Le coq et l'âne

Chronique de Sylvain Deschênes


On dirait que la bataille politique pour l'indépendance est en train de se jouer dans un épais brouillard où la silhouette de certains acteurs ne nous permet pas de distinguer de quel coté ils tirent. À première vue, il semble que les mauvais pions se soient remis aux bonnes places pour faire encore dériver le cours du mouvement... Pourtant, au hasard des troués dans ces bancs de brume, on peut voir se dresser tout à coup un coq fier et querelleur tenant tête sans penser à retraiter. Et on sait que, en principe, ces coqs savent quand il est l'heure de se lever. À tous les jours.
Les dramaturges ont souvent cette propension à prendre parti de façon véhémente et désordonnée concernant l'actualité politique. Ce doit être l'habitude de faire parler des personnages qui ne parlent que pour eux-mêmes au moment où ils sont. On avait déjà René-Daniel Dubois qui délirait sur le « totalitarisme soft » régnant au Québec. On a eu, plus récemment, [Olivier Keimed qui déclarait vouloir voir crever le Canadien français->1756]. Ces prises de position excessives et passionnées sont courantes au théâtre. Elles n'ont pas tout à fait le même effet quand elles débarquent sur les planches politiques.
Il y a quand même des dramaturges plus doués sur ce plan. Des gens qui ont appris à jouer avec Robert Gravel, par exemple.

À l'émission culturelle de Radio-Canada animée par Suzanne Lévesque, il y a quelques semaines, on avait invité le dramaturge Alexis Martin et le comédien Jacques L'Heureux pour parler de l'hommage rendu à cet audacieux immense qui faisait éclater la vie dans le théâtre en revisitant toutes les conventions. En préambule, un petit reportage se terminait par le commentaire de Robert Lévesque, critique de théâtre aussi politiquement instable que les deux dramaturges précités. Alexis Martin n'était pas content. Il est entré dans son personnage, outré de voir « ce fumiste » commenter l'œuvre de Gravel alors qu'il l'avait dénigré de son vivant. Devant lui, Jacques L'Heureux se disait choqué de voir Robert Lévesque parler d'éthique... laissant un long silence juger de l'affaire.
De toute évidence, la mise en scène de cette entrevue avait été bâclée par un ignorant ou un provocateur. Il allait devoir en payer le prix. Alexis Martin ne désirait pas lâcher prise après une entrée en scène aussi cavalière. Quand Dany Laferrière, l'écrivain hagiologue de la princesse-générale, s'est adressé à lui pour lui poser une question de niveau télévision, Martin était déjà monté sur son grand cheval de bataille. Du haut de sa monture, il lui a répondu qu'il ne comprenait pas le sens de sa question. Dans son expression, il y avait une mise en garde que personne ne fait aux fous du roi-écrivains qui déblatèrent pour la gloire du monarque. Et quand Laferrière s'est permis une deuxième question du même type (« Robert Gravel était-il le même en-dehors du théâtre? »), il a eu droit à une deuxième gifle du même genre, le regard bien rivé sur celui qui voulait faire passer ses niaiseries pour de profondes remarques.
Le procédé a eu l'heur de faire sortir de ses gonds le colosse Laferrière : « NE TE MOQUE PAS! » a-t-il intimé à Martin en prenant sa grosse voix pour ordonner le respect au trublion.
Le jeu était lancé, Laferrière était piégé. Il n'en sortirait pas sans égratignure. Tout petit mais opiniâtre comme son personnage d'intellectuel dans « Matroni et moi », Alexis Martin s'est arc-bouté pour pousser encore un peu plus Laferrière dans ses retranchements en lui demandant avec insistance pourquoi il l'agressait ainsi. Martin a montré ce jour-là qu'il n'avait cure du beau spectacle lisse de la télévision d'État. Laferrière, menotté au système, devait battre en retraite.
C'était beaucoup plus beau qu'à Tout le monde en parle quand on a exécuté le président de pacotille de Radio-Canada. Plus dérangeant aussi. Du vrai théâtre, pas du divertissement. Mais quand on n'est pas à une heure de grande écoute, peu de gens en parlent.
C'est ainsi que dans la guerre entamée avec l'ordre canadian, certaines de nos batailles sont gagnées de façon spectaculaire et superficielle en utilisant des moyens déloyaux pendant que d'autres, à l'abri du regard du plus grand nombre, minent inlassablement le piédestal des occupants. Toutes les batailles comptent, les belles comme les laides, celles qui se déploient sous les réflecteurs comme celles qui se trament en coulisse.
Restons attentifs, notre lutte est partout.
Sylvain Deschênes

deschenes.sylvain@videotron.ca


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