Langues officielles - Chronique d’une «érosion»

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Vient un jour où il n'est plus possible de cacher les lézardes

Plusieurs indicateurs du bilinguisme officiel au Canada sont au rouge, le commissaire aux langues officielles le démontre méthodiquement dans son dernier rapport, usant du mot « érosion ». Étonnamment, Graham Fraser s’en prend de manière sentie en introduction à ceux qui pourraient croire à un «recul du français» dans la fédération canadienne. Comment dit-on « cherchez l’erreur » en anglais ?


Nous sommes le 17 octobre 1968. Récemment élu premier ministre du Canada pour une première fois, Pierre Elliott Trudeau se fend d’une déclaration officielle, en Chambre, pour annoncer la future Loi sur les langues officielles. Celle-ci, promet-il, prolongera la politique sur le bilinguisme adoptée deux ans plus tôt. L’objectif de celle-ci ? « Dans une période de temps raisonnable, un état de choses se sera établi au sein de la fonction publique en vertu duquel », d’une part, il deviendra de « pratique courante que les communications orales ou écrites à l’intérieur de la fonction publique se fassent dans l’une ou l’autre langue officielle au choix de l’auteur », et d’autre part, que les « communications avec le public se [fassent] normalement dans l’une ou l’autre langue officielle eu égard au client».

Or, de rapport en rapport, malgré des millions dépensés depuis presque 50 ans, ces nobles utopies sont loin d’être réalisées, si l’on se fie du moins au commissaire.

Que déplore-t-il entre autres ? Que beaucoup d’employés fédéraux « francophones n’ont toujours pas la liberté de rédiger des documents en français ». De même, au terme d’une enquête dans les huit aéroports internationaux que compte la fédération, il conclut… que seuls ceux qui sont situés en sol québécois obtiennent des notes de passage (de 85 % ou plus). Les six autres ? Échec. Dans la capitale fédérale, à Ottawa, la note de l’aéroport et de ses locataires commerciaux est de 47 %. Et encore, comme le mettait en relief notre collègue Hélène Buzzetti vendredi, « le score est gonflé par l’affichage bilingue impeccable ». L’offre bilingue en personne n’est, elle, que de 5 %. Encore une fois, seul le Québec réalise l’utopie « bilinguiste ». Ailleurs ? C’est l’indifférence.

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Un des vices fondamentaux de la Loi sur les langues officielles est l’esprit de symétrie que Pierre Elliot Trudeau lui a insufflé. « Nous voulons vivre dans un pays où les Canadiens français peuvent choisir de vivre parmi les Canadiens anglais, et où les Canadiens anglais peuvent choisir de vivre parmi les Canadiens français sans renoncer à leur héritage culturel », déclarait-il en 1968.

Cet idéalisme philosophique (par opposition à l’empirisme) a empêché le français de faire certains progrès réels au Canada depuis 50 ans. En clair, ce n’est pas le bilinguisme qu’il aurait fallu promouvoir, mais le français, langue minoritaire sur ce continent.

Or, chaque fois qu’un gouvernement québécois a voulu adopter une loi linguistique pour favoriser le français, l’esprit symétrique de Trudeau père s’y opposait : « Le Canada français peut survivre non en se repliant sur lui-même, mais en réclamant au-dehors sa part entière de chaque aspect de la vie canadienne. »

Mais qu’observons-nous actuellement ? Comme le constate M. Fraser, il y a, selon ce qu’ont révélé les données du recensement de 2011, une« baisse préoccupante du bilinguisme à l’extérieur du Québec ». Et ce, malgré un ambitieux programme de 10ans lancé par le ministre libéral Stéphane Dion en 2003 et qui promettait une explosion des taux hors Québec. Imaginez : aucune province de l’Ouest n’a encore fait du français une matière obligatoire à l’école.

Ces faits et données s’ajoutent à une série de revers récents pour le français au sommet même de l’appareil fédéral. Le gouvernement Harper a nommé un vérificateur général unilingue et refuse d’imposer le bilinguisme aux juges de la Cour suprême. Du reste, Nycole Turmel, du NPD, dénonçait lundi le refus de plus en plus fréquent des ministres du gouvernement Harper de répondre en français aux questions en Chambre, même lorsqu’ils maîtrisent la langue de Molière. (L’argumentaire du secrétaire parlementaire du premier ministre, Paul Calandra, avait quelque chose d’insultant : il préfère ne pas répondre en français lorsqu’il aborde des sujets « importants ».)

Pourquoi ne pas admettre le recul… afin peut-être - si on le souhaite - de mieux s’y attaquer ?


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