La quasi-reine du Canada de passage en France

L'affaire de la "reine-nègre" - VLB


Il y a sept mois le Service culturel de l’Ambassade du Canada me proposait
de participer à un séminaire d’une journée portant sur le sens et la
signification du 400e anniversaire de la fondation de la ville de Québec
par Samuel de Champlain. Comme cette journée devait se tenir bien avant le
lancement français de ces fêtes, j’ai accepté l’invitation qui d’ailleurs
m’avait surpris. Certes il m’arrive de participer aux activités de
l’Association française d’études canadiennes (AFEC), mais je n’entretiens
aucune relation particulière avec les divers services de l’Ambassade, qui
choisissent avec soin les intervenants des manifestations qu’ils
organisent. Cette journée devait se tenir en janvier, puis en mars, pour
différentes raisons elle a été déplacée le 24 mai (à la Maison des
États-Unis à Paris).
Le contexte a changé : non seulement cette journée n’est plus en marge,
mais le lancement des fêtes du 400e anniversaire a eu lieu à La Rochelle la
semaine dernière. Il m’a laissé un goût amer, entre tristesse et colère. Je
n’ai apprécié ni la forme ni les propos qui y ont été tenus, notamment par
celle que Le Monde - et la presse française à sa suite – a qualifié de «
quasi-reine » du Canada. Aussi, ai-je décidé de ne pas participer au
séminaire du 24 mai et de me dissocier de tout ce qui est fait et dit sur
cette fête, en France comme au Canada.
Comme le faisait remarquer à juste titre Denise Bombardier, de passage en
France pour le lancement de son dernier livre : la présence de la
gouverneure générale, représentante de la Reine Elizabeth II, figure
avantageusement dans le théâtre de la « pipolisation » de la vie politique
française. Les bien-pensants acquiesceront, mais au-delà des hochements de
têtes, ne convient-il pas de se pencher sur la pièce qui s’est jouée à La
Rochelle ? Cette pièce ne concerne pas à vrai dire les Français, ou si
peu. N’empêche, ils ont été mis à contribution, comme la marque ou le
symbole « France ». Que peut-on en dire ?
Tout d’abord que la présence de la quasi-reine du Canada au lancement
français des célébrations du 400ème anniversaire de la ville de Québec
n’est pas le fruit du hasard, mais, selon toute apparence, le fait d’un
script achevé. Ce serait faire insulte à la France de prétendre que cette
visite n’a pas été planifiée de longues dates entre les deux États, dont,
comme il va de soi, l’Ambassade de France à Ottawa. Les rôles ont été
soigneusement distribués, les discours ont été travaillés, les plans de
tables d’honneur établis.
Il est aussi intéressant, me semble-t-il, de savoir que le principal
auteur de la pièce, le premier ministre du Canada, s’est opposé à la venue
de la reine Élizabeth II aux fêtes marquant cet anniversaire. Sage
décision. Cela voudrait-il dire que ce symbole politique signifierait,
finalement, quelque chose ? Sinon, pourquoi un gouvernement empêcherait-il
le chef de l’État qu’il dirige de venir célébrer avec son peuple en son
royaume ? Serait-ce dû au fait que Élizabeth II est reine du Canada parce
qu’elle est reine d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande du nord, chef d’État
du Royaume-Uni, charge éminemment britannique avant d’être canadienne ? Y
aurait-il de ce fait quelque chose qui pouvait brouiller le sens et la
signification de la fête ?
Que le Canada soit en France représenté par une charmante et volubile
personne, n’est-ce pas faire honneur aux colons français et à leurs
descendants, dont de Gaulle a déjà qualifié « d’immense » l’œuvre
accomplie en Amérique du Nord. Un aspect de l’affaire semble avoir été
oublié : puisque la chef de l’État canadien, la reine Élizabeth II, n’est
pas digne d’être invitée aux fêtes du 400ème, n’est-il pas du devoir de sa
représentante de s’abstenir. Car, faut-il le rappeler, la gouverneure
générale n’est pas chef d’État, elle ne peut en conséquence en faire plus
