La souveraineté en ruine

«la souveraineté de la Grèce sera énormément restreinte»

Crise de l'euro



Le chat est sorti du sac: dans une interview au magazine allemand Focus, Jean-Claude Juncker, premier ministre du Luxembourg et gros bonnet européen (il préside le groupe des 17 pays qui utilisent l'euro), admet que, désormais, «la souveraineté de la Grèce sera énormément restreinte».
C'est une litote. La Grèce a vécu la semaine dernière un véritable psychodrame national, que beaucoup là-bas ressentent comme une humiliation. Et cela va bien au-delà de la réduction du niveau de vie de 10, 20 ou 30 %, promise pour des années à une bonne partie de la population.
C'est que, dans tout cet exercice, l'État souverain grec risque aussi d'être réduit à peu de choses. Une courte majorité de députés au Parlement d'Athènes a dû la semaine dernière accepter des mesures d'austérité sans précédent, qui redoublaient celles déjà consenties l'année précédente: réduction des services, taxes nouvelles, TVA à presque 25 %, impôt sur le revenu dès 8000 euros annuels.
Mais le Parlement — détail capital — a aussi voté la création d'une «agence de privatisation» dotée de larges pouvoirs, qui sera dirigée par des experts européens. Des huissiers internationaux qui auront, pour ainsi dire, la tutelle d'un État en quasi-faillite.
M. Juncker a comparé cette agence à la «Treuhand» allemande du début des années 1990. Pour mémoire, la Treuhandanstalt («Agence fiduciaire») fut créée dans les mois qui ont suivi la chute du mur de Berlin, alors que la décision de fusionner les deux Allemagnes était déjà prise. Entre 1990 et 1994, elle a vendu ou liquidé quelque 14 000 firmes publiques est-allemandes. À la fin de ses opérations, il n'y avait virtuellement plus de traces de l'État est-allemand.
La Grèce est littéralement victime, de la part de ses «sauveurs» (qui ont mis sur pied un fonds d'urgence Union européenne-Fonds monétaire international), d'une vaste saisie des biens meubles et immeubles de l'État, doublée d'une «vente de feu». De l'ordre de 50 milliards d'euros. Ce qu'il restera de l'entité «Grèce» après cette amputation massive? Ce sera très intéressant de le voir... mais peut-être aussi passablement déprimant.
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La Grèce existera-t-elle encore en 2015 ou 2020? Qu'en restera-t-il? Un passé glorieux, des monuments extraordinaires qui, à défaut d'être transférés, comme jadis les frises du Parthénon — on n'a pas encore trouvé le moyen de déplacer l'Acropole au British Museum! —, passeront sans doute sous gestion privée... et pourquoi pas, sous supervision étrangère.
Peut-être les Grecs paient-ils pour leur insouciance des deux dernières décennies. M. Juncker avait beau jeu, dans cette interview à Focus, de souligner «la hausse de 107 % des salaires grecs» depuis 2000, «sans hausse correspondante de la productivité»... alors que les riches Allemands, dans la même période, réduisaient leurs salaires réels et faisaient des efforts extraordinaires en matière de productivité du travail.
Mais on pourrait aussi reconstruire — à la manière du Monde diplomatique — toute cette crise en montrant du doigt d'autres suspects que le petit peuple grec et son côté cigale: des dirigeants dissimulateurs, des banquiers véreux, des agences de notation complaisantes...
Quoi qu'il en soit, et au-delà des particularités de la crise grecque, c'est peut-être aujourd'hui le destin de la souveraineté nationale en Europe et dans le monde qui se trouve mis en jeu.
Devant les violences dans les rues d'Athènes, et les pressions sur la monnaie commune, des appels contradictoires se font entendre. Soit pour «sortir de l'euro» et reconstituer une souveraineté monétaire — chose plus facile à dire qu'à faire, aux possibles vertus théoriques (l'arme de la dévaluation), mais qui, dans le processus, aurait pour effet collatéral de «casser la baraque». Soit pour mettre sur pied un véritable gouvernement économique fédéral européen, qui dicterait, depuis Bruxelles, les choix budgétaires fondamentaux des États membres... devenant peu à peu des provinces semi-souveraines.
En tout cas, on peut être assuré que la «leçon d'Athènes» est suivie avec attention et angoisse par les gouvernements de Rome, de Lisbonne, et même ceux de Londres ou de Varsovie. Des capitales où, en ce moment précis, se déroulent des discussions sur l'austérité, et se dessinent des affrontements sociaux... pour lesquels les fureurs grecques sont peut-être une sorte de prémonition.
Qui sait? Il y a sans doute même, dans tout ce drame — et à 7500 kilomètres d'Athènes — des leçons pour nos propres débats de souveraineté.
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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. Cette chronique fait relâche pour une partie de l'été. Elle sera de retour le 15 août.
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francobrousso@hotmail.com

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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.





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