Partenariat transpacifique

Le Canada devra faire des concessions

Les négociations s’annoncent difficiles, mais le pays a beaucoup à y gagner

4ffe24ee7a3b684374382bc165e1824d

Des gains très aléatoires contre des peines très certaines, autant sur le plan économique que social et politique

La semaine prochaine va être très chaude pour le système agricole de gestion de l’offre canadien alors qu’une entente pourrait être conclue dans le cadre des négociations du Partenariat transpacifique.

Les représentants des 12 pays participants se sont retrouvés à la fin de la semaine à Hawaï pour entreprendre leur 34e ronde de négociations depuis 2009. Ils céderont ensuite la place aux ministres du Commerce de leur pays au milieu de la semaine prochaine lorsque sera venu le temps des compromis politiques plus difficiles. Il y a de la fébrilité dans l’air parce que c’est la première fois que l’on se rencontre depuis que le président, Barack Obama, a obtenu du Congrès américain des pouvoirs étendus de négociations (Trade Promotion Authority) qui augmentent sa capacité de conclure une entente.

On sent de la fébrilité aussi, mais d’une autre sorte, dans le camp des agriculteurs canadiens dépendant du système de gestion de l’offre dans le lait, la volaille et les oeufs. Cela fait des semaines, sinon des mois que des voix de l’étranger, mais aussi des gens d’affaires canadiens et de toutes sortes d’experts les préviennent que des concessions de leur part seront nécessaires si le Canada veut avoir une place dans la future entente.

Officiellement, le premier ministre canadien, Stephen Harper, continue de jurer qu’il préservera l’intégrité du système, tout en ajoutant « qu’il est essentiel » que le Canada fasse partie de l’entente et que cela le placera « devant des choix difficiles ». Pendant ce temps, les producteurs concernés mènent de grandes campagnes de défense du modèle canadien.

Il est généralement admis que les deux principaux acteurs des négociations, les États-Unis et le Japon, mais aussi des pays exportateurs comme la Nouvelle-Zélande et l’Australie, exercent de fortes pressions afin que le Canada libéralise son agriculture. L’ambassadeur américain, Bruce Heyman, en a remis une couche cette semaine en entrevue au journal Les Affaires. « Je ne sais pas ce que le premier ministre [Harper] va faire, et je ne sais pas ce que les négociateurs [canadiens] vont faire, mais là, c’est le temps de le faire. »

S’appliquant à plus de 40 % de l’agriculture québécoise, mais très important aussi en Ontario et en Nouvelle-Écosse, le système de gestion de l’offre repose sur des tarifs commerciaux suffisamment élevés pour opposer aux importations étrangères une barrière infranchissable protégeant un marché intérieur où les producteurs sont soumis à des quotas et un contrôle des prix.

Jusqu’où peut-on dire non ?

« Je suis absolument convaincu que si le Canada ne fait pas une offre substantielle sur ce sujet, on ne va pas lui permettre de signer un accord éventuel », déclare Carl Grenier, un ancien négociateur commercial pour le Canada et expert associé à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’UQAM. « Le Canada est depuis longtemps le seul à avoir un système comme celui-là. Ça ne veut pas dire que les autres pays n’ont pas d’autres moyens d’aider leurs secteurs agricoles, au contraire. Mais lorsque tu es le seul pays sur 161 pays [à l’OMC] à avoir le pas, ça devient difficile à défendre. »

Une éjection du Canada du Partenariat transpacifique serait terrible, dit-il, puisque ses deux partenaires de l’Accord de libre-échange nord-américain, les États-Unis et le Mexique, en feront partie et que les règles du nouvel accord supplanteront, de facto, celles de leur petite entente à trois.

Le professeur et expert de l’Institut québécois des hautes études internationales de l’Université Laval, Érick Duchesne, ne croit pas cependant que cela devra aller jusqu’à des concessions tellement importantes que cela équivaudrait à un démantèlement complet du système. « Des aménagements devront sans doute être apportés en matière de quotas d’importation ou du niveau des barrières tarifaires, mais on ne parle pas de scénario catastrophe. Il y a beaucoup de mise en scène dans tout cela. C’est ce que l’on fait en négociations. Il y a une part de bluff et de coups de sonde. Dans la réalité, chaque pays a ses enjeux délicats. Je ne crois pas que celui-ci soit tellement important au final. »

Patate électorale chaude

Même si Ottawa était prêt à céder plus de terrain à ces partenaires commerciaux, il aurait besoin de la collaboration des provinces pour respecter cet engagement et mettre en place un autre système, note l’expert. Or, il n’y a pas que la Chambre des communes qui ait unanimement promis de maintenir le système de gestion de l’offre, il y a entre autres aussi l’Assemblée nationale du Québec.

Le gouvernement Harper a aussi un autre problème à plus court terme. Les élections fédérales qui s’en viennent s’annoncent serrées et la colère des agriculteurs sous gestion de l’offre pourrait lui coûter de précieux sièges, notamment dans les zones rurales où il fait généralement bien.

Le Canada ne doit pas seulement faire une fixation sur ce qu’il pourrait perdre avec le Partenariat transpacifique, il doit aussi regarder ce qu’il pourrait y gagner, font valoir les deux experts. Il pourrait y gagner un accès privilégié à 12 pays représentant environ 40 % de l’économie mondiale, dont une entente de libre-échange avec la troisième économie nationale au monde, le Japon.

Seulement dans le secteur agricole, note Carl Grenier, il pourrait notamment augmenter ses exportations de boeuf, de porc et de céréales. « Mais là où le Canada a le plus à gagner, particulièrement en Asie, est le domaine des services, renchérit Érick Duchesne. Mais pour réaliser des gains, il faut être prêt à faire des concessions. »


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->