Le bordel informatique prendra-t-il fin en 2015 ?

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N'y comptez pas, les «tizamis» ont trop à y perdre

Le président du Conseil du trésor du Québec, Martin Coiteux, est convaincu d’avoir trouvé le bon remède pour soigner l’informatique au Québec.


Pour de nombreux employés du secteur informatique dans la fonction publique, son plan pourrait s’apparenter à un remède... de cheval.


Dans une première entrevue accordée à notre Bureau d’enquête sur la question de la gestion chaotique de l’informatique, dans laquelle des centaines de millions sont investis chaque année, le grand patron des finances du Québec promet de serrer la vis à ceux qui semblent se nourrir sans restriction dans le bar ouvert des projets numériques.


Pour commencer, Martin Coiteux se pose des questions au sujet de l’armée de consultants privés qui sont devenus de véritables employés quotidiens dans la fonction publique.


Il faudra se «débarrasser» de certains, juge-t-il.


«Il y a des consultants externes qui sont au rendez-vous depuis un certain temps et qui seront remplacés par des ressources internes, dit-il. Il y a des manières de faire et des manières de facturer qui vont forcément changer.»


SAGIR sous vérification formelle


Un des plus beaux exemples de gaspillage reconnus de fonds publics, le projet Sagir, sera entre autres scruté par le ministre.


Baptisé «ça chire» par les fonctionnaires, c’est ce projet qui est passé d’un budhet de 83 M$ à plus d’un milliard de dollars.


« C’est un cas important, dit-il.


« Toutes sortes de questions se posent. J’ai demandé qu’un audit soit fait sur les contrats en cours dans le projet. Ça va donner lieu à un rapport et des recommandations dont je m’attends à avoir très bientôt ». Des décisions seront prises par la suite, nous a-t-il annoncé.


Le CSPQ varlopé


Organisme québécois qui donne le plus de contrats en informatique, le Centre des services partagés (CSPQ) pourrait être touché durement par le plan de Martin Coiteux. Le CSPQ est déficitaire et a été sévèrement blâmé par le vérificateur général pour sa mauvaise gestion.


« J’ai demandé au nouveau directeur général de faire le ménage (...) Le CSPQ doit repenser sa mission. L’organisme s’est éparpillé dans toute sorte de domaines. Il n’ajoute pas de la valeur ajoutée dans tout. (...) Qu’il abandonne certaines activités et qu’il se concentre sur celle dans lesquelles il apporte une réelle valeur».


Une meilleure chance aux petits joueurs


Martin Coiteux veut aussi diminuer les barrières à l’entrée des plus petits fournisseurs.


« C’est en chantier pour 2015, dit-il. On veut aider les plus petites entreprises à se qualifier pour participer aux appels d’offres. Toutes les pratiques contractuelles font partie d’un projet de révision (...) On veut notamment revisiter la durée et la taille des contrats afin de mieux ouvrir à la concurrence».


Appelez l’UPAC !


Martin Coiteux demeure réticent à l’idée de tenir une commission d’enquête sur la question de l’informatique.


« Si les gens ont des informations, qu’ils les transmettent à l’UPAC, dit-il. Ils peuvent le faire et doivent le faire, c’est leur devoir. Je pense que plutôt de lancer une grande commission d’enquête, il faut faire les resserrements au niveau des contrats et ce sont les gestes qu’on est en train de poser.»


Ras-le-bol des dépassements


Le ministre estime que les dpassements de coûts sont souvent occasionnés par des besoins mal définis et des changements de direction.


« Ça nécessite une réflexion à plusieurs niveaux, dit-il, et ce n’est pas juste une question ressource interne versus externe.


« Le problème va au-delà, c’est aussi une question de compréhension et de définition des besoins. Le problème qui existe partout, c’est qu’on définit de façon assez sommaire les besoins et au fur et à mesure que l’on avance, on découvre de nouveaux besoins qui sont souvent en rapport avec les dépassements. »




Il y a des millions de cafés là-dedans !


Quand « ça chire »


En 2013, notre Bureau d’enquête a révélé que les coûts du projet SAGIR sont passés de 83 M$ à 1 G$. L’année 2014 a permis de savoir que la facture allait même être encore plus salée.


