La nation est de retour

17. Actualité archives 2007

par André Fontaine

Tant d'élections ont eu lieu de par le monde depuis l'invention du suffrage universel que, à chacune de ces mises à l'épreuve, les candidats ont de plus en plus de mal à imaginer thèmes de campagne et slogans séduisants. C'est ainsi que Ségolène Royal a signé des millions de tracts et d'affiches au nom d'une « France présidente » dont personne ne sait ce qu'elle signifiait au juste. Il en va tout autrement du pavé que Nicolas Sarkozy a lancé dans la mare avec l'annonce qu'il comptait confier « l'immigration et l'identité nationale » à un ministre particulier. Il a plus que tenu parole, puisque l'impressionnant Brice Hortefeux y ajoute les portefeuilles de l'intégration et du développement. En rassurant de nombreux électeurs de droite qui ne votaient FN que faute de mieux, le nouveau petit caporal pourrait bien s'être assuré le succès stratégique décisif qui lui a permis de l'emporter largement.
La nation est de retour, et pas seulement en France. Le discours de Jean-Marie Le Pen « recueille d'autant plus d'échos, avait pu écrire, en 1997 dans Vive la nation, ce rénovateur de la géographie qui a pour nom Yves Lacoste, qu'il est lancé dans le silence que l'on fait, à droite comme à gauche, sur la nation. Loin d'être gêné par ses outrances, Le Pen s'en sert pour être le seul à tenir le discours qu'il prétend national. En effet, ceux qui voudraient parler de la nation autrement y renoncent pour ne pas avoir l'air de reprendre à leur compte des propos scandaleux, mais aussi faute d'une argumentation efficace pour contrer celle du Front national ».
Si pourtant un pays peut se prévaloir d'une forte identité, c'est bien le nôtre ! Comme l'a montré Colette Beaune dans Naissance de la nation française (Gallimard 1985), le sentiment national français ne date pas d'hier. Il « s'est construit lentement durant tout le Moyen Age, cet État de hasard qu'était à l'origine le royaume capétien voyant ses limites reconnues comme idéologiquement nécessaires ».
À cette époque, les nations les plus chrétiennes s'imaginaient volontiers sous les traits de lions, d'aigles, de léopards et autres bêtes de proie. Les lys de l'écu de France étaient plus pacifiques, mais il arrivait au coq gaulois de donner dans l'arrogance, les querelles dynastiques, les énormes ambitions territoriales qui le faisaient détester. Il y a eu cependant peu d'États où la Renaissance ait mieux mérité son nom, aucun autre dont le roi ait eu autant de titres à se comparer en toute simplicité au Soleil. Où un empereur, qui, Taine dixit, aimait la France comme un cheval, ait conquis la quasi totalité de l'Europe, assurant que « le plus beau titre sur la terre est d'être né français ». Il est vrai que, né un an plus tôt, lui-même n'aurait pas eu ce privilège.
Michelet a porté cette exaltation à son zénith dans son célèbre Tableau de la France en écrivant que, « si les nations peuvent se classer comme des animaux, la France, elle, est une personne ». Une femme, cela va sans dire, et la beauté même. Le général de Gaulle la comparera à « une princesse des contes », à une « madone aux fresques des murs (...) vouée à une destinée éminente ». Fernand Braudel, le génial historien de l'école des Annales, écrira en 1986 en tête de son énorme Identité de la France : « Je le dis une fois pour toutes : j'aime la France avec la même passion, exigeante et compliquée, que Jules Michelet. Sans distinguer entre ses vertus et ses défauts, entre ce que je préfère et ce que j'accepte moins facilement. »
Plus personne aujourd'hui ne songerait à employer ce langage, mais en même temps c'est un fait que les idéologies antinationales qui s'étaient massivement développées en Europe à partir des révolutions de 1848 et de 1917 ont perdu énormément de terrain. Le Parti communiste français, qui, sur l'incitation de Staline, avait abandonné, en 1935, son antimilitarisme originel pour se rallier à la notion de défense nationale, avait recueilli 28,2 % des voix aux législatives de 1946. La souriante Marie-George Buffet a dû se contenter, cette année, de 1,93 % ! Et les Démocrates de gauche italiens, derniers héritiers du plus puissant Parti communiste de la diaspora (34,4 % des voix aux législatives de 1976), s'apprêtent à fusionner avec la Démocratie chrétienne !
ORGANISER UN PEU LE GLOBE
La Chine, seule avec la Corée du Nord, le Vietnam et Cuba, à se réclamer encore du communisme, a tendance à lui préférer le veau d'or et une nouvelle forme du « nationalisme intégral » cher à Maurras. La Russie cherche facilement des poux dans la tête de ses voisins ex-soviétiques. On nous fait souvent remarquer que les conflits qui ensanglantent, des confins indo-pakistanais au Levant, à la corne de l'Afrique, une grande partie de l'Orient, sont essentiellement de nature religieuse et non nationale. Ce n'est que partiellement vrai, dans la mesure où le djihad a pour objectif déclaré le départ du « dar el Islam » des « juifs » et des « croisés » et où la moitié des Palestiniens se refusent à donner à leur cause une autre dimension que nationale. Et l'Iran mélange agréablement les deux facteurs, en y introduisant un aspect nucléaire annonciateur des peurs de demain.
L'Afrique n'est pas mieux lotie où, du Nigeria au Biafra, du Rwanda au Darfour et à la Somalie, il y a toujours plusieurs guerres, civiles ou non, la plupart du temps très meurtrières, dont les casques bleus sont loin de venir à bout. La Colombie s'enfonce dans une guerre interminable et Hugo Chavez, le maître du Venezuela, se pose de plus en plus en héritier de Fidel Castro. Nulle part n'a vraiment vu le jour un regroupement fédéral, de quelque ampleur, pas même en Europe, où les pères fondateurs des années 1950 croyaient bien pourtant la partie gagnée.
L'élargissement, les vetos français et néerlandais de 2005, l'allergie à toute délégation de souveraineté d'une Grande-Bretagne plus fière d'elle que jamais, enlèvent toute vraisemblance au grand rêve des années Jean Monnet. Mais, en même temps, le poids de l'Amérique n'est plus ce qu'il était, les Nations unies sont trop atomisées pour faire face aux innombrables défis du monde contemporain, pour qu'on puisse se passer d'organiser un peu le globe.
L'accord récent sur l'Irlande du Nord, la relance européenne que Paris et Berlin appellent de leurs voeux, la détermination de la chancelière Angela Merkel vont dans le bon sens. Ce serait bien le diable si Gordon Brown, le nouveau chef des travaillistes, qui s'apprête à succéder à Tony Blair à la tête du gouvernement britannique, ne parvenait pas à s'entendre avec la dynamique équipe qui vient de s'installer au pouvoir à Paris avec, entre autres ambitions, celle de réconcilier le pouvoir, la nation et l'Europe.
André Fontaine


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