que celle qu’elle représente et, encore moins, parler plus que cette
dernière ne le fait. Si donc, le chef de l’État canadien est personna non
grata
aux fêtes marquant la fondation de la ville de Québec, la gouverneure
générale ne l’est pas non plus, ni au Québec ni ailleurs.
Quel sens donner alors à ce périple outre-atlantique de la représentante
canadienne de sa Majesté. Tout indique qu’on y célèbre la seule
interprétation valable à la présence française en Amérique : « tout cela »
n’a pu, ne peut et ne saura servir qu’à l’édification du Canada tel que se
le représente, le conçoit et le dirige la majorité anglo-canadienne. Ainsi,
pour le chef du gouvernement canadien, la présence de la gouverneur
générale en France se justifie du fait que Champlain fut le « premier d’une
longue série de gouverneurs ». La boucle est bouclée, le sort, jeté, le
sens de l’histoire, fixé.
Cette pièce ressemble à un « remake ». C’est le 235e anniversaire du
traité de Paris qui, en 1763, scellait le sort de la Nouvelle-France, et
non le 400e anniversaire de la ville de Champlain, qu’ont rejoué et célébré
à La Rochelle les mêmes acteurs : l’État français et la Couronne
britannique. Célébré avec faste à Versailles et grand bruit dans les rues
de Paris, ce traité mettait fin à la guerre et plaçait dans la colonne des
pertes et profit de l’histoire le peuple canadien, né de la colonisation
française.
A La Rochelle, on a bien pris soin d’exclure des discours de la
gouverneure générale, qui ne lit que ce qui est écrit, c’est sa fonction,
des mots comme « colons français », « peuple canadien-français », « nation
québécoise » (que pourtant reconnaît le parlement canadien), ou tout
simplement « le Québec ». Comme Champlain, qui voyait loin, la France a été
conviée à regarder « au-delà » du Québec. Cette Québécoise d’origine
haïtienne, qui a grandi dans une petite ville au sud de Montréal, fait
aujourd’hui partie de l’arsenal des relations publiques du Canada, plus
particulièrement au Québec, et à l’étranger, plus particulièrement en
France. Par la magie du discours officiel canadien, elle est devenue : «
une femme issue de l’immigration », « une descendante d’esclaves », un «
produit du multiculturalisme canadien » et le « symbole vivant du Canada »,
là où règne la bonne entente entre les « peuples », les « races » et les «
genres », là où l’histoire, la géographie et les idéologies politiques
particulières se fondent dans une histoire commune. Aussi, à Bordeaux, une
journée après La Rochelle, la gouverneure générale du Canada est-elle venue
aider les Bordelais à exorciser leur passé esclavagiste. A cette occasion,
le représentant du peuple de la province de Québec a été exclu de la table
d’honneur et relégué au rang d’invités parmi d’autres ; il a eu la dignité
de quitter la salle où se tenait le repas.
Tout cela ne concerne que peu les Français. Quant à la diplomatie
française, elle redira cette semaine au premier Ministre québécois de
passage à Paris, puis lors de la visite de M. Raffarin à Québec la semaine
suivante, les liens d’amitié qui lient les peuples québécois et français.
C’est connu, avec les provinces, les sentiments suffisent. Dorénavant je
sifflerai ces propos au fond méprisants. Comme je compte siffler tous ceux
et celles qui, en France et au Canada, sur les podiums de France et du
Québec, tenteront de nous dire le sens qu’il faut donner à cet
anniversaire. Au moins la fête aura un sens. Enfants de la patrie, à vos
sifflets.
***
Louis Dupont, géographe, directeur de la revue Géographie et cultures,
université Paris-Sorbonne (Paris 4). L’auteur est né au Québec.
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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Géographe, directeur de la revue {Géographie et cultures},
université Paris-Sorbonne (Paris 4). L’auteur est né au Québec.





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