► Ce projet est tellement long à développer que la technologie choisie sera périmée avant même que le projet soit terminé. Une bonne partie des travaux et des centaines de millions de dollars doivent être relancés. L’année 2015 sera ainsi une sorte de nouveau départ pour le projet.


► Un consultant informatique coûtait 2355 $ par jour aux Québécois. Quelques jours après notre reportage, il a soudainement été remercié par le gouvernement. C’était le consultant privé le mieux payé dans le projet informatique SAGIR.


« Un désastre »


Les déboires informatiques dans le réseau de la Santé ont été mis en lumière tout au long de l’année 2014, surtout récemment, alors que le ministre Gaétan Barrette en a rajouté en parlant d’un «désastre».


► Les coûts prévus pour l’informatisation de la Santé ont triplé et ils atteindront au moins 1,6 G$, avec un retard... d’une décennie. Nos informations ont montré que l’informatique en Santé coûtait maintenant près de 600 M$ par année, soit près du double d’il y a à peine sept ans.


► Le ministère a un casse-tête énorme et il doit choisir ses priorités puisqu’il compte pas moins de 1080 projets informatiques dans ses plans.


Horreur à la CARRA


La dernière année a permis de découvrir que la crise informatique à la Commission administrative des régimes de retraite (CARRA) n’était pas terminée. Cet organisme administre le régime de retraite d’un Québécois sur six.


► L’organisme s’est payé un système informatique à 100 M$ en 2010. Non seulement le système ne fonctionne pas aussi bien que prévu, mais son entretien a aussi coûté 100 M$ en quatre ans.


► Depuis 2010, la CARRA a dépensé pas moins de 64 M$ sans appel d’offres par des contrats de gré à gré avec des firmes privées. Le Vérificateur général a d’ailleurs déjà douté de «l’utilisation judicieuse des fonds publics» à la CARRA. Depuis, l’organisme a entrepris un sérieux redressement.


Le mystérieux contrat


Le ministère de la Santé a octroyé, sans appel d’offres, un contrat de 20 M$ à la firme IBM et notre Bureau d’enquête doit contester un refus d’accès à l’information du gouvernement dans ce dossier.


► Le problème, c’est que pour ne pas aller en appel d’offres avec un contrat aussi lucratif, le gouvernement doit effectuer une étude justifiant pourquoi il serait inutile d’aller en appel d’offres. Mais des documents internes obtenus confirment que cette étude a été réalisée après que le gouvernement eut décidé que le contrat allait être octroyé à IBM.


La bombe UPAC


Une bombe a secoué l’industrie informatique cette année lorsque le directeur informatique du ministère de la Sécurité publique (qui chapeaute l’UPAC), Abdelaziz Younsi et l’un des patrons du fleuron de Québec, EBR, Mohamed El Khayat, ont été arrêtés et accusés de fraude par l’UPAC.


► EBR est impliqué avec le gouvernement provincial et a même reçu le titre d’entreprise de l’année par la Chambre de commerce en 2014. Les documents judiciaires ont aussi montré que Younsi aurait tenté de contourner les règles pour tenter de favoriser une compagnie alors qu’il travaillait avec l’UPAC.


Le grand réveil


«Inquiet», «indigné» et «préoccupé», le nouveau président du Conseil du trésor, Martin Coiteux a fait une première sortie fracassante sur les dérapages informatiques en juin. C’était lors d’une commission parlementaire sur l’informatique où les hauts fonctionnaires devaient rendre des comptes aux élus. À l’unisson, tant les partis l’opposition que le gouvernement ont écorché ces fonctionnaires. Le ton est monté lorsque ces derniers ont été incapables de préciser quel était le coût de l’informatique annuellement au Québec, irritant M. Coiteux, qui a dès lors promis des changements.


► Après cette commission parlementaire mouvementée qui a secoué les huiles de la fonction publique, nos sources avaient soulevé que le poste de certains fonctionnaires était en jeu. À l’automne, le grand patron informatique Jean-Marie Lévesque a démissionné un an avant la fin de son mandat.


► Un mois plus tard, c’est son successeur, Jean-Guy Lemieux, qui démissionnait en raison d’«apparence de conflit d’intérêts». Notre Bureau d’enquête avait révélé que son frère occupait un poste de vice-président pour la multinationale québécoise d’informatique CGI, qui a réalisé de nombreux contrats pour les organismes gouvernementaux.



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