Le démantèlement des grands ensembles politiques

Traduction pour le bénéfice exclusif des lecteurs de Vigile

D64919dec162c1bcb2fa6ad21950cd34

Les grands États se gèrent mal et finissent par être démantelés

Leopold Kohr, auteur de The Breakdown of Nations (non traduit en français), est un Juif autrichien qui a échappé de justesse à l’holocauste.
Son village natal, Oberndorf, situé au centre de l’Autriche et comprenant quelque 2 000 habitants, a fini par exercer sur la pensée de Kohr une influence sans commune mesure.
Kohr a étudié à la London School of Economics en compagnie d’autres intellectuels autrichiens, comme Friedrich von Hayek. En 1938, il quittait l’Europe pour aller s’établir aux États-Unis où il est ensuite demeuré pendant 25 ans.
En septembre 1941, au moment où s’amorçait le massacre des citoyens juifs de Vilnius, Kohr a rédigé la première partie de ce qui allait devenir son chef-d’œuvre, The Breakdown of Nations.
Il fallait, y affirmait-il, « rediviser » l’Europe en cantons, en ces espèces de régions politiques de faible taille qui existaient autrefois et dont la Suisse, par exemple, en avait conservé la formule démocratique.
Tout est question d’échelle. Ainsi que l’écrivait Kirkpatrick Sale dans sa préface à The Breakdown of Nations,
« Ce qui compte dans les affaires d’un pays tout comme, disons, dans celles d’un immeuble, c’est la taille de l’unité.
« Un immeuble est trop grand quand ses habitants ne peuvent plus y trouver les services auxquels ils s’attendent – eau courante, évacuation des ordures, chauffage, électricité, ascenseurs et ainsi de suite – sans que ces services deviennent encombrants au point de réduire à presque rien l’espace habitable, phénomène qui commence à se produire dans un immeuble lorsqu’il compte près d’une centaine d’étages.
« Un pays devient trop grand quand il ne peut plus offrir à ses citoyens les services auxquels ils s’attendent – défense, routes, poste, santé, monnaie, tribunaux et ainsi de suite – sans s’affubler d’institutions complexes et de bureaucraties telles qu’elles finissent par empêcher d’atteindre les fins qui leur ont été fixées, phénomène devenu courant dans le monde moderne et industrialisé.
« Ce qui compte ce n’est pas le caractère de l’immeuble ou du pays, ni encore la vertu des mandataires ou des dirigeants, mais bien la taille de l’unité : même des saints à qui on aurait demandé d’administrer un immeuble de 400 étages ou un pays de 200 millions d’habitants trouveraient la tâche impossible. »
Kohr a montré qu’il y a des limites inévitables à la croissance des sociétés :
« ...les problèmes sociaux ont la malencontreuse tendance à grossir dans un rapport géométrique avec la croissance d’un organisme dont ils font partie alors que l’aptitude d’un homme à s’accommoder de cette croissance ne croît, si tant est qu’elle puisse progresser, que dans un rapport arithmétique. »
Dans le monde réel, il y a des limites finies qu’il serait insensé de vouloir dépasser.
De l’avis de Kohr, seuls les petits États peuvent avoir une vraie démocratie parce que c’est seulement dans ces États que les citoyens peuvent avoir une quelconque influence directe sur les autorités en place.
Invité à dire ce qui avait le plus marqué ses idées politiques et sociales, Kohr a répondu : « Le fait, surtout, que je sois né dans un petit village ».
La zone euro, en particulier, fait objet de leçon en tant qu’entité politique peu manœuvrable, gigantesque, dysfonctionnelle, agencée au hasard parmi des entités culturelles irréconciliables.
Dès que quelque chose tourne mal, écrit Kohr, c’est parce que cette chose est trop grosse. La solution est de ne pas grossir, de ne pas accueillir des États encore plus disparates au sein d’une union monétaire en difficulté et dotée de règlements à la va-comme-je-te-pousse.
Pour résoudre ce problème de grosseur, il ne s’agit pas d’élargir l’union davantage mais bien de la diviser.
Et si les plus grands des États européens en viennent à décider que leurs électorats n’en peuvent plus de soutenir l’union politique et qu’il ne veulent rien d’autre, en réalité, que se massacrer les uns les autres, ils ne doivent pas s’attendre à ce que le Royaume-Uni aille encore une fois à l’abattoir et, ce faisant, sacrifie le sien.
« Nous avons ridiculisé les nombreux petits États, écrivait Kohr, à regret, et nous sommes maintenant terrorisés du fait que leurs successeurs soient si peu nombreux. »


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé