La tour de Babel

Et cela nous rappelle qu'en économie, nous n'apprenons jamais.

Quelle conclusion "audacieuse"...


La tour de Babel, dans la tradition biblique, on a tendance à l'oublier, c'est d'abord le rêve grandiose du roi Nemrod qui a voulu, à Babylone, construire une tour qui rejoindrait le ciel. Ce péché d'orgueil attira un châtiment divin, la multiplication des langues: incapables de se comprendre entre eux, les hommes durent abandonner les travaux.
La tour Burj Khalifa, ce gratte-ciel géant de 828 mètres (presque un kilomètre) qui vient d'être inauguré à Dubaï - de loin la plus haute structure au monde, avec son luxe et ses prouesses architecturales -, ressemble à s'y méprendre à une version moderne de ce même péché d'orgueil.

S'il y a un châtiment, il sera évidemment d'une autre nature, parce que la multiplication des langues ne peut pas être un fléau à Dubaï, réel creuset culturel et linguistique. L'équivalent contemporain, ce serait plutôt l'effondrement des réseaux de communication, ou pire encore, une décision des marchés financiers de fermer le robinet.
La construction de cette tour est surtout une belle allégorie sur les dérives de la spéculation, avec son artificialité et ses excès. Cet immeuble géant est en fait le monument rêvé pour symboliser et commémorer les dérapages qui ont produit la grande crise financière dont ne nous sommes pas encore pleinement remis.
Car, qu'est-ce que Dubaï? Essentiellement une bulle immobilière sur un tas de sable. Et qu'est-ce qu'exprime l'inauguration de cet immeuble? La fuite en avant, le «business as usual», le désir d'oublier les leçons d'un passé pourtant récent. Le même message que nous envoient d'ailleurs des marchés boursiers ragaillardis, qui essaient joyeusement de retrouver leurs niveaux d'antan, comme si rien ne s'était passé, comme si tout allait bien. Comme si on n'avait rien appris de nos erreurs.
Évidemment, Dubaï, ce n'est pas seulement des immeubles démesurés. Cette cité-État, l'un des membres de la fédération des Émirats arabes unis, pas riche en pétrole comme l'est, par exemple, son voisin Abou Dhabi, a bâti son développement depuis des décennies sur le commerce, les zones franches et les activités portuaires.
Mais sa croissance récente, extrêmement rapide, a largement reposé sur des activités spéculatives autour d'un développement immobilier effréné et d'une explosion des services financiers. Une énorme roue qui tourne à vide, une économie qui roule grâce à une main-d'oeuvre étrangère constituant 83% de la population. Cette démesure est devenue en soi un attrait touristique. Dubaï est maintenant une espèce de mirage urbain, une synthèse de Las Vegas et de DisneyWorld à la puissance 10 qui, dans un bel équilibre poétique, comble un réel besoin, en permettant à ceux qui ont accumulé une richesse excessive ces dernières années de trouver un endroit où dépenser leur argent.
Il n'est pas étonnant que cette créature artificielle ait été particulièrement frappée lorsque le principe de réalité a rattrapé l'économie et que les bulles spéculatives se sont crevées les unes après les autres. Le choc a été très dur à Dubaï. Les condos et maisons hors de prix ont perdu la moitié de leur valeur. Les taux d'inoccupation atteignent 25%, tant pour le commercial que le résidentiel. Et le petit État fédéré a frôlé la faillite en novembre dernier, incapable d'honorer une dette de 100 milliards. La crise a été évitée de justesse grâce à l'intervention providentielle d'Abou Dhabi.
Inaugurer l'immeuble dans de telles conditions peut sembler absurde. Mais ce gratte-ciel, dont la construction avait débuté il y a six ans, était prêt. Aussi bien l'ouvrir. Et en faire le symbole de la relance de cette économie fragilisée. C'est l'esprit même de la fuite en avant. Et cela nous rappelle qu'en économie, nous n'apprenons jamais.


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