Le déclin de l'empire américain

Crise mondiale — crise financière

La Haye -- Les Européens se gardent de triompher, car ils ne sont pas sans problèmes eux-mêmes, mais ils marchent la tête un peu plus haute et roulent un peu des épaules. Le géant américain se fait plus humble et, au moins, fait semblant d'écouter des voix qui, auparavant, étaient interdites à Washington. S'installe ici une conviction profonde que le «tsunami», comme l'a dit Allen Greenspan jeudi, va profondément changer l'ordre mondial, pas seulement l'ordre financier.
On commence à l'évoquer. C'est la fin d'une époque. Trois facteurs se conjuguent et accélèrent le changement. La crise du capitalisme ultra-libéral, ce modèle américain du laisser-faire. La fin de l'ère Reagan aux États-Unis, peu importe le résultat des élections, et l'émergence de nouveaux centres financiers, de nouvelles économies qui ne tolèrent plus la prépondérance de Wall Street.
Les informations fusent maintenant sur les prédateurs des grandes places boursières. Avant le «tsunami», elles suscitaient peu d'intérêt. Ainsi, à Londres, les «traders» ont reçu en 2007 21 milliards de dollars en bonus. Wachovia, qui vient d'être rachetée par Wells Fargo, a perdu 24 milliards durant le dernier trimestre. Pendant que la pauvreté augmentait dans les pays occidentaux selon l'OCDE, les salaires des 2500 personnes les mieux rémunérées au monde ont augmenté de 51 %. Le capitalisme libéral est taillé en pièces, est regardé au microscope même dans la presse conservatrice. Des commentateurs de droite approuvent la nationalisation de diverses banques et les prises de participation du gouvernement américain dans certaines institutions financières. La droite est tellement effrayée par le monstre financier dont elle a accouché qu'elle se remet à croire en Keynes et que certains se remettent à lire Marx pour mieux comprendre le capitalisme. Unanimement, on réclame un nouvel ordre mondial régulé. On parle même d'un gouvernement mondial financier. Toute cette remise en question, qu'elle aboutisse ou non, sape complètement le modèle américain de laisser-faire.
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Ce sera probablement aussi, le 4 novembre, la fin d'une époque aux États-Unis. Et cela -- l'élection de Obama --, partout dans le monde mais en particulier en Europe, on l'attend avec espoir. La crise financière et la débâcle de l'économie américaine se conjuguent à l'élection présidentielle. Le nouveau président américain, même si c'était McCain, ne pourra pas s'appuyer sur une économie dominatrice pour dicter ses vues. Le modèle proposé par Bush est une faillite. L'empire a des pieds d'argile et commence à s'ouvrir aux autres non pas parce que cela lui tente, mais parce qu'il n'a pas le choix. Obama n'est pas plus socialiste que ma tante Yvette, mais il sait bien que l'absence de gouvernement constitue une invitation à l'anarchie. Il croit aussi que son pays ne possède pas toutes les solutions pour tous les problèmes de la planète et, surtout, il ne pense pas comme Bush que Dieu a conféré à son pays une mission divine pour sauver le monde de l'axe du mal.
La crise financière, un nouveau président plus humble à l'égard du monde, cela modifie la donne considérablement. Les Américains deviennent incapables de faire la leçon économique et de plus en plus incapables à tancer politiquement. Ils doivent devenir partenaires d'un plus grand ensemble et cesser de dicter ou de sanctionner. La crise financière et le changement de président ramènent les États-Unis dans le concert international, non pas comme soliste omnipotent, mais comme membre de l'orchestre.
Et puis existe un troisième facteur qui annonce cette refondation de l'équilibre international. Longtemps accrochés aux basques de Wall Street, les marchés et les économies des pays émergents réagissent. L'apparition de fonds souverains dans les pays producteurs de pétrole remet en question le rôle prépondérant de l'économie américaine comme barème et guide de l'économie mondiale. La puissance économique de la Chine, de la Russie, du Brésil, de l'Inde, si elle est conjuguée avec celle de l'Europe, peut parvenir à dicter aux États-Unis la marche à suivre ou du moins, à l'influencer fortement. Ce sera par rapport aux 30 dernières années un revirement fondamental. Un rééquilibrage du monde.
À quoi ressemble ce monde qui s'annonce? À une mosaïque extrêmement complexe dans laquelle les pouvoirs seront faits de négociations permanentes, d'ententes ad hoc, de revirements et d'interrogations. Mais surtout, dans ce nouveau monde qui naît de la bêtise cupide des grands capitalistes, on perçoit le retour des gouvernements, la fin de leur rôle de gestionnaire des exagérations du capital. Nous réapprenons, même aux États-Unis, que les gouvernements ne sont pas des chancres parasites de la peau des citoyens, mais des acteurs essentiels, des policiers nécessaires, des assureurs, des garde-fous. Nous apprenons que la liberté de gagner plus sans égard à la faute est une forme de crime. Nous apprenons, j'espère, même aux États-Unis, que le gouvernement n'est pas un voleur, mais un protecteur. Le déclin de l'empire américain, c'est, je crois, la fin de cette croyance que les néo-libéraux ont proclamée, selon laquelle les gouvernements empêchent la création de la richesse. Nous commençons à comprendre aujourd'hui un peu partout dans le monde que ce sont les néo-libéraux, les maniaques du marché qui, pour leur propre richesse, détruisent la richesse collective.
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Collaboration spéciale


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