La nébuleuse idéologique des Jeunes péquistes

Le français — la dynamique du déclin

Minorité anglophone. Il y a quelque chose de choquant dans ce mot. Un peu comme si, à l’époque de Jules César, on parlait de minorité romaine, ou de minorité mongole à l’ère de Genghis Khan, de minorité française sous Napoléon ou de minorité allemande à l’ère du Troisième Reich; peut-on sérieusement plaindre les anglophones vivant au Québec et les considérer comme une pauvre minorité opprimée par les méchants Québécois? Il faudrait pourtant le faire, selon Jessy Héroux, secrétaire-trésorier des Jeunes péquistes de la Capitale-Nationale.

En effet, dans un message qu’il a publié sur mon profil Facebook, il m’accuse de « maltraiter la minorité anglophone », de traiter avec dégoût « près du 1/5ème de la population du Québec » et de ne pas voir la différence soi-disant fondamentale entre les anglophones qui envoient « leurs enfants dans des écoles anglaises ou encore que des commerces [qui] refusent de servir des clients en français et le fait de traiter cette minorité avec dégoût ». Et pourquoi cette réaction aussi vitriolique que maladroite? Parce que j’avais osé prétendre qu’il fallait communiquer en français avec les anglophones pour leur lancer le message que la langue commune, au Québec, est le français.
Un cinquième de la population. Le chiffre frappe, non? En fait, c’est 8,2% de la population qui est de langue maternelle anglaise au Québec. Vingt pour-cent, c’est le pourcentage de la population n’ayant pas le français comme langue maternelle, un chiffre en constante progression. Quand M. Héroux, qui du reste joue parfaitement son rôle de propagandiste pour les mollassons que sont les Jeunes péquistes, assimile automatiquement les allophones à l’anglais, que nous dit-il, en fait? Il nous affirme que sa vision du Québec en est une où le français constitue une langue défensive, une langue de repli, qu’on doit chuchoter entre consanguins et rapidement oublier devant l’autre. Il jette aux oubliettes toute velléité d’intégration des immigrants et des allophones à notre langue commune.
Ainsi, nous, Québécois, serions de durs tortionnaires contre une pauvre minorité opprimée dont il conviendrait de défendre la culture et la langue. Un peu plus et le gai luron secrétaire de Québec se lancerait-il dans une campagne spéciale pour nous inciter à parrainer un anglophone. Avoir su, il aurait fallu l’inviter à distribuer des bons de contournement de la loi 101 permettant aux anglophones d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise… N’aurait-il pas été coquet avec une toge?
Qu’importe si nous ne représentons même pas 2% de l’Amérique du Nord; qu’importe si les institutions anglophones sont sur-financées; qu’importe si notre poids démographique diminue; qu’importe si la langue anglaise, appuyée par un pays aussi puissant que les États-Unis, soit devenue le rouleau-compresseur des cultures minoritaires; qu’importe si on demande de plus en plus l’anglais aux Québécois sur le marché du travail; qu’importe si la vitalité de l’anglais à Montréal et dans les banlieues dépasse celle du français. Non, non, vous n’y êtes pas. C’est l’anglais qui est en danger et il faut absolument – je répète, absolument – défendre la minorité anglaise sans défense contre les dangereux Québécois…
Aurions-nous idée d’une moutonnerie aussi totale si elle ne venait pas de la part d’un individu se réclamant du Parti Québécois? Un parti dont la cheffe a fait de l’apprentissage de l’anglais sa priorité, où l’ex-chef Bernard Landry a qualifié McGill de « fleuron » du Québec, où l’ex-ministre Louise Harel, dans son pathétique discours de perdante lors des élections municipales de Montréal, a sciemment parlé dans un anglais massacré au lieu d’utiliser la langue commune des Québécois, où Lucien Bouchard a fait reculer l’apprentissage de l’anglais de la quatrième à la troisième année du primaire… L’histoire récente du Parti Québécois en est une de déni du danger du français au Québec et de glorification d’un bilinguisme qui, dans notre contexte de minorisation croissante, ne peut que nous mener vers l’assimilation.
En fait, il faut faire preuve d’une telle gymnastique intellectuelle si on veut suivre la nébuleuse idéologique de Jessy Héroux et de son parti, qu’on en vient presque à se demander si ceux qui y croient le font après réflexion ou par intérêt personnel. D’un côté, selon le sous-fifre des Jeunes péquistes de Québec, il serait mal d’exiger le français dans nos rapports sociaux au Québec. Exiger de pouvoir interagir dans la langue officielle du Québec, notre langue de naissance, notre langue commune, serait une marque de dégoût. Mais de l’autre, il serait souhaitable de refuser l’accès aux écoles anglaises à la « minorité » anglophone. D’un côté on maltraiterait la « minorité » anglophone en leur parlant en français, mais de l’autre il faudrait exiger de se faire servir en français dans un commerce. Vous y comprenez quelque chose?
Il faut être cohérent: ou bien on considère que l’anglais est une langue légitime, une seconde langue officielle au Québec (en attendant de devenir la première), et on se débarrasse de la loi 101 et de toutes les lois linguistiques brimant la pauvre « minorité » anglophone, ou bien on considère que le français est assez en danger et constitue une fierté et une valeur assez importantes pour se donner les moyens de le défendre. Ou bien on considère le français comme une béquille dans un monde où l’anglais devrait constituer la lingua franca internationale même entre les citoyens de notre propre nation, ou bien on affirme la nécessité de viser la pluralité linguistique et culturelle de ce monde en sauvant notre diversité. Ou bien on signe la capitulation de notre histoire et on adopte, finalement, la langue des vainqueurs un quart de millénaire plus tard, ou on continue à se battre et à réclamer le droit d’exister d’une manière différente, selon des valeurs qui nous sont propres. Il faut choisir.
Or, le Parti Québécois et ses grouillots ont décidé depuis longtemps. Ils ont statué qu’au-delà des mots, au-delà des discours forcés de Pauline Marois, au-delà des belles déclarations sur le débat identitaire, une vérité demeure: il ne faut pas faire de vagues. On peut parler d’indépendance, mais on ne doit pas faire de référendum; on peut parler d’identité, mais on ne peut pas réduire l’immigration; on peut parler de langue, mais il ne faut surtout pas s’attaquer aux privilèges des anglophones de Montréal; on peut parler de survie, mais il faut absolument et impérativement se hâter à parler anglais à quiconque en ferait la demande! L’indépendance est devenue une marque de commerce banale devant se faire sans rupture avec un quelconque ordre établi et n’impliquant aucun gain significatif pour le peuple québécois.
Dans un parti politique sainement constitué, les jeunes sont des vecteurs de changement. Quand ils se contentent d’être des béni-oui-oui répétant les mêmes dogmes que leurs ainés en espérant un jour rejoindre la classe vieillissante des apparatchiks bedonnants, ils ne servent plus à insuffler l’énergie vitale permettant au parti de se renouveler, mais ils contribuent, de par leur attachement à des idées désuètes et gangrenées, à l’enterrement définitif des idéaux qu’ils prétendent défendre.
Jessy Héroux n’est qu’un exemple parmi d’autres. J’aurais sûrement pu nommer presque tous les Jeunes péquistes. Quand la méthode remplace le but et quand le but remplace l’idéal, ce ne sont plus des bergers qui mènent les moutons, mais des abatteurs. Et quand ce sont des Québécois eux-mêmes qui se font les plus grands défenseurs de la majorité anglophone, on mesure mieux tout le chemin qu’il reste à parcourir avant d’assurer la survie de notre langue et de nos valeurs.


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