par Patrick Poirier, Directeur, Magazine culturel Spirale
J’ai lu attentivement la lettre que vous avez fait parvenir [aux différents intervenants responsables->33502] de la publication du dossier sur les «Enjeux de la laïcité» paru dans le numéro 234 du magazine Spirale cet automne; vous me permettrez, je l’espère, certaines remarques et mises au point.
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Monsieur Daniel Baril
_ Hebdomadaire Forum
_ Université de Montréal
Monsieur Daniel Baril,
J’ai lu attentivement la lettre que vous avez fait parvenir [aux différents intervenants responsables->33502] de la publication du dossier sur les «Enjeux de la laïcité» paru dans le numéro 234 du magazine Spirale cet automne; vous me permettrez, je l’espère, certaines remarques et mises au point.
Je tiens d’abord à préciser qu’en publiant ce premier dossier sur les «Enjeux de la laïcité», il n’a jamais été question, pour le magazine et son comité de rédaction, d’assumer ainsi une ligne éditoriale ou de prendre partie pour l’une ou l’autre des positions, «pluraliste» ou «républicaine»; faut-il vraiment défendre ici l’évidence? Comme je le précisais dans l’éditorial de ce numéro, le comité se situe bien plutôt dans un «étrange entre-deux». Ce n’est pas là une formule qui nous permet d’esquiver la question ou d’éviter de nous engager en prenant partie; ce n’est, de même, certainement pas une façon de leurrer ou de tromper notre lectorat. Il s’agit bien plutôt d’un état de fait. Vue la diversité des opinions des membres du comité de rédaction sur cette question (certaines tranchées, d’autres plus incertaines), il nous serait tout simplement impossible de loger, au nom du magazine, tout uniment à l’une ou l’autre enseigne. Il n’est pas certain, vue l’état actuel du débat, que cela puisse même être souhaitable.
Cela étant, si ce premier dossier donne bel et bien à lire à travers les ouvrages recensés la diversité des points de vue en jeu, il nous est toutefois apparu, a posteriori, que l’éditorial de ce numéro a pu laisser croire, comme vous le remarquez, que cette «diversité» était, ne serait-ce qu’en nombre, «équitablement» représentée dans ce dossier. Ce n’est en effet pas le cas. Non qu’il s’agisse là d’une inexcusable tare, mais il nous a tout simplement semblé opportun d’apporter des précisions à cet égard dans l’éditorial du numéro 235 (hiver 2011), numéro dans lequel paraîtra le deuxième dossier consacré aux «Enjeux de la laïcité».
À cet égard, considérant l’importance que vous accordez à la «chaîne de production de ce dossier» et aux liens de «consanguinité» qui unissent les uns et les autres dans ce que vous décrivez comme un «réseau tentaculaire» et une «toile tissée serrée», permettez que je jette un peu de lumière sur la question, quitte à couper [court] dans le fil blanc. L’idée de ce dossier est née dans la foulée de la Commission Bouchard-Taylor, plus précisément dans les semaines et les mois qui ont suivi le dépôt du rapport des commissaires. L’époque était aussi à la dénonciation tous azimuts du cours ECR. Devant le silence gênant qui a suivi le dépôt du rapport Bouchard-Taylor, tabletté par un gouvernement lâche et inepte, et rapidement ignoré par les intellectuels qui avaient en quelques jours réglé leur cas aux recommandations des commissaires (tenant des propos particulièrement durs à l’endroit de Monsieur Bouchard, dont la position, pour ou contre, nous semblait mériter un plus large débat), le comité de rédaction a mandaté Guylaine Massoutre, à l’automne 2009, pour piloter un dossier sur les «Enjeux de la laïcité». Vue l’ampleur de la tâche, il avait également été convenu de lui adjoindre Georges Leroux comme co-responsable du dossier, précisément parce qu’il avait été lié aux travaux de la commission, mais surtout parce qu’il a l’entière confiance du comité de rédaction: Georges Leroux n’est pas seulement un éminent philosophe et un intellectuel engagé et exemplaire, il est aussi un collaborateur de longue date de Spirale, magazine dont il a non seulement assumé la direction, mais aussi la présidence il y a plusieurs années, détail qui vous aura échappé mais qu’il me fait particulièrement plaisir d’ajouter à nos liens de «consanguinité».
De mémoire, dès le mois de décembre 2009, il est rapidement apparu que nous ne pourrions, en un seul dossier, traiter comme nous le souhaitions de la question de la laïcité. Il a donc été convenu, dès ce moment, que Guylaine Massoutre piloterait cette part du dossier qui ferait place à une perspective plus «littéraire» (no 235) et que Georges Leroux se chargerait de mener un dossier sur les enjeux socio-politiques et philosophiques de la question (no 234). Lorsque Georges Leroux, à qui nous avons donné carte blanche, a souhaité inviter Jocelyn Maclure à co-diriger avec lui ce premier volet, nous nous sommes réjouis qu’un éminent spécialiste de la question, par ailleurs participant, lui aussi, de la Commission Bouchard-Taylor, se joigne au dossier. Leur travail et leur générosité ne nous aurons pas déçus.
