Le cas Barette

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La responsabilité du premier ministre

Le problème avec Gaétan Barrette, c’est que Philippe Couillard ne peut pas plaider la surprise. Ce qui se passe en ce moment est la suite absolument logique, presque programmée, de la brillante carrière médico-politique du radiologiste.
Une carrière à coups de poing sur la table, de menaces, d’invectives et de tassez-vous de là, « ma gang de crisses ».
Ce n’est pas une figure de style, je tire ceci d’un jugement de la Cour supérieure rendu en 2013 qui raconte en miniature ce qui a l’air de se passer ces jours-ci.
Le jugement est une réponse à une poursuite intentée par la femme du Dr Barrette, Marie-Josée Berthiaume, elle-même radiologiste. Gaétan Barrette était chef du département de radiologie de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont dans les années 2000. C’est lui qui a suggéré de faire entrer sa femme dans le département en 2004 – une spécialiste de grande compétence. Tout allait à peu près bien jusqu’à ce que le Dr Barrette devienne président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, en 2006.
Le médecin est débordé et doit être remplacé à la tête du département et de la société dans laquelle les radiologistes sont incorporés. Il a trouvé son remplaçant. Il le présente lors de la dernière réunion qu’il préside, en mars 2008.
« Ma gang de crisses », dit le Dr Barrette pour ouvrir la réunion, ce qui en défrise quelques-uns…
Il en profite pour faire aux radiologistes une dernière demande : verser des heures supplémentaires à sa femme, pour du travail effectué pendant ses vacances de 2004 à 2007. Un nombre insuffisant de collègues acceptent, et la demande est rejetée. Barrette et sa femme se sentent insultés et sont furieux. À partir de ce jour-là, la guerre est déclarée.
Quand, en plus, les collègues refusent un autre accommodement financier, la Dre Berthiaume n’en peut plus. Le successeur de Barrette lui suggère de quitter leur société, tant le climat est pourri. Cette fois, Gaétan Barrette pète les plombs.
Gaétan Barrette appelle celui qui l’a remplacé et le menace de « tout faire pour nuire au département », « d’attaquer personnellement tous les associés » et de les « détruire un à un », indiquant qu’il se « fout des dommages collatéraux » que cela pourrait causer. (Je cite ici le jugement de 2013, confirmé par la Cour d’appel.)
La Dre Berthiaume poursuit tous ses collègues de Maisonneuve-Rosemont. Elle perd sur toute la ligne. Pire : c’est elle qui doit verser une compensation à ses collègues pour abus de procédure ! En tout, une condamnation totale de plus de 400 000 $.
***
On peut toujours dire que Philippe Couillard a été déçu et surpris de la performance d’Yves Bolduc à l’Éducation. Rien ne préparait ce médecin à occuper ce ministère. Mais rien n’annonçait un désastre non plus. On a compris également que les efforts de ce gouvernement portent essentiellement sur les finances publiques et le système de santé. Aucun projet grandiose n’était en gestation du côté de l’Éducation. On lui demandait essentiellement de ne pas faire de gaffe…
En Santé, au contraire, le chantier est immense. Et le chef de chantier est bien connu. La réputation de Gaétan Barrette est légendaire, et le jugement que je viens de résumer n’est qu’une anecdote documentée parmi des centaines.
Pourquoi donc Philippe Couillard a-t-il choisi Gaétan Barrette, sachant tout ça ? Philippe Couillard qu’on ne voit jamais tempêter, lui dont les battements cardiaques semblent aussi stables qu’une horloge atomique, cet homme apparemment sans excès, sinon un excès de calme et de sérénité…
Pourquoi donc ?
Justement pour ça. Très précisément pour ça.
Parce qu’il faut un méchant, que l’on congédiera éventuellement ou qui s’en ira dans un immense fracas. Quelqu’un capable d’absorber toute la haine des portions du corps médical qui refusent le changement. Ces changements-là. Voyez simplement avec quel degré de hargne on a accueilli l’intervention de Julie Miville-Dechêne qui a simplement pris le parti des patientes, s’appuyant sur une étude de 2013. Misogyne, mesdames et messieurs, on a traité de misogyne la présidente du Conseil du statut de la femme !
Gaétan Barrette ? Pff ! Lui, ça ne le dérange pas d’être haï. Il est capable d’en prendre. Il a un plan. Il peut s’en expliquer en long et en large. Des semaines, on a l’impression qu’il est chroniqueur chez Bazzo ou chez Arcand, tant il s’explique. Et pas facile à coincer ! Le type connaît le tabac.
Et nous, on regarde tout ça, on voit bien qu’il passe, le bulldozer, on entend les hurlements de plein de docteurs, mais difficile de ne pas voir que tout ce qui a été essayé depuis 15 ans ne fonctionne toujours pas…
***
Quelqu’un pense-t-il vraiment que Gaétan Barrette vient d’entreprendre une longue carrière à l’Assemblée nationale ? Au train d’enfer où il enfile les réformes, il sera brûlé avant Noël. Va-t-il seulement terminer son mandat ?
Pas grave : il est là pour se brûler. Pour livrer, contre vents et marées. C’est ce que Philippe Couillard attend. C’est ce qu’il livre.
Sauf que le feu prend un peu trop fort, un peu trop vite. Et cette fois, si le ministre tombe, ce ne sera pas une anecdote ni une malchance.
Ce sera la responsabilité du premier ministre.


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