La mort du bilinguisme

Actualité québécoise - de la dépendance québécoise et du triomphalisme canadian

Le bilinguisme à la canadienne est mort. Pierre Elliott Trudeau avait bien tenté de faire revivre, dans les années soixante-dix, l’idée d’un pacte entre anglophones et francophones offrant respectivement des privilèges à leurs minorités nationales – anglophone au Québec, francophone dans les autres provinces – mais un sondage publié il y a quelques jours a démontré la fin de cette utopie: le français est devenu inutile pour les Canadiens. Seuls les Québécois, bons joueurs jusqu’à en disparaître, croient encore aux vertus de l’apprentissage de la seconde langue officielle fédérale.


Ainsi, alors que 84% des Québécois jugent important l’apprentissage de l’anglais – même si cette langue n’est aucunement officielle au Québec – ils ne sont que 32% dans les Maritimes, 29% en Ontario, 25% en Colombie-Britannique, 10% en Alberta et 8% en Saskatchewan et au Manitoba à le croire pour le français. Plus de 72% des anglophones, dans l’ensemble du pays, croient que l’apprentissage du français n’a pas la moindre importance, contre seulement 17% des francophones pour l’anglais. L’attrait du bilinguisme, on le constate, constitue une vertu – ou un vice – typiquement francophone. Les anglophones semblent immunisés contre toute francophilie.
Paradoxalement, il semble que plus on trouve inutile l’apprentissage de l’autre langue canadienne, plus on croit vivre dans un pays bilingue. Ainsi, 67% des anglophones ont l’impression de vivre dans un pays bilingue, contre seulement 45% – une minorité – pour les francophones.
Ce paradoxe peut être résolu d’une seule manière: les anglophones comprennent l’inutilité du bilinguisme mais en apprécient les vertus, soit la disparition progressive et inéluctable du fait français en Amérique et le bilinguisme croissant des francophones du Québec, prélude à notre assimilation définitive.
Il faut mettre fin au bilinguisme à sens unique
Puisque le culte du bilinguisme constitue une religion ne s’opérant plus qu’à sens unique – le plus souvent à genoux – et que les anglophones n’ont même plus l’intérêt d’y participer, il est grand temps d’y mettre un terme.
Cette vérité, déjà expliquée par le linguiste Albert Dauzat, qui qualifiait le bilinguisme de passage transitoire d’une langue faible vers une langue forte, est de plus en plus relayée par une génération montante de Québécois lucides face à une anglicisation de Montréal et du Québec s’appuyant sur des services institutionnels bilingues permettant aux nouveaux arrivants de vivre en ignorant la langue commune.
Alexis Cossette-Trudel, doctorant en science des religions et détenant une maîtrise en science politique, est l’un de ceux-ci. Il écrivait, dans une lettre ouverte publiée [cette semaine dans Le Devoir->35162]:

Sous les nombreux appels à l’adoption du bilinguisme comme mode de vie couve l’idée fallacieuse selon laquelle le français, langue de l’universel s’il en est une, ne suffirait plus à assurer à lui seul le plein épanouissement sociocognitif des Québécois. Le français manquerait de coffre, de profondeur. On voudrait faire croire que l’unilinguisme serait au mieux un handicap, au pire une tare sociale.

Le français disparaît des autres provinces canadiennes précisément parce qu’on le considère comme un handicap n’étant plus suffisant par lui-même pour fonctionner au sein de la société. Évidemment, les anglophones ont donné un bon coup de pouce à cette croyance en éliminant l’enseignement français en Ontario, au Nouveau-Brunswick, au Manitoba et en Saskatchewan pendant plusieurs décennies, créant ce que la Fédération des francophones de Saskatoon qualifiait, en 1974, « d’ethnocide du fait français ».
Individuellement, les francophones conservent, en partie, leur langue à la maison, mais, fidèles à la vieille maxime selon laquelle une langue parlée après cinq heures de l’après-midi est déjà une langue morte, ils finissent par la troquer pour une langue réellement utile, autre chose qu’un bibelot ancestral posé sur quelque étagère poussiéreuse.
Il faut l’affirmer avec force: la langue constitue un bien collectif et elle joue un important rôle de cohésion sociale. À partir du moment où le bilinguisme est généralisé et que les langues sont mises en libre concurrence, il est inévitable que la langue la plus faible va périr face aux possibilités sociales offertes par la langue dominante. Le choix, collectivement, pour les locuteurs de la langue dominée, se résume à ceci: garder, chérir leur langue comme héritage à offrir à leurs enfants et voir les possibilités individuelles limitées, ou s’assimiler à la langue dominante et pouvoir, individuellement, gravir les échelons sociaux.
Lionel Groulx a bien résumé cette conception:

Nous avons méprisé l’expérience universelle, oubliant que le bilinguisme généralisé, c’est d’ordinaire, à sa première phase, l’agonie d’une nationalité. On nous a entraînés à ces imprudences, au nom de la libération économique et de l’unité nationale. Cependant, je n’ai pas grand mérite à constater que le bilinguisme ne nous a pas empêchés de devenir plus que jamais les domestiques de la minorité dans notre province.

