ont trahis en embrassant le multiculturalisme divisionnaire ou/et le fédéralisme colonisateur, deux perversités politiques destinées à anéantir la NATION CANADIENNE-FRANÇAISE, l’unique nation qui peut libérer le Québec de l’actuel état de soumission.
    Continuons ce combat pour la DIGNITÉ NATIONALE des Canadiens français afin de faire voir aux carriéristes sans scrupule que leurs postulats démagogiques ne seront plus tolérés, tel celui-ci rapporté par Jacques Noël :
    « Dans un délire digne des Khmers rouges, le Bloc prônait même - il y a quelques années à peine - l’extermination de l’ethnie canadienne-française pour la création d’un homme nouveau : un citoyen québécois complètement coupé de ses racines, ramené simplement à un habitant vivant icite. "Est québécois qui vit au Québec". »
    JLP
    S'il n'y a pas d'indépendance nationale, les Canadiens français ne connaîtront jamais la fierté et la dignité que seul un État souverain peut leur conférer.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 octobre 2010

    M. RCDB, vous écrivez:
    "Et après quarante ans de mensonges et de promesses non tenues, c’est tout ce que nous sommes, des déracinés, c’est tout ce que nous aurons finalement gagné. Reste à savoir si on doit s’en contenter et disparaître, ou si au contraire, on reprend la lutte afin de retrouver notre dignité perdue."
    Donc, pouvez-vous décrire en mots clairs et précis, en étape, qu'elle est cette lutte dont vous parlez. Ça m'intéresse beaucoup.
    Serait-ce le retour du Bas-Canada, c'est ça?
    Puis, vraiment, disons que nous sommes Canadiens-français, si nous continuons la lutte, c'est aussi la lutte pour les canadiens-français de tout le Canada? Oh, mais attendez, il n'y en n'a plus beaucoup, n'est-ce pas!
    Vous parlez de lutte, vous dites que celles des Québécois, du PQ, ne fut pas la bonne depuis 40 ans. Alors, merci de nous décrire quelle serait votre lutte? Attendez, vous voudriez lutter pour que les Canadiens-anglais acceptent aussi leur histoire, qu'ils deviennent tous bilingues, c'est ça?
    J'attends impatiemment votre réponse.
    Merci de m'écrire à info@tslskonsult.com
    Cordialement,
    Sylvain Racine

  • Archives de Vigile Répondre

    11 octobre 2010

    Pas simple ce texte, pas plus que le sujet qu’il aborde. Pour y voir plus clair, remontons jusqu’à la Conquête, moment où le déracinement identitaire dont nous sommes victimes tire son origine. Car avant elle il n’y a pas d’équivoque : nous sommes Français, Canadiens bien sûr, mais Français comme peut l’être un Bourguignon ou un Normand. Mais de par la Cession de 1763, notre monde bascule, l’Anglais s’installe en maître. Certes, il doit nous garantir certaines libertés importantes (la religion catholique d’abord, puis les lois civiles françaises), mais il entend néanmoins occuper la première place. Nous devons dès lors faire un choix, soit résister en cultivant notre différence, en restant résolument Français, soit au contraire collaborer à l’édification d’une nation commune qui soit par la force des choses bilingue et neutre (c’est-à-dire pluraliste ou multiculturelle). Le vocabulaire changera mais le choix restera toujours le même : soit on croit en l’avenir d’une nation française qui pourra un jour se libérer du joug de la Conquête, soit on table sur cette dernière, on se fonde sur elle et sur le pluralisme identitaire qu’elle induit pour construire une nation nouvelle. Il n’y a pas d’autre option.
    Or, pendant deux cents ans, les Canadiens-Français ont très largement combattu pour la survivance d’une nation catholique et française (à titre d’exemple notre code civil est réformé d’après le Code Napoléon et notre réseau d’éducation secondaire se construit au 19e siècle en grande partie grâce aux communautés religieuses appelées de France). Ce fut notre choix, le choix d’une nation française qui s’assume fièrement. Seules nos élites progressistes semblent en avoir eu honte et en avoir tiré un complexe d’infériorité semblable à celui du colonisé. En conséquence, des Patriotes aux Péquistes en passant par les Libéraux à la Laurier ou à la Trudeau tout ceux-là souhaiteront la transmutation de la nation canadienne-française jugée par essence inférieure (ou inapte à la modernité) en une nation bilingue et multiculturelle.
    Jusqu’aux années 1960, le sentiment national canadien-français est tel, à ce point enraciné dans le peuple, que cela n’aura qu’assez peu d’influence au Québec du moins, les progressistes se devant eux-mêmes de flatter le nationalisme canadien-français pour y exercer le pouvoir. Mais suite à la dénationalisation progressive de l’Église catholique à partir des années 1920 et à cause du grave discrédit qui affecte les nationalismes occidentaux après la guerre (du moins aux yeux des intellectuels chez qui il aggrave le complexe du colonisé), la nation canadienne-française compte bientôt de moins en moins de défenseurs. Après la mort de Daniel Johnson père, après la Révolution tranquille qui bouleverse toutes ses institutions, notre nation se retrouve de fait aux seules mains des progressistes qui contrôlent partis politiques, institutions d’enseignement et média de masse. Il ne restera aux Canadiens-Français qu’à choisir entre deux progressismes identitaires, deux multiculturalismes, celui «canadian» proposé par Trudeau ou celui québécois promu par Lévesque et Bourassa. Combiné à des promesses d’indépendance, de souveraineté, d’affirmation nationale, de partenariat ou de fédéralisme renouvelé, il va sans dire que c’est le multiculturalisme québécois qui remporte la majorité des suffrages. Il constituait néanmoins -lui aussi- un véritable désaveu du combat des deux cents dernières années.
    Dans l’espoir d’être plus indépendants, d’être enfin majoritaires, nous avons ainsi accepté de nous déraciner, de devenir de simples francophones dans un Québec pluraliste et bilingue. Et après quarante ans de mensonges et de promesses non tenues, c’est tout ce que nous sommes, des déracinés, c’est tout ce que nous aurons finalement gagné. Reste à savoir si on doit s’en contenter et disparaître, ou si au contraire, on reprend la lutte afin de retrouver notre dignité perdue.
    RCdB