La préférence fédéraliste

La priorité qui s’offre aux québécois ne serait-elle pas de relancer le processus de révision constitutionnelle?

Tribune libre - 2007

REGARD CRITIQUE SUR LES OPTIONS POLITIQUES DU QUÉBEC

«Je rêve un Canada français autonome,

Une vraie Nouvelle-France…»
Jules Paul Tardivel, 1890
Le Québec français est en soi un miracle d’adaptation et d’opportunisme. L’échec de la colonisation française en Amérique du Nord, consommé par le Traité de Paris de 1763, aurait pu signifier sa disparition pure et simple, car la colonisation anglaise qui s’en est suivie lui était au moins aussi hostile que sympathique. La colonisation culturelle et économique exercée par les États-Unis ne permet pas d’envisager l’avenir sans inquiétude. Néanmoins, le Québec fêtera en 2008 quatre siècles d’enracinement français en Amérique du Nord. Le rêve dont parle Jules Paul Tardivel ne s’est pas éteint et nos mères, selon Madeleine Gleason-Huguenin (1912), y ont largement contribué :

« Il faudrait le défilé des mères qui n’ont jamais cessé de chanter auprès des berceaux, pour comprendre comment il se fait que deux siècles et demi ont passé sur nous sans rien changer à notre idéal, sans rien entamer de notre langue et de notre religion. Les mères étaient là au lendemain de la défaite, des grands héros qui, dans Québec, succombèrent sous la traîtrise et le nombre; elles étaient là les mères, meurtries, brisées, mais non vaincues. Elles portaient en elles la force qui assure les définitifs triomphes, et l’âme ulcérée, elles courbèrent la tête et se penchèrent sur les tout-petits, en jurant que là ou les hommes avaient échoué, les femmes réussiraient, et, de ce jour nous les avons vu à la tâche…» (1)

Cette touchante déclaration “féministe” avant la lettre, presque triomphaliste même, fait une place à la religion qu’elle n’a probablement plus de nos jours, quoique le préambule de la loi constitutionnelle canadienne de 1982 fait référence à ce corpus religieux : « Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit. » Par contre, la “foi” en la culture française demeure encore bien vivace chez la majorité des québécois et dans la transmission de ce patrimoine culturel, les mères ont certainement joué un rôle déterminant.
Le cinéaste Pierre Perrault partage le même rêve (1992) qu’il associe clairement à la réalisation d’un projet politique cohérent, la création d’un foyer national pour les français d’Amérique :
« Je plaide coupable de n’attendre que ce moment-là. Coupable d’en rêver. De rêver d’un pays. D’un tout petit pays. Je ne réclame pas un empire. Je ne demande qu’une parcelle de l’empire. Je réclame à l’anglophonie triomphante qui possède l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande, qui occupe l’Australie, la Nouvelle-Zélande l’Afrique du Sud et le sud de l’Afrique, rien de moins que les minuscules États-Unis, les territoires du Nord-Ouest et les îles de l’Arctique, j’ose réclamer une toute petite province que j’ai défrichée de père en fils durant quatre siècles. Et mon nationalisme leur paraîtrait mesquin. Il l’est en effet : je suis sans ambition. Je me contenterais de ce qui m’appartient. Je n’ai aucune envie de conquérir. Ni la terre des autres. Ni l’âme de tout le monde… Ils occupent déjà la moitié de la planète. Ils sont en train de coloniser l’autre. Et ils pensent qu’ils n’ont rien à partager…» (2)

“L’anglophonie triomphante” dont parle Perrault représente 305 millions de personnes en Amérique du Nord, 282 millions aux États-Unis, 23 millions au Canada, comparativement à 6 millions de francophones québécois et près de 1 million de francophones hors Québec. Les français d’Amérique ne représentent que 2,3 % de la population anglophone et le ratio n’est pas près de s’inverser, compte tenu du faible taux de remplacement des générations et du taux important de mortalité violente (accidents, homicides, noyades et suicides) chez les jeunes adultes masculins du Québec.
Qu’il en découle un sentiment de fragilité ou de vulnérabilité identitaire chez les francophones et que ce sentiment se traduise par la recherche inlassable, soit d’une reconnaissance constitutionnelle spécifique, soit d’une affirmation nationale émancipatrice ne devrait pas surprendre. Aux États-Unis, ils étaient 8,3 millions d’américains à déclarer une ascendance d’origine française lors du dernier recensement effectué en 2000, mais les citoyens de ce pays se considèrent d’abord comme américains, de culture anglaise, et tout est fait depuis l’école pour le leur rappeler. Aucun n’a le privilège de vivre dans sa culture d’origine. Le Canada a choisi une autre avenue, a priori moins radicale que le melting-pot culturel, le multiculturalisme, mais cette voie n’enlève rien au pouvoir d’attraction de la culture dominante en Amérique du Nord.
La constitution canadienne de 1982 ne répond pas aux préoccupations culturelles des francophones. On y parle du Canada, des provinces et une dizaine d’articles sont consacrés spécifiquement au Nouveau-Brunswick, un clin d’œil à sa population acadienne, 236 000 francophones, dont les ancêtres ont eu largement leur part d’arbitraire et de souffrances.
L'Accord du lac Meech signé en 1987 par le premier ministre Brian Mulroney et par les dix premiers ministres provinciaux aurait inscrit dans la Constitution même une reconnaissance du Québec en tant que société distincte. L'Accord aurait également limité le recours au pouvoir fédéral de dépenser en accordant aux provinces le droit de se désister, avec indemnisation, de tout programme à frais partagés relevant de la compétence provinciale. Il aurait précisé les pouvoirs provinciaux en matière d'immigration, imposé le choix de trois des neuf juges de la Cour suprême parmi les membres du Barreau civil du Québec, et modifié la procédure d'amendement en exigeant le consentement unanime dans le cas de certains changements institutionnels. L'accord est tombé en nullité parce que les assemblées législatives du Manitoba et de Terre Neuve ne l'ont pas ratifié dans le délai prescrit de trois ans. Or, ces deux provinces, ne représentant que 5 % de la population canadienne, ont eu le pouvoir démesuré de bloquer l’évolution constitutionnelle du pays pour plusieurs années. Ce n’est pas là, à proprement parler, un fleuron des plus glorieux de la démocratie canadienne, compte tenu que selon la constitution, toute modification affectant le partage des compétences doit recevoir l’aval du Parlement fédéral et des législatures d’au moins sept provinces dont la population confondue représente au moins 50 % de la population totale des provinces, ce qui était largement acquis à l’époque.
Au contraire, après le rejet de l’Accord du lac Meech, l’entente sur l’Union sociale entre les provinces et le gouvernement fédéral, excluant le Québec, signée le 4 février 1999, autorise le fédéral à réinvestir dans les programmes sociaux en s’arrogeant des compétences qui relèvent normalement des provinces, et ce, avec l’accord tacite des provinces signataires, mettant encore une fois le Québec en mode défensif.
Cette évolution du fédéralisme canadien est devenue une constante. Si on ne peut reprocher au Canada anglais représentant plus de 75 % de la population canadienne de vouloir se définir un pays à sa convenance, selon les règles démocratiques usuelles, en contrepartie, cela signifie clairement que le wagon québécois est désormais solidement arrimé quelque part derrière la locomotive fédérale, parmi les autres provinces canadiennes, et il ne lui sert plus à rien de s’égosiller à apostropher le conducteur qui a reçu l’aval des canadiens pour construire l’identité canadienne selon les vœux de la majorité constituante.
