La tête à Papineau

Idée de fou? Manque de jugement? Provocation? Propagande? On en perd ses mots.

1759-2009 : la résistance

La Conquête et la bataille des plaines d'Abraham de 1759, vous connaissez? Alors, dites-moi, est-ce que ça vous tente vraiment d'aller en commémorer le 250e anniversaire dans la belle ville de Québec?
Idée de fou? Manque de jugement? Provocation? Propagande? On en perd ses mots. Sous prétexte de vouloir "raconter" une histoire, c'est pourtant ce qu'entend faire la Commission des champs de bataille nationaux, une agence fédérale. Voici donc les activités "gratuites" qu'elle offrira cette année à Québec: un bal masqué (on fête sa conquête ou on ne la fête pas!); expositions et colloques; fouilles archéologiques; "journées familiales" (tant qu'à se rappeler une défaite, aussi bien le faire en famille); un beau show intitulé Wolfe et Montcalm se donnent en spectacle! Et, en guise de cerise sur le gâteau, présentée par la Commission comme "l'événement de l'année à Québec" où vous jouerez "les touristes dans votre propre ville": une reconstitution de la bataille des plaines où vous pourrez vivre "quatre jours de siège intensif"!
Oups. J'oubliais. Cette liste est aussi illustrée, sur le site de la Commission, d'une photo des descendants de Montcalm et de Wolfe, en uniformes de l'époque, souriants et se donnant la main! Bref, on ne sait plus s'il faut en rire ou en pleurer. La réponse, pourtant, est ailleurs. Que l'on soit fédéraliste ou souverainiste, comment ne pas dénoncer cette situation où une agence fédérale décide de la pertinence et de la programmation de la commémoration d'un événement aussi fondamental pour le Québec? Le Québec serait-il devenu un simple terrain de jeu ouvert aux agences fédérales? À cette enseigne, l'extrême timidité du gouvernement Charest et du PQ sur cette question jusqu'à maintenant ne les a guère honorés. Quant à Éric Caire de l'ADQ, traitant de "colonisés" ceux qui s'y opposent, l'homme semble être en urgent besoin d'une greffe de colonne vertébrale.
Et pourquoi refuser ce triste spectacle? Au nom de l'histoire. Ça ne prend pas la tête à Papineau* pour comprendre que l'on vide cet événement de tout sens historique en le présentant faussement comme étant "politiquement neutre et pédagogique" et en l'enrobant dans un beau, gros package récréo-touristique classé, selon la Commission, "parmi le top 100 de l'année 2009 par l'American Bus Association"! Une conquête, ce n'est JAMAIS politiquement neutre. Ni pour les vainqueurs, ni pour les vaincus. Et ce, même si un jour, ils s'en relèvent.
Dire "non", c'est préserver la dignité de ceux et celles qui, nombreux avant nous, au Québec et dans le reste de ce qui deviendrait plus tard le Canada, se sont battus pour défendre la langue française MALGRÉ les effets de cette conquête. C'est aussi partager cette dignité avec nos compatriotes d'autres origines. Ça, c'est "pédagogique". Remarquez que ce "non" n'est surtout pas une réaction émotive, comme certains le prétendent dans le but de discréditer toute opposition. Le refus tient d'une rationalité calme, reposant sur la connaissance des conséquences profondes de cet événement. Le problème est que cette évidence se retrouve enterrée sous un fatras de débats sibyllins. Est-ce une "célébration" ou une "commémoration"? Avons-nous été "conquis" par l'Angleterre ou "abandonnés" par la France? Et que dire des deux "écoles" d'historiens, dont l'une veut que cette bataille ait été déterminante, et l'autre, pas? Et patati, et patata.
Mais au-delà de tous ces bruits de fond, il reste l'essentiel: la bataille des plaines d'Abraham est un puissant symbole marquant la culture et l'identité québécoises. Pourquoi? Parce que d'elle a ensuite découlé, pour ceux qu'on appelle aujourd'hui les "francophones", la construction élaborée d'un rapport d'aliénation politique, économique et linguistique vis-à-vis des "anglophones". Ce qui a suivi 1759, c'est la Conquête; l'écrasement des rébellions de 1837-38; le rapport Durham de 1839 (pourquoi ne pas fêter son 170e en même temps?); l'Acte d'Union de 1840; la Confédération sans consultation citoyenne en 1867; la pendaison de Louis Riel en 1885; l'interdiction des écoles françaises en Ontario, etc. Ce n'est pas parce que ce rapport d'aliénation s'est modifié dans la seconde moitié du 20e siècle que l'on peut réécrire ou neutraliser l'histoire à la lumière de la réalité d'aujourd'hui.
Maintenant, voyons si cette commémoration tous azimuts tiendrait aussi de la propagande fédérale, un peu à la manière dont le 400e de Québec fut présenté par Ottawa comme marquant la "fondation du Canada"? Eh bien, la réponse a un nom: Josée Verner. Du moment où la ministre de la Francophonie avance qu'elle pourrait même y assister, soyez assurés que dans ce gouvernement où les ministres ont peine à se choisir des bobettes sans la permission de Stephen Harper, sa réaction est aussi un peu celle du premier ministre.
(*) Louis-Joseph Papineau (1786-1871), chef du Parti patriote et, entre autres, parrain de la loi établissant la pleine égalité politique des Juifs du Bas-Canada.


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