Vous comprendrez, Monsieur Baril, qu’à ce stade-ci le débat n’était pas encore polarisé par la publication, en février, du Manifeste des uns et, en mars, de la Déclaration des autres. Ce n’est pas dire que le comité ignorait où logeaient, sur cette question, Messieurs Leroux et Maclure, mais nous avions pleinement confiance en leur capacité à établir la liste des ouvrages récents les plus significatifs ou pertinents au débat, de même qu’à rassembler autour d’eux des spécialistes capables d’en rendre compte de manière éclairée. Sans doute qu’en faisant également appel à des spécialistes partisans d’une laïcité plus républicaine, les co-responsables se seraient-ils prémunis contre le genre de «critiques» que vous formulez, mais l’expertise des collaborateurs qu’ils auront préféré solliciter n’étant pas en cause, ni la qualité des comptes rendus par eux soumis au comité de rédaction, je ne vois pas sur quelle base nous aurions moralement pu nous objecter à ce dossier ou au choix des collaborateurs invités à y participer. Eussions-nous su, par exemple, que Marc Djaballah enseignait aussi à la Faculté de théologie évangélique de Montréal, je puis vous assurer, là encore, que cette «croustillante» [?!] information n’aurait rien changé à l’affaire, même aux yeux des plus «républicains» d’entre nous. Le contraire me semblerait inacceptable, voire troublant.
De même, une fois leur proposition de dossier soumise et approuvée, il aurait été proprement inconvenant que le comité de rédaction leur retire son appui parce qu’ils avaient peu après fait paraître le Manifeste pour un Québec pluraliste. La «chaîne de production de ce dossier» n’est pas celle qui semble vous préoccuper, Monsieur Baril. À titre personnel, je puis d’ailleurs vous affirmer que j’aurais sans doute signé votre Déclaration pour un Québec laïque et pluraliste si elle était parue avant le Manifeste; comme plusieurs de mes collègues sans doute, je peine à entériner l’ensemble des propositions de l’un et l’autre texte, et me situe dans un «entre-deux» que la polarisation de ce débat rend des plus inconfortables. Si je n’ai pas signé la Déclaration, c’est qu’il me semblait ridicule de le faire après avoir signé le Manifeste. Et si j’ai pu en avoir un certain regret (puisque je fais également miennes certaines valeurs et idées d’une laïcité plus «républicaine»), votre lettre, vos propos, les liens que vous cherchez à établir ont réussi à me convaincre que ma signature se trouve aujourd’hui en bien meilleure compagnie.
Que ce dossier vous déçoive ou qu’il affiche un parti pris pour une laïcité ouverte (ce dont ne se cachent pas Messieurs Leroux et Maclure dans la présentation de leur dossier, faut-il le rappeler), je peux aisément en convenir (c’est d’ailleurs là leur droit), mais de là à sous-entendre que le magazine chercherait à «cacher» quoi que ce soit en omettant sciemment de préciser les liens des collaborateurs avec le dossier auquel ils participent… Je vous invite simplement à consulter les 233 numéros précédents de Spirale: en les feuilletant rapidement, vous noterez que le magazine, par le passé, s’est toujours abstenu de préciser les liens d’affiliation de ses collaborateurs, refusant notamment de cautionner l’autorité que confèrent titres et postes. Ce numéro d’automne 2010 est le tout premier en trente ans qui fasse exception à cette tradition (vous jugerez de l’ironie!), le comité s’étant tout récemment rangé aux arguments de plusieurs de nos lecteurs qui souhaitaient que soit rendu accessible un minimum d’information concernant nos collaborateurs. Cela est maintenant chose faite, pour qui tient à ces considérations et «veut se donner la peine» de les chercher. Il n’est pas dit qu’un jour nous n’accorderons pas plus d’importance à ces questions, mais je vous avoue que dans un magazine comme le nôtre, où chaque centimètre de texte s’avère précieux et compté, je ne suis pas certain de vouloir sacrifier d’avantage d’espace à de telles considérations, surtout si elles devaient servir à disqualifier la contribution intellectuelle de ceux et celles qui nous font l’honneur de publier en nos pages.
Pour le reste, certaines de vos critiques sont sans doute recevables, et peut-être le seraient-elles davantage encore si vos remarques et les liens que vous établissez entre les différents intervenants et collaborateurs évitaient de sous-entendre que le magazine participerait en quelque sorte à un réseau d’universitaires au service d’une nébuleuse «pluraliste».
