La voix juste

Le Québec mérite-t-il de se voir garantir un pourcentage de sièges à la Chambre des communes afin d'éviter un plus grand déclin de son poids politique?

Ottawa — tendance fascisante


Le Québec mérite-t-il de se voir garantir un pourcentage de sièges à la Chambre des communes afin d'éviter un plus grand déclin de son poids politique? La question a été relancée cette semaine avec la présentation, par le gouvernement Harper, d'un projet de loi modifiant la formule de partage des sièges à la Chambre des communes. Le but est de donner, au lendemain du recensement de 2011, plus de députés à l'Ontario, à la Colombie-Britannique et à l'Alberta, trois provinces sous-représentées aux Communes.
La représentation des provinces en fonction de la population est, avec l'égalité du vote, un principe fondamental de notre Constitution. Un principe dont l'application peut paraître simple. On fixe un nombre d'électeurs par circonscription. On divise la population totale par ce nombre et, voilà, on a le nombre de sièges pour l'ensemble du pays et pour chaque province.
La vie n'est pas si simple. Il y a des contraintes constitutionnelles à prendre en compte, des compromis historiques à respecter et des susceptibilités régionales à ménager. Ainsi, une province ne peut avoir moins de sièges aux Communes qu'elle n'en a au Sénat, d'où les quatre sièges de l'Île-du-Prince-Édouard.
Le projet de loi C-12, présenté le 1er avril dernier, tient généralement compte de ces balises, mais il a un effet pervers pour le Québec. Il entraîne une diminution de son poids politique et ne fait rien pour le protéger contre une érosion ultérieure. La formule en vigueur depuis 1985 y parvenait mieux, mais elle avait le vilain défaut d'accentuer la sous-représentation des trois provinces mentionnées plus haut. La situation devenait intenable, et un correctif s'imposait. D'où le projet de loi actuel, le troisième du gouvernement Harper sur le sujet.
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En vertu de ce projet, et si le recensement de 2011 confirme les prévisions de croissance démographique du gouvernement, la Chambre des communes compterait 30 nouveaux sièges, passant de 308 à 338 sièges. L'Ontario en obtiendrait 18, pour un total de 124. La Colombie-Britannique aurait 7 sièges de plus pour un total de 43 et l'Alberta, 5 pour un total de 33. Toutes les autres provinces conserveraient le nombre de sièges qu'elles ont depuis 1985. Pour le Québec, ça voudrait dire 75. Il ne perdrait donc pas de terrain en terme absolu, mais verrait son poids relatif diminuer, son pourcentage du total de sièges passant de 24,3 % à 22,2 %.
On pourrait se demander où est le problème étant donné que le principe de la représentation proportionnelle des provinces est à peu près respecté. Et on pourrait ajouter que le Québec ne peut pas avoir une plus faible croissance démographique que les autres et s'attendre quand même à obtenir des sièges supplémentaires.
L'objection vaut si l'on tient uniquement compte du principe de l'égalité du vote (qui n'a jamais été appliqué de façon absolue au Canada) et si l'on fait abstraction d'un autre principe fondamental, celui de la représentation effective. Dans une décision majoritaire rendue en 1991 (qui ne portait toutefois pas sur le partage des sièges entre provinces, mais sur la délimitation des circonscriptions électorales en Saskatchewan), la Cour suprême écrivait que «l'objet du droit de vote garanti à l'article 3 de la Charte n'est pas l'égalité du pouvoir électoral en soi, mais le droit à une "représentation effective"».
Elle expliquait que la quête de la parité «peut ne pas être souhaitable si elle a pour effet de détourner du but principal, qui est la représentation effective. Des facteurs tels que les caractéristiques géographiques, l'histoire et les intérêts de la collectivité et la représentation des groupes minoritaires peuvent devoir être pris en considération si l'on veut que nos assemblées législatives représentent effectivement la diversité de notre mosaïque sociale».
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Il y a donc place pour un compromis. Le projet C-12 parle d'ailleurs de la nécessité d'assurer «la représentation efficace des plus petites provinces et de celles dont la population augmente moins rapidement». Il ne souffle mot, cependant, de la plus importante minorité nationale au Canada, la nation québécoise qui est aussi le foyer principal de la francophonie canadienne.
Or, aucun groupe ne peut, sous un certain seuil, assurer une défense efficace de ses intérêts. Les Nations unies ont établi que, pour avoir une réelle influence sur les politiques publiques, les femmes devaient représenter 30 % des élus d'une assemblée législative. La comparaison est boiteuse, mais instructive. Elle force à se demander ce qui se produirait si le Québec en venait à voir sa part diminuer davantage.
En 1992, tous les premiers ministres du pays avaient accepté, dans le cadre du défunt Accord de Charlottetown, de garantir au Québec 25 % des sièges de la Chambre des communes. Les Canadiens ont rejeté cette entente — Stephen Harper était du nombre — et, depuis, à peu près plus personne ne semble prêt à défendre le principe d'une garantie du même genre pour le Québec.
Prendre en compte la représentation efficace d'une minorité nationale n'est pas aisé, mais encore faut-il en reconnaître la nécessité et avoir la volonté politique de la défendre. On aurait pu croire que l'adoption de la motion reconnaissant la nation québécoise aurait aidé. Il faut croire que non. Comme si cette reconnaissance devait absolument rester sans conséquence.
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mcornellier@ledevoir.com


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