Laïcité - Les défricheuses

Laïcité — débat québécois



Le Conseil du statut de la femme vient d'offrir au gouvernement Charest un très précieux cadeau qu'il devrait accepter sans tarder. On ne lève pas le nez sur matière aussi riche qu'un avis fouillé sur la nécessité de définir les contours de la laïcité quand le vide nous sert actuellement de bien piètre guide.
Il est urgent et nécessaire que le gouvernement favorise la tenue d'un débat sur la laïcité, comme le revendique à juste titre le Conseil du statut de la femme (CSF). En l'absence d'une définition claire sur ce que devrait être la neutralité religieuse de l'État, règne le chaos, s'installe la confusion. Appelés à s'immiscer dans un espace où l'État n'a pas eu le courage de fixer ses limites, les tribunaux dictent la ligne de conduite. Danger!
Depuis que la commission Bouchard-Taylor a conclu à la nécessité d'un livre blanc sur la laïcité, le gouvernement a bricolé quelques mesures destinées à calmer les ardeurs. Son montage à la pièce est lamentable alors qu'une solide vision d'ensemble s'impose plutôt. Le projet de loi 94 rappelle la nécessité d'encadrer les accommodements raisonnables, mais y subsistent d'importantes failles, qui fragilisent le droit des femmes à l'égalité. Lorsqu'est invoqué le droit à la liberté de religion, les grandes perdantes ont souvent pour nom les femmes.
Perçues trop souvent comme des empêcheuses de tourner en rond, les femmes du CSF sont de véritables défricheuses. C'est ainsi qu'il faut voir leur dernier avis, que la présidente Christiane Pelchat présente sans détour comme le «livre blanc» sur la laïcité dont le Québec a tant besoin. «On est là, nous», ajoute-t-elle. Voyez-y un sous-entendu: le gouvernement n'y est pas encore, ce qui est fort malheureux. Pendu à un électorat fragile, l'État tergiverse. Pendant qu'il hésite, les dérapages se multiplient: libertés de conscience et de religion servent de support pour revendiquer une chose et son contraire. On s'y perd.
Que le gouvernement saisisse donc la balle au bond et réponde de manière favorable au moins à l'une des recommandations phares de l'avis du CSF qui prône la tenue d'une commission parlementaire «paritaire» destinée à «faire le point sur la laïcité».
Les défricheuses ont compris qu'une vision cohérente s'impose; leur avis ratisse donc très large. Il propose l'inscription de la laïcité dans la Charte et recommande une loi sur l'interdiction du port de signes religieux ostentatoires chez les agents de l'État; il s'inscrit en faux contre le principe de laïcité ouverte, choisi par le gouvernement; il prône le retrait du volet culture religieuse du nouveau cours ECR; il souhaite la fin des subventions aux écoles confessionnelles. Il y a de quoi nourrir le débat.
Voilà un travail de défrichage qui ne détonne en rien dans l'histoire du CSF. Depuis sa naissance, en 1973, l'organisme-conseil a souvent secoué ainsi le gouvernement, tentant de briser son apathie, le nourrissant pour échafauder ses politiques. Son tout premier rapport publié en 1978 et remis à la ministre Lise Payette — Pour les Québécoises: égalité et indépendance — a servi de texte fondateur à la première politique du Québec en matière de condition féminine.
Au lendemain de la parution de ce document riche de 306 recommandations, l'éditorialiste du Devoir Lise Bissonnette saluait ainsi le travail: «Il faut savoir gré au Conseil du statut de la femme d'avoir littéralement mastiqué le travail pour que nul ne puisse le dire irréalisable, dans les domaines où le gouvernement peut réellement quelque chose.» Quelque 30 ans plus tard, les défricheuses sont toujours à l'oeuvre. Nous saluons à notre tour leur nécessaire audace.


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