Faut-il par exemple vraiment faire la démonstration que l’ensemble des membres du CRILCQ témoigne sans nul doute d’une même diversité de points de vue que les membres de Spirale face à la question de la laïcité? Sous-entendre le contraire me paraîtrait erroné. Je vous avoue d’ailleurs que, considérant leurs objets de recherche, je ne serais pas étonné si plusieurs d’entre eux affichaient une certaine sympathie pour une forme plus «républicaine» de la laïcité. Mais ce n’est là qu’une impression; et je n’ai hélas ni le temps ni surtout la volonté d’en vérifier l’exactitude. À ce titre, je suis d’ailleurs étonné que vos propres recherches ne vous aient pas permis d’ajouter le nom d’Yvan Lamonde à la liste des collaborateurs avec lesquels nous avons des liens de «consanguinité». Membre du comité d’orientation du CRILCQ depuis plusieurs années, sa présence à la table ronde du 11 novembre explique pour une large part la participation du Centre à cet événement. À ma connaissance, monsieur Lamonde n’est pas un signataire du Manifeste. Mais je puis me tromper…
Si vous consultez le site Internet de Radio Spirale, vous découvrirez que le CRILCQ y est également partenaire de ce projet collectif qui regroupe plusieurs organismes du milieu culturel. Vous pourrez aussi consulter l’émission de la «Librairie Olivieri» et y écouter la table ronde du 18 mai 2010, «Des intellectuelles engagées», qui, sauf erreur, réunissait Caroline Fourest, Fiammetta Venner et Djemila Benhabib. Il nous avait semblé important, lors de leur passage à Montréal, de participer à la diffusion de leur conférence/débat. C’est la raison même pour laquelle Spirale anime ce projet Internet depuis quelques années: assurer un plus large rayonnement à de tels événements qui, autrement, tomberaient rapidement dans l’oubli et l’indifférence. Or le discours de Mesdames Fourest et Venner, quand bien même contesté par certains membres du comité, nous semble néanmoins à tous devoir être entendu si un débat et une réelle réflexion sur ces enjeux doivent un jour avoir lieu.
Monsieur Baril, vous reprochez à Spirale de ne pas «annoncer correctement ses couleurs»; se peut-il que nous l’ayons fait, tout au contraire, mais qu’il puisse vous sembler inacceptable qu’entre blanc et noir nous ne puissions nous accommoder que du gris? Ce qui pour l’heure «fait cruellement défaut», se serait plutôt davantage d’intervenants comme messieurs Leroux, Weinstock et Lamonde qui, lors de la table ronde du 11 novembre dernier, ont discuté convivialement, de manière posée et respectueuse de ces enjeux, sans que ne ressorte dans leurs interventions cette désagréable impression que, «if you’re not with us, you’re against us».
Très peu pour moi.
Bien cordialement,
Patrick Poirier, Directeur
_ Magazine culturel Spirale
Montréal, 17 décembre 2010
Mis en ligne 20 déc. 2010
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Réponse de Daniel Baril
Cher Monsieur Poirier,
Dans votre réponse, vous affirmez que j'ai sous-entendu que Spirale avait cherché délibérément à cacher des choses ou à fausser le portrait de la situation. Il n'y a rien de tel dans mon texte. La chaine de production que je décris est un fait et elle comporte deux niveaux de responsabilité. Celle de Spirale se limite, comme vous le soulignez, à la carte blanche donnée à Georges Leroux et il tombe sous le sens qu'une connaissance partielle du dossier et des enjeux ait pu conduire à un certain excès de candeur. Je perçois fort bien cet état dans votre lettre lorsque vous affirmez que vous auriez pu tout aussi bien signer la Déclaration que le Manifeste: on ne peut être à la fois pour et contre la présence de signes religieux dans les institutions publiques et c'est ce qui distingue les deux positions dans leur répercussion concrète.
Mais je ne saurais accorder ce bénéfice à Georges Leroux et à Jocelyn Maclure qui sont on ne peut mieux au courant de qui dit quoi dans ce débat, que ce soit dans l'avant ou l'après des deux déclarations collectives.
Je maintiens donc que le contenu du dossier présenté n'est pas de nature à «mettre en lumière la diversité des points de vue en cause» dans ce débat comme vous l'affirmez dans votre éditorial.
Par ailleurs, je suis heureux d'apprendre que Radio Spirale a diffusé les propos de Caroline Fourest, Fiammetta Venner et Djemila Benhabib et j'en prends bonne note.
Quant au CRILCQ, je n'ai aucunement cherché à l'associer à la «laïcité ouverte» mais à la revue Spirale en montrant les liens entre certains administrateurs, ce qui ne saurait en soit constituer un reproche. Mais ce lien avec le milieu universitaire nous met en droit de nous attendre à des normes un peu plus serrées que celles qui semblent avoir conduit à la confection du dossier. Or, un simple regard sur ce qui se passe en milieu universitaire sur cette question nous montre qu'il y a quelque chose qui cloche et c'est là que le bât blesse.
Bien à vous,
Daniel Baril
20 décembre 2010
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