Le complexe carcéral industriel US fait des affaires d’or

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L'hyper-privatisation mène à de graves dérives


La détention dans des conditions scandaleuses des demandeurs d’asile, particulièrement des enfants seuls, a mis ces camps de concentration au cœur de l’actualité internationale. Une bonne partie d’entre eux appartiennent à des entreprises privées, souvent liées aux républicains.   


L’accroissement extraordinaire des détentions à la frontière mexicaine a été une source majeure de bénéfices pour le secteur pénitentiaire privé.  


J’ai effectué une recherche pour préparer ma série de balados sur les États-Unis à l’ère de Trump sur le complexe carcéral industriel américain, expression dérivée du «complexe militaro-industriel» dénoncé par le président Eisenhower. Il regroupe des entreprises privées et des groupes d’intérêts qui profitent de l’incarcération de masse aux États-Unis. Bien qu’ils ne représentent que 5% de la population mondiale, les États-Unis détiennent près du quart des prisonniers de la planète. Le taux d’incarcération aux États-Unis est 5 à 10 fois plus élevé que dans les autres démocraties. Ils dépensent chaque année plus de 80 milliards de dollars pour assurer le fonctionnement de leur système carcéral.  


Les adeptes de la privatisation des prisons, la plupart du temps des républicains, font valoir que l’entreprise privée est plus efficace, une des grandes idées-forces de la mentalité américaine. Cette chimère que les centres de détention privés permettent d’économiser de l’argent amène plus de 30 États, à majorité républicains, à y avoir recours. Ça ne date pas d’hier. Bien avant de devenir un pénitencier d’État, le célèbre bagne de San Quentin fut, en 1852, la première prison à but lucratif aux États-Unis. Au fil du temps, une majorité des États américains ont cédé au privé la responsabilité de la détention de prisonniers, l’un des plus importants transferts de fonctions de l’État à l’entreprise privée.  


Il faut que ça soit rentable. Les prisons privées gardent les détenus à faible coût et renvoient les cas lourds, plus coûteux à gérer, dans les prisons publiques. L’Arizona découvre ainsi que les prisons privées lui coûtent plus cher que les prisons gérées par l’État. Le complexe carcéral industriel vise à rentabiliser les prisonniers. Il les met au travail et réalise ainsi des profits à leurs dépens. Cinq des huit prisons privées de l’Arizona refusent absolument les détenus ayant «une capacité physique et une endurance limitées» ou des problèmes de santé chroniques. Elles ne veulent pas non plus de détenus avec des problèmes de santé mentale. Trop coûteux à gérer. Et quand des prisonniers malades nécessitent des frais médicaux accrus, les prisons privées invoquent des «exclusions contractuelles» pour les transférer dans des prisons d’État.  


Plusieurs scandales depuis 20 ans éclaboussent le complexe carcéral industriel américain. L’un des plus extraordinaires implique une prison privée pour mineurs de Pennsylvanie, de la Mid-Atlantic Youth Services Corporation. Cette répugnante entreprise est reconnue coupable, en 2009, d’avoir donné 2,8 millions de dollars de pots-de-vin à deux juges, pour qu’ils condamnent, sur une période de près de dix ans, 2000 enfants à des peines de prison pour des infractions insignifiantes, certaines n’étant même pas criminelles.  


Par exemple, une jeune fille de 15 ans écope d’un mois en prison pour avoir ridiculisé le directeur adjoint de son école sur le web. Un garçon de 13 ans est emprisonné pour être entré sans autorisation dans un bâtiment vacant. Un autre pour avoir volé des DVD chez Walmart. Un enfant est incarcéré pour avoir volé un pot de muscade à 4 dollars. Les médias ont surnommé l’affaire le scandale «Kids-for-Cash».  


C’est que le centre de détention pour enfants de la Mid-Atlantic Youth Services Corp manque alors de détenus: les profits sont donc à la baisse. Il faut bien le remplir. Rien de mieux que des juges véreux pour le faire. Ces magistrats pourris ont été payés, non seulement pour augmenter le nombre d’enfants condamnés à la prison, mais aussi pour fermer une prison concurrente du secteur public. L’un des juges sera condamné à 28 ans de prison, l’autre écopera de 17 ans et demi de détention. Un directeur de la Mid-Atlantic s’en tire avec 17 mois d’emprisonnement. Les enfants et leur famille, pour leur part, ont engagé des poursuites au civil pour une vingtaine de millions de dollars.