La rupture

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Le bluff de l’un fait le bluff des autres

Il y a une douzaine d’années, un professeur français fraîchement débarqué à l’UQAM pour un séjour de quelques années avait publié dans Le Devoir un texte qui faisait état de son grand étonnement en constatant l’immense prestige attaché à la profession médicale au Québec.

À l’époque, le gouvernement de Bernard Landry était en conflit avec la Fédération des médecins spécialistes et ce professeur avait été frappé par le « silence assourdissant » de la société civile et « l’impression d’isolement du ministre », qui était alors François Legault, face à un groupe de professionnels qui semblait pouvoir faire la pluie et le beau temps en toute impunité. Un tel comportement aurait été impensable en France.

« Le corps des médecins, en tant que groupe social, représente, dans l’imaginaire collectif, dans les représentations des Québécois, la dernière icône de la période historique connue sous l’appellation de Grande Noirceur […] Ce qui se joue dans ce dossier, c’est non seulement l’issue du rapport de force entre un gouvernement et un groupe social organisé politiquement, mais, plus fondamentalement, la transformation de la société civile dans son rapport à ce qui a constitué l’un des symboles d’un ordre politique et social que l’on pensait révolu », écrivait-il.

Comme ses prédécesseurs qui avaient osé s’en prendre à l’icône, M. Legault avait dû retraiter. Durant les années suivantes. Les médecins ont continué à imposer leur volonté aux gouvernements successifs sans s’aliéner la population, qui leur en reconnaissait tacitement le droit, même si elle se trouvait chaque fois prise en otage. L’arrogance des médecins a même semblé atteindre un sommet durant la période (2006-2014) où Gaétan Barrette a présidé la FMSQ.

Le projet de loi 20 qu’il a présenté la semaine dernière à l’Assemblée nationale marque une véritable rupture dans la relation entre l’État et les médecins. M. Barrette a mesuré ses propos, mais personne ne s’est mépris sur leur signification. Il a ni plus ni moins accusé les médecins d’être une bande de paresseux, voire de profiteurs dont les abus ne seront plus tolérés.

Ils ont eu parfaitement raison d’accueillir le projet de loi comme une véritable gifle puisque c’est exactement ce dont il s’agit. Le ministre s’attaque non seulement à leur portefeuille, mais aussi à leur prestige. S’il était encore à la tête de la FMSQ, il appellerait à la révolte.

La grande différence est que l’opinion ne se range plus de façon aussi inconditionnelle derrière les médecins. Cela est apparu clairement lors des récentes négociations sur l’étalement du rattrapage salarial. Ils ont rapidement compris qu’au moment où tout le monde devait se serrer la ceinture, il aurait été très mal venu d’exiger que l’entente intervenue avec le gouvernement Charest soit respectée intégralement.

L’actuel président de la Fédération des omnipraticiens, Louis Godin, soutient que les médecins sont déjà débordés, mais les chiffres sont troublants. Selon une récente étude de l’Institut C. D. Howe, les médecins de famille québécois travaillent en moyenne 34,9 heures, alors que leurs confrères ontariens en travaillent 43. La moyenne de patients traités est de 1081 au Québec, par rapport à 1539 en Ontario. Ces chiffres sont encore plus bas dans le cas des jeunes médecins et des femmes médecins, qui privilégient une plus grande qualité de vie.

Certes, les chiffres ne disent pas tout. Les conditions de pratique peuvent varier passablement d’une province à l’autre. Tous les cas ne sont pas également lourds et imposer des quotas uniformes peut sans doute avoir des effets pervers. Imputer tous les problèmes du système de santé aux seuls médecins serait certainement injuste, mais ils doivent faire partie de la solution et les incitatifs financiers ont clairement démontré leurs limites. D’une manière ou d’une autre, il faut faire en sorte que les médecins voient un plus grand nombre de patients.

Le porte-parole de la CAQ en matière de santé, Éric Caire, s’est étonné que la question des quotas n’ait pas été abordée dans le cadre des négociations sur le rattrapage salarial, mais il est clair qu’elles se seraient rapidement enlisées. M. Barrette a sans doute retenu de son expérience à la FMSQ qu’un gouvernement a peu de chance de sortir victorieux d’une guerre d’usure contre les médecins. Il vaut mieux frapper vite et fort.

Amir Khadir a suggéré d’engager plus de médecins, mais de les payer moins. Il apparaît cependant douteux que cette solution leur soit acceptable. D’ailleurs, il y a déjà plus de médecins en proportion de la population au Québec que dans le reste du Canada.

Quand il était à la FMSQ, M. Barrette menaçait du pire si les médecins n’obtenaient pas gain de cause. Manifestement, il ne croit pas davantage au bluff de ses ex-confrères qu’au sien.


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