Le Canada s'anglicise

La proportion de francophones décline rapidement

Anglicisation du Québec


M. Pratte nous invite à prendre [«un peu de recul»->26924] quand il s'agit de porter un jugement sur la possible anglicisation de l'île de Montréal. Ce recul consiste, selon lui, à regarder non pas l'île de Montréal, mais bien l'ensemble du Québec qui ne saurait s'angliciser puisque le nombre d'anglophones y diminue.
Prenons encore un peu plus de recul et faisons le même type de raisonnement et constatons, suivant la même logique, que le Canada s'anglicise inexorablement puisque la proportion des francophones y diminue de plus en plus vite.
En 1760, lors de la conquête, les francophones constituaient 99 % de la population d'origine européenne du Canada. En 1861, les francophones représentaient 34 % de la population du Canada-Uni. En 1931, la proportion de Canadiens de langue maternelle française était de 27,3 % dans l'ensemble du Canada. Cinquante ans plus tard, en 1981, elle n'était plus que de 25,6 %.
En 50 ans, cette proportion a baissé de 1,7 point.
Au cours des 25 années qui ont suivi, entre 1981 et 2006, la même proportion est passée de 25,6% à 21,8 %. En 25 ans, elle a baissé de 3,8 points, ce qui représente 2,2 fois la baisse enregistrée entre 1931 et 1981. Grosso modo, la baisse a doublé en une période deux fois plus courte.
Si la même accélération du mouvement de marginalisation du français au Canada se poursuit et si la baisse continue à doubler dans des périodes toujours deux fois plus courtes, quand la proportion de Canadiens de langue maternelle française (comprenant toujours le français) devrait-elle atteindre 0 %? La réponse mathématique à cette question est la suivante: en 2024, soit dans 14 ans!
Par contre, s'il n'y a pas d'accélération et que la proportion de Canadiens de langue maternelle française continue à baisser de 3,8 points par tranche de 25 ans (comme entre 1981 et 2006), quand le 0% serait-il atteint? En 2150, soit dans 140 ans.
Un redressement est-il possible? Il est permis d'en douter. La proportion de Canadiens de langue maternelle française n'a cessé de décliner depuis 1941. De 2001 à 2006, elle a baissé dans toutes les provinces canadiennes sans exception. Les deux plus fortes baisses ont été enregistrées au Québec et au Nouveau-Brunswick, les deux seules provinces où cette proportion est supérieure à 4,1 %. Au Québec, elle est tombée pour la première fois en bas des 80 %.
Il tient de l'évidence que le pouvoir d'attraction du français ne pourra que diminuer au fur et à mesure que la proportion de Canadiens de langue maternelle française baissera. Comment certains commentateurs ordinairement éclairés peuvent-ils ne pas voir ces choses? Limiter l'analyse au seul Québec, à Montréal et à la banlieue de Montréal, comme ils le font, est une très grave erreur. Tant que le Québec fait partie intégrante du Canada, son destin est forcément canadien.
Prendre «un peu de recul» peut être bon, prendre un peu plus de recul est encore meilleur. Pour voir ce qui attend la francophonie en Amérique, du Nord, il vaut mieux regarder ce qui se passe dans l'ensemble du Canada plutôt qu'à Hérouxville ou à Saint-Clinclin.
Ayant un grand-père anglicisé au point d'avoir changé son nom ainsi que deux oncles et une tante entièrement anglicisés, je suis bien placé pour le dire.
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LUC-NORMAND TELLIER
L’auteur est professeur au département d'études urbaines et touristiques à l' École des sciences de la gestion de l'UQAM. Il réagit à l'éditorial d'André Pratte intitulé « Un peu de recul », publié samedi dernier.


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