La sinistrose chic

GESCA - la "pensée unique" inversée...

Le concept de crise de l'identité et de la culture québécoises est omniprésent dans le paysage. C'est d'ailleurs sous cet angle, entre autres, que Gérard Bouchard aborde son mandat de coprésident de la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles.



Notre culture «s'est vidée de sa substance», a-t-il constaté lors d'une rencontre avec La Presse, il y a quelques jours. C'est ce qui explique en partie le malaise des Québécois de souche face à l'immigration. «La culture des immigrants paraît plus robuste parce que la religion y est bien vivante alors que (...) nous n'avons plus de traditions, nous avons perdu nos repères et nous avançons un peu à tâtons», a-t-il ajouté.
En même temps, Gérald Bouchard déplore que les intellectuels québécois (dont lui-même: il ne se dérobe pas à un mea culpa) aient négligé de répandre la bonne nouvelle du multiculturalisme et du pluralisme, non pas «en des ouvrages savants de 600 pages (mais en des) argumentaires accessibles à tous».
Ce serait la version locale du fameux «silence des intellectuels» qui, jadis, a fait un vacarme de tous les diables en France! Et dans un ouvrage (à peine 200 pages et pas du tout hermétique...) publié au mois de mars sous la direction de Gérard Bouchard et Alain Roy, La culture québécoise est-elle en crise?, on parle bel et bien du «mutisme des sages».
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Mais est-ce exact? Peut-on vraiment reprocher aux intellectuels québécois de garder le silence sur le thème de l'immigration ou sur d'autres? Ce n'est pas évident. On peut au contraire plaider que les intellectuels se font largement entendre. Que les idées produites par l'industrie de la pensée se répandent dans les médias et dans le public à la vitesse grand V.
Ainsi, l'ode aux bienfaits du multiculturalisme et du pluralisme est reprise partout, tout le temps, du haut des chaires médiatiques, sur les plateaux de télévision et du cinéma, dans les studios de radio et chez les artistes populaires.
Plus globalement, l'idée de crise de notre culture (autant au sens anthropologique qu'au sens propre), qui emporte l'adhésion de 64% des 141 intellectuels québécois s'exprimant dans l'ouvrage ci-haut mentionné, a été littéralement récupérée par le système. La «sinistrose chic», selon l'expression de l'un d'eux, est devenue l'unique décor devant lequel se déroulent à peu près toutes les discussions, des tribunes téléphoniques populaires aux débats sociaux songés. On trouve jusqu'aux plus humbles étalages les fruits de la réflexion des penseurs, dont le noyau dur est constitué d'un réquisitoire sophistiqué prononcé contre l'Occident à la dérive, le néolibéralisme, la mondialisation, l'américanisme, la marchandisation, la société de consommation, l'individualisme, la science et la technologie...
Les gens connaissent tout ça par coeur.
Maintenant, la question demeure: est-ce bien sous cet éclairage, celui d'une version pure laine de l'universel «tout fout le camp», qu'il faut étudier l'impact de l'immigration au Québec? Ou si, par le plus pur des hasards, les intellectuels n'auraient pas une autre grille d'analyse à nous proposer?
mroy@lapresse.ca


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