Le Québec ne peut plus penser imposer ou satisfaire pleinement ses aspirations nationales à l’encontre des aspirations de la majorité, encore moins espérer former un pays à l’intérieur du pays canadien. Les tensions récentes autour du contrôle de la radio par satellite, de la représentativité du gouvernement québécois en matière de relations internationales dans ses champs de compétence ou encore, de la réglementation fédérale des marchés financiers, laquelle suppose pour certains l’abolition des commissions provinciales, alors même que le gouvernement québécois vient à peine de créer l'Agence nationale d'encadrement du secteur financier, sont quelques exemples de la guérilla juridico administrative permanente à laquelle se livrent le Canada et le Québec. Une guérilla coûteuse, malheureuse et stérile qui ne peut que lasser la population et conduire à l’épuisement politique de la partie minoritaire.
Si le Québec ne peut imposer ses vues, parce qu’il n’est pas maître de l’agenda politique canadien, cela ne signifie nullement par contre que l’épopée des français d’Amérique doive se terminer en queue de poisson, dans un vide ou un non-lieu historique absolu. Ce serait tout à fait absurde d’abdiquer de la sorte, se faire injure incroyablement, après avoir parcouru le continent de Port-Royal aux Rocheuses, de la Baie d’Hudson à l’embouchure du Mississipi et après avoir tant lutté, tant résisté pour implanter, conserver et développer l’héritage culturel des premiers colons français sur ce continent. Il faut comprendre et faire comprendre, si c’est encore nécessaire, que la personnalité intrinsèque du Québec, son âme en quelque sorte, ne repose pas sur les gains sociaux et économiques formidables des 45 dernières années dans tous les domaines des sphères publiques et privées, en santé, en éducation en matière de développement économique et financier, mais essentiellement dans sa personnalité française, son acharnement à vouloir vivre dans cette culture et à en assurer la pérennité. Et ce n’est pas facile, semble-t-il, d’être bien compris sur ce plan.
Allan Greer mentionne que « pour Francis Parkman, historien de la Nouvelle-Angleterre de l’ère victorienne, presque chaque aspect de la société de la Nouvelle-France est frappé du sceau du despotisme royal et écrasé par une église outrecuidante : la colonie souffre d’une tare irrémédiable, la Providence la destine donc à l’inévitable défaite. Plus tard, les historiens fidèles à la tradition de Parkman, américains et canadiens anglais, considérerons eux aussi la société de la Nouvelle France comme intrinsèquement déficiente. » (3)
Il est probable que cette mentalité, ce “chauvinisme de grande nation”, ces préjugés soient toujours dominants chez les canadiens anglais, et nuisent à l’évolution du fédéralisme canadien. Peut-on malgré tout espérer être compris, acceptés et respectés par les autres canadiens dans ce choix qui est nôtre de demeurer français en Amérique? Est-il encore pensable et possible d’obtenir que d’ici les fêtes du 25è anniversaire de la constitution canadienne, en 2007, le Québec y retrouve la reconnaissance de son statut de foyer national des français d’Amérique du Nord assortie d’un partage clair des compétences constitutionnelles dans les sphères les plus sensibles : la famille, la langue, la culture et l’éducation? Cet enjeu est capital.
La priorité qui s’offre aux québécois ne serait-elle pas de relancer le processus de révision constitutionnelle? Réintégrer par la grande porte la constitution canadienne en proposant un Lac Meech bonifié est une proposition qui peut paraître frileuse par rapport au rêve fabuleux de créer un foyer national pour les français d’Amérique. Mais ne faut-il pas avoir le courage de ses prétentions? Car, choisir la voie de la sécession suppose une cohésion morale, sociale et politique à toute épreuve, une préparation de tous les instants, une conviction et un engagement sans failles que nous n’avons pas et que n’ont pas même ceux qui préconisent la sécession. En 37 ans d’existence, les maîtres à penser de la souveraineté du Parti québécois n’ont jamais été capables de poser à leurs compatriotes la seule question franche et honnête qui s’imposait – « Voulez-vous que la province de Québec devienne un pays souverain? » Point à la ligne. Faut-il rappeler que le référendum de 1980 ne portait pas sur la souveraineté du Québec, mais sur un projet quelconque d’amendement constitutionnel. Même le référendum de 1995 secondarisait la souveraineté à une offre formelle de partenariat. Comment s’étonner ensuite que l’électorat ne croit pas des gens dont les convictions fragiles se limitent à des stratégies politiciennes?
Certes, avec des mots et quelques coups de plume il est aisé de défaire un pays, ou d’en créer un nouveau. Mais la réalité n’est pas aussi simple. Ceux qui ont besoin de s’en convaincre devraient relire l’histoire des États Unis, surtout le chapitre qui porte sur la guerre d’indépendance de ce pays, une guerre qui a duré six ou sept ans, ou encore consulter attentivement la carte géographique de l’Amérique du Nord et se demander honnêtement si le Canada anglais et les États Unis par le fait même vont accepter facilement de se retrouver avec deux canadas, un à l’est, l’autre à l’ouest, avec un nouveau pays au centre? Ils devraient aussi s’interroger sur le sort social et économique réel des pays, notamment africains, qui ont accédé à leur indépendance au cours des années 60. Plusieurs ont connu des gouvernements nationaux despotiques pour ne pas dire génocidaires, gouvernements au moins aussi prédateurs que ceux des pays colonisateurs de jadis.
Oui, il faut avoir des ambitions à la mesure de son courage et surtout ne pas en avoir honte, car de quoi s’agit-il enfin, si ce n’est de l’avenir et de la sécurité de 7,5 millions de personnes, qu’elles soient nées de souche française ou nées hors de cette souche. La population du Québec n’a pas à cautionner l’amateurisme, les chicanes et les lubies des politiciens et certainement pas à en faire les frais. Et à la limite, le statu quo est nettement préférable à l’aventurisme mal préparé.
Il faut reconnaître que même si le Québec n’a pas signé la constitution canadienne de 1982, celle-ci fait du français l’une des deux langues officielles du Canada au même titre que l’anglais. Le statu quo actuel n’empêche nullement par ailleurs la province de vaquer à ses affaires, de défendre ses intérêts sur toute les tribunes qui s’offrent à elle, y compris au Conseil de la fédération. En outre, la situation sociale et économique actuelle du Québec, loin d’être désespérée, continue d’évoluer de façon positive, malgré toutes les embûches rencontrées. Parlant du modèle québécois, Jean-François Lisée précise que « nous sommes donc en présence d’un modèle économique qui fait croître la richesse, depuis au moins une décennie, plus vite que chez ses voisins. L’Institut de la statistique du Québec parle d’un « rattrapage significatif » dû à une meilleure compétitivité de notre économie. Pour la première fois de son histoire, le Québec a dépassé le Canada pour son revenu médian et va bientôt le rattraper en termes de richesse par habitant. » (4) Peut-être s’agit-il d’une perception trop triomphaliste de la réalité québécoise qui ne tient pas compte de sa fragilité intrinsèque. Mais, tout colonisé qu’il puisse être, le Québec se classe tout de même dans le peloton de tête parmi les 195 pays recensés par l’ONU.
La perspective d’élire pour la énième fois un “bon” gouvernement provincial avec mandat de faire un jour un référendum sur la souveraineté que, de toute façon, la loi fédérale C 20, adoptée en 1999, encadre et limite déjà solidement n’est guère prometteuse. Devoir revivre les scènes disgracieuses du référendum de 1995, mises en lumière par l’émission de Radio-Canada de septembre 2005, Point de rupture, revoir des canadiens français s’invectiver joyeusement, se postillonner copieusement au visage comme de vrais colonisés, voir un leader souverainiste humilié par un autre leader souverainiste, ou se faire faire la leçon par les carriéristes, les opportunistes de tout acabit qui sont montés à Ottawa pour supposément défendre les intérêts de leurs compatriotes du Québec n’a rien de réjouissant.
N’est-il pas préférable que les tensions inhérentes au fédéralisme canadien soient traitées et résolues à la manière canadienne, par des discussions ouvertes, des négociations franches, et la recherche de consensus, comme les grands politiques que furent Louis-Hippolyte La Fontaine, Georges-Étienne Cartier, Wilfrid Laurier ou Louis Saint-Laurent le firent en leur temps?
Et si un jour la province de Québec devait choisir la sécession, parce que la discussion n’est plus possible, la population devra être parfaitement bien informée et prête à en assumer les conséquences politiques, économiques et sociales. Mais avant d’en arriver là, il faudra résoudre le paradoxe suivant : si un jour le dialogue devait s’avérer impossible dans le cadre fédératif actuel, alors comment sera-t-il davantage possible hors de ce cadre?
___
1. FERRETTI, Andrée et Gaston Miron. [Les grands textes indépendantistes 1774-1992->4255], Éd. Typo, 2004, p. 631.

2. Ibidem, p.621-626.
3. GREER, Allan. Brève histoire des peuples de la Nouvelle-France, Éditions du Boréal, 1997, p.11-14.
4. LISÉE, Jean-François. Un mauvais procès au modèle québécois. Étude des pièces à conviction, Options CSQ no 23, 2005.
Yvonnick Roy

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