La roulette russe

Par Jacques Saada

La nation québécoise vue par les fédéralistes québécois


Seuls les indépendantistes peuvent sortir gagnants du débat sur la reconnaissance constitutionnelle de la nation québécoise.
Parfois on connaît les choses par les livres, parfois on les connaît par la vie. C'est par la vie que Bob Rae connaît le Québec.
Sa vie politique a été marquée de sa compréhension du Québec et de ses efforts pour en faire reconnaître l'unicité ou la spécificité, dans l'intérêt du Québec et du Canada tout entier. Est-il besoin de rappeler son appui à Meech et à Charlottetown, son travail aux côtés de Robert Bourassa? Le 24 juin dernier, pendant le défilé de la Saint-Jean à Gatineau, un journaliste de Radio-Canada lui demande: " Le Québec est-il une nation? " Cohérent par rapport à son passé, il répond très simplement " oui ". Pour lui, c'est tout simplement naturel. L'assemblée législative du Québec s'appelle bien l'Assemblée nationale depuis des décennies...
L'un de ses adversaires dans la course à la direction du Parti libéral du Canada, Michael Ignatieff, adopte la même position. Je ne connais d'ailleurs pas beaucoup de fédéralistes québécois qui n'aspirent pas à cette reconnaissance. Mais M. Ignatieff va plus loin et déclare qu'il s'engage à rouvrir la Constitution et que ce sera pour lui une priorité (ce qui contredit d'ailleurs ce qu'il déclarait il y a un an à peine à l'Université Mc Gill). Cela peut paraître très attirant au Québec... à court terme. Cela peut se révéler désastreux à moyen et long terme, pour trois raisons qui transcendent les questions relatives à la course à la direction du parti.
Satisfaire personne
1) Puisque de l'aveu de M. Igniatieff lui-même, il n'est pas question que cette reconnaissance se traduise par une redistribution des pouvoirs, elle ne pourra à terme satisfaire personne. Autrement dit, les vieilles divisions, les vieilles méfiances seront réveillées, de façon gratuite, sans aucun avantage pour quiconque, sauf pour les indépendantistes. Ce n'est donc pas surprenant que Bernard Landry appuie la position de M. Igniatieff.
2) Tout amendement constitutionnel doit faire l'objet d'un processus de ratification extrêmement complexe. Plusieurs provinces doivent par exemple tenir un référendum sur les amendements proposés. Or la popularité des dirigeants politiques dicte souvent l'appui populaire à leurs propositions. Minimiser les risques d'échec relève donc de la haute voltige. Et en cas d'échec, on ne dira pas que c'est parce que le premier ministre de telle ou telle province n'était pas populaire. On dira que c'est une preuve de plus que le Canada rejette le Québec. C'est un film que nous avons déjà vu. Il est regrettable que certains l'aient manqué. Les gagnants d'un tel échec seraient encore une fois les indépendantistes.
3) Une fois de plus, un dirigeant fédéral s'approprierait d'un problème qu'il aura lui-même créé, tout en sachant pertinemment que, seul, il n'a pas les pouvoirs décisionnels pour le régler. À l'instigation de M. Charest, les provinces ont convenu de créer le Conseil de la fédération, qui fait oeuvre éminemment utile. On se rappellera par exemple son travail sur le besoin de rétablir l'équilibre fiscal. Bob Rae a d'ailleurs fait certaines propositions très concrètes à cet égard.
Mais à ma connaissance, le Conseil n'a jamais demandé de rouvrir les discussions constitutionnelles sur la reconnaissance du Québec, et encore moins décidé qu'il s'agissait d'une priorité. Si les provinces et territoires ne s'entendent pas sur ces questions, que diable ferions-nous dans cette galère? Qui gagnerait dans ce constat d'échec? Encore une fois les indépendantistes.
La voix de la raison
Ayons donc la sagesse de tirer les enseignements de notre histoire. Ne jouons pas à la roulette russe avec notre parti et notre pays. Le défi de M. Rae est donc maintenant de réconcilier un parti déjà en voie de se déchirer à nouveau; de faire entendre la voix de la raison et de la compréhension des enjeux; de désamorcer une bombe politique dont nous aurions franchement pu nous passer. Le défi de Bob Rae sera d'expliquer que la reconnaissance du Québec devra un jour se faire, parce qu'il y a des limites à ne pas reconnaître l'évidence, et qu'il est normal que le reste du Canada puisse vouloir se familiariser avec les termes de cette reconnaissance et qu'il y a oeuvre pédagogique à faire. Mais qu'il n'est pas question de se relancer sur les rochers meurtriers du débat constitutionnel. En tout cela, Bob Rae est éminemment crédible.
Et nos militants devront aussi faire leur part. Ils devront choisir entre un candidat qui, se lançant sur une route qu'il ne connaît pas, veut y tester son bolide, et un autre qui connaissant la route, sait quand accélérer ou ralentir pour éviter les risques de dérapage. Ils devront évaluer lequel des deux sera le plus à même de les mener à bon port.
* L'auteur de ce texte est président de la campagne de Bob Rae pour le Québec.


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