Le chemin de croix de Ségolène

Médias et politique


Ce qui est surprenant n'est pas que la chose soit arrivée. C'est qu'elle soit arrivée en France, patrie des Lumières, de la raison et... du décorum. Le show de Ségolène Royal au Zénith, il y a quelques jours, a probablement inauguré une nouvelle ère de la communication politique. Ou alors, fait faire un pas en avant vers le gouffre de la politique-spectacle.
L'affaire est étrange, en effet.
D'abord, cette «innovation», on l'aurait plutôt attendue aux États-Unis, quelque part dans le Sud des preachers et du gospel, où la politique peut flirter avec la litanie incantatoire... Et, vue de chez nous, l'audace du Ségo-Show fait paraître bien ternes les débats que l'on a eus ici pendant la présente campagne fédérale sur la forme des... débats, justement, debout ou assis, table ou lutrin!

Au Zénith, la candidate socialiste à la dernière élection présidentielle n'avait ni l'un ni l'autre.
Entre deux prestations musicales, vêtue d'un jeans élimé et d'une longue tunique bleue (qu'on dit achetée en Inde en avril dernier), Royal est apparue lestée de micros sans fil et assistée de télésouffleurs placés à ses pieds. Instruite par des cracks du show-business et par la grande femme de théâtre Ariane Mnouchkine, elle occupait majestueusement une scène éclairée comme pour un concert rock, l'arpentant du côté cour au côté jardin, offrant une gestuelle presque margiegillissienne, cédant à l'occasion au pas de danse.
Voilà pour la forme, que l'on a beaucoup raillée.
Les Français ont en effet été horripilés. Selon un sondage (LH2/Nouvel Observateur), 27% seulement ont estimé la démarche intéressante. On a évoqué sur le mode sarcastique le dalaï-lama ou le gourou. Quelques-uns ont parlé de suicide politique, alors que, à cinq semaines du congrès du PS, l'étoile de Ségolène pâlit déjà. Et, puisqu'on est en France, on a trouvé un prof de la Sorbonne pour expliquer qu'«il s'agit de quelque chose qui a trait à l'invagination du sens. Non plus le logos spermaticos projetant le sens politique dans le lointain, mais une posture qui rapatrie ce sens ici et maintenant, dans le creux de cette terre-ci, le ventre de ce monde.» (Michel Maffesoli, Le Figaro).
Ouf.
Malgré cela, on peut estimer que, la forme, ce n'est pas si grave. Pourquoi, au fond, ne pas théâtraliser davantage le discours politique? Ça se discute. Mais il faut qu'il en reste un, de discours.
De ce côté du spectre politique, c'est connu, on a un faible pour les discours messianiques où il est question de rédemption et de Terre promise. Or, la substantifique moelle de ce que Ségolène a livré dépasse tout ce qu'on a vu à ce jour dans le registre de la grandiloquence prolétaire, de la fraternité-bateau et des lendemains qui chantent. Et, parce que Ségolène Royal a eu des malheurs, elle a chanté cette longue marche vers la Terre promise en coiffant la couronne d'épines de la victime... cette sorte de victime presque martyre qui, assaillie par le Mal, tombe mais se relève - trois fois s'il le faut -, de sorte qu'il serait indécent de ne pas l'adorer.
C'était beau. C'était grand. Mais ce n'était plus de la politique.
mroy@lapresse.ca


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