Peuple blanc, peuple noir

Chronique de Sylvain Deschênes



Quand il ne se pâme pas devant le sort extraordinaire de sa compatriote Michaelle Jean, Dany Laferrière s’amuse à trouver des formules pour synthétiser ses observations de la société québécoise. Aussi, quand il a affirmé, il y a quelques jours, qu’il y avait deux peuples au Québec, on attendait qu’il nous montre une nouvelle manière de regarder les « deux solitudes » évoquées par sa gouverneure générale chérie.

Mais ce n’était pas de cela qu’il s’agissait. L’homme est quand même moins prévisible que le premier fédéraliste venu. Il ne parlait pas de deux peuples en concurrence, mais de deux peuples en alternance. L’hiver, le peuple du Québec serait un peuple blanc, nordique, prévoyant, ingénieux, prudent. Puis, aussi soudainement que l’été lui tombe dessus, ce peuple blanc se muterait en peuple noir, exubérant et insouciant comme s’il avait bien le temps de voir venir et que plus rien ne nécessitait qu’il voit à ses affaires avant d’y être contraint.

Laferrière affirme aussi que, d’après lui, chaque Haïtien veut être président. Que chacun est convaincu qu’il ferait le meilleur d’entre eux. C’est ce sentiment que vit intensément Michaelle Jean. Par procuration, bien sûr, puisque qu’un président comme on l’évoque ici, c’est un président qui s’autoproclame et non un représentant nommé par l’entreprise monarchique. Tout le monde est souverain dans une république, y compris le président.

Première république noire — et parmi les premières républiques du monde — Haïti a payé cher sa rébellion contre les puissances colonisatrices occidentales. Constamment déstabilisée par les coups d’État fomentés ailleurs et instrumentalisés au sein de sa petite élite, elle a fini par convaincre chacun qu’il pourrait faire mieux. Ce n’est pas très difficile en apparence, c’est tout à fait impossible si le président potentiel ne rallie personne.

Devant le cul-de-sac du PQ, plusieurs se voudraient chef pour redresser la situation. L’arrivée hâtive de la chaleur a peut-être dramatisé la situation! On dit qu’il y a trop de chefs, ce qui est normal quand un réalignement est nécessaire, mais il faut surtout insister sur le fait qu’il n’y a pas assez d’indiens.

Le mode de vie très libre, « sauvage » disait-on avec envie à l’époque, des amérindiens a certainement contribué à l’avènement du concept républicain. L’adhésion au chef relevait moins de la contrainte que de la persuasion par l’action. Le meilleur guerrier entraînait spontanément les autres à sa suite. En temps de paix, le plus sage était écouté avec attention; à cette époque, on ne songeait pas à faire des sondages à travers l’Amérique et à mener cabale pour imposer qui mènerait la tribu dans telle ou telle circonstance!

La déclaration du député Plamondon selon laquelle le PQ aurait besoin de se faire botter le derrière ressemble assez à ce qu’une mentalité de colonisé peut produire. La discipline y est confondue avec la contrainte et les individus qui y sont soumis refusent de collaborer avec ceux qui veulent garder leur indépendance. Si on veut être le chef, il faut pourtant accepter que ceux qui nous appuient soient indiens! Le plus drôle dans cette affaire, c’est que le préfet de discipline a rapidement ramené le député à l’ordre, peut-être à coups de pied, l’histoire ne l’a pas dit. D’autant que son enthousiasme à vanter la discipline du chef qu’il voulait voir sévir ailleurs apparaissait un peu suspecte!

À l’occasion d’une fermeture d’usine ce printemps, on avait, comme à l’habitude, tendu un micro à un travailleur licencié pour avoir son avis : « On se revire de bord pis on recommence. Comme tout le monde. » disait-il. La chose était dite sur le ton qu’aurait pris un coureur de bois pour annoncer qu’il levait le camp sans états d’âme. Comme c’était à la radio, on le voyait presque monter le canot sur ses épaules et portager jusqu’à la prochaine rivière. Personne n’avait à lui dire où aller.

Le peuple québécois est en fait un peuple métis. Sinon, il n’aurait pas survécu à son histoire. C’est son mariage avec l’occupant amérindien qui lui a permis d’assurer son existence propre. Si son tempérament déroute Laferrière, c’est qu’il doit alterner entre la ruse du peuple conquis et l’autorité du peuple en pleine possession de son territoire.

Il y a donc au Québec un peuple noir qui sait se fondre dans son monde pour se retrouver. Et quand arrive le temps de s’organiser, il se mute en peuple blanc pour la circonstance et sait qui écouter et suivre.


Sylvain Deschênes


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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    23 mars 2008

    Joseph Facal est arrivé au Québec à 9 ans; il parle français comme n'importe quel Québécois (enfin il a un tout petit minuscule accent)
    Isabelle Maréchal est arrivée au Québec à 14 ans; elle parle français comme n'importe quel Québécois (enfin elle a un tout petit minuscule accent)
    Jacques Villeneuve est arrivé à Monaco à 10 ans; il parle français comme n'importe quel Français.
    Michaelle Jean est arrivée à Thetford-Mines à 10 ans; elle n'a jamais parlé français comme une Québécoise. Elle a toujours refusé de parler la langue d'ici. L'assimilation c'est pas pour elle.
    PS: Je vous invite à regarder le film qu'elle a fait sur Thetford. Elle y crache un rare mépris pour la ville qui a accueilli sa famille de pauvres réfugiés.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 mai 2007

    Je pense, de fait, depuis fort longtemps que le Canada et le Québec s'avancent sur un gros tas de problèmes qu'ils n'ont jamais su mesurer. L'article 35 de la Constitution se révèle de plus en plus comme une mine vivante placée dans le jardin communautaire en s'imaginant qu'elle ne s'amorcerait jamais et qu'elle était biodégradable. Funeste erreur ! Si tout est biodégradable sur cette Terre, les Mots et l'esprit dont ils sont porteurs dans une constitution d'État, ne le sont pas. 
    Dany Laferrière, que je n'ai jamais vraiment aimé en tant qu'écrivain, m'apparaît soudainement bien sympathique. Sylvain Deschêne fait une mauvaise lecture de la vision métaphorique de Laferrière. Si tous sont Québécois dans cette Province fleurdelisée ; tous les Québécois ne sont pas Métis dans le sens canadien et constitutionnel du terme...
    Russel-A. Bouchard
    Métisse

  • Archives de Vigile Répondre

    12 mai 2007

    Bonne observation! La première colonie est en 1608 et les première femmes françaises sont arrivées en 1660!
    Avant l'arrivé des loyaliste et le début de, ce que les historiens canadiens ont appelés "brittish conquest" (1753-1759 ou 60!) et ce que les historiens américains ont appellés "French and indian war" (1753-1765!), il n'y avait qu'un peuple ici; les français! Ils étaient divisés en trois provinces!
    La déportation (1755), la rebellion des patriotes (1836-1837!) et les rébellions des Métis (l'une en 1869 et l'autre 1885!) n'ont que diminuer leur nombre et permis leurs assimillations!
    Une seule note discordante! L'énoncé du peuple en pleine possession de son territoire! En 1949, le conquêrant nous a enlevé une grande partie de notre territoire pour permettre à Terre-Neuve d'adhéré à la confédération et aujourd'hui, on parle de partition de notre territoire.......

  • Archives de Vigile Répondre

    11 mai 2007

    Excellente chronique. Bien content de ton retour Sylvain.
    André Vincent