Il y a une seule façon de mettre fin à ce drame: il faut faire cesser la libre concurrence entre la langue forte et la langue faible; il faut séparer le loup et le mouton, non pas pour faire violence au premier, mais plutôt pour protéger le second. Et la seule façon de le faire, c’est par une intervention musclée de l’État – cet appareil collectif – permettant, par des lois, de rendre la langue faible plus attrayante et nécessaire que la langue forte.
Pour ce faire, il faut mettre fin, définitivement, à toute forme de cohabitation entre le français et l’anglais au sein des services gouvernementaux et en finir avec toute forme d’exigence du bilinguisme, cette brèche ouverte permettant la compétition inégale entre les deux langues. Les gens qui ont des aptitudes pour l’apprentissage de langues étrangères peuvent les apprendre, mais cet apprentissage doit être un choix personnel et ne doit pas être encouragée par l’État, étant donné son caractère nuisible pour la survie du français, langue commune des Québécois.
Les anglophones ont beau jeu de hurler que la Loi 101 viole les droits individuels. Ils n’ont tout simplement pas compris que la langue est un bien collectif et que dans un jeu où une langue aussi forte que l’anglais veut jouer d’égale à égale avec un peuple québécois ne représentant que 2% de l’Amérique du Nord, il ne peut y avoir qu’un seul gagnant.
En fait, les anglophones tiennent ce discours sur les droits individuels spécifiquement parce que la libre compétition entre le français et l’anglais constitue le moyen le plus simple pour eux d’assurer la disparition du français. Comme nous l’avons écrit plus haut, alors que la domination anglaise n’était pas encore assurée dans les provinces canadiennes, ils n’ont pas hésité à utiliser les moyens légaux pour rendre le français hors-la-loi. Cette hypocrisie où on tente de refuser au Québec le droit d’utiliser des moyens qui ont déjà été éprouvés et qui ont permis, alors, de limiter l’expansion française hors-Québec, ne peut que renforcer notre conviction quant à la nocivité de la présence québécoise au sein de la fédération canadienne.
Ce nouveau sondage ne fait que révéler au grand jour cette hypocrisie de mauvais joueurs anglophones qui, plutôt que d’assumer leurs convictions d’un Canada bilingue en tant qu’outil permettant à la langue minoritaire de survivre et de s’émanciper, voient dans le bilinguisme généralisé le fardeau devant être porté sur les seules épaules des francophones comme le lourd tribut d’un peuple vaincu qui, maintenant qu’il ne constitue plus une menace numérique, a droit à toutes les douceurs du condamné à mort.
Aux Québécois d’être plus intelligents et de réclamer, face à l’unilinguisme anglophone canadien, un unilinguisme francophone québécois permettant d’atteindre les plus hauts échelons sociaux dans notre langue collective, ce bien le plus précieux, le seul que les Anglais n’ont jamais réussi, après plus de 250 ans d’occupation, à nous enlever complètement.
Oser la pluralité linguistique mondiale
Le monde d’aujourd’hui, contrairement à ce qu’affirment les anglomanes, ne se limite pas à l’anglais. Cette langue n’est ni la première, ni la seconde langue la plus parlée sur cette planète. C’est la langue des lieux communs et des affaires simplement parce que les États-Unis constituent encore – et ce règne achève – la première économie mondiale.
Hier, c’était l’empire britannique; aujourd’hui, l’empire globalisé d’une monoculture avilissante et irrespectueuse des peuples. Pour ceux qui méprisent les identités nationales, hier comme aujourd’hui, la survivance d’un peuple unique et authentique au nord de l’Amérique constituera toujours la pire des hérésies, et encore davantage s’il refuse la soi-disant suprématie de la langue anglaise. Nous avons su nous libérer, même partiellement, de Britanniques qui possédaient presque la moitié du monde. Ne croyons pas qu’il serait impossible, pour nous, de faire la même chose dans le contexte global actuel où les peuples ont plus besoin que jamais d’affirmer leurs identités respectives.
Le monde de demain, ne serait-ce qu’avec la montée de la Chine, de l’Inde et d’autres pays, sera pluriel, et un Québec résolument français sera le témoin de la capacité pour des langues plus faibles à fleurir dans un monde de diversité culturelle et de pluralité linguistique.
Un monde où, l’identité collective de chaque peuple étant bien assurée grâce au pouvoir d’un fort État démocratique assurant la cohésion linguistique, il sera possible de s’ouvrir réellement aux autres peuples, à leurs langues, à leurs cultures, à leurs identités propres, où ceux-ci, ne constituant plus une menace, enrichiront effectivement l’identité de chacun.
En attendant, si on commençait par mettre fin aux privilèges injustifiés des anglophones habitant sur notre territoire, à commencer par le sur-financement de leurs institutions ou le bilinguisme des services gouvernementaux?
Nous sommes à l’avant-garde de la défense des langues nationales.
En 1977 comme aujourd’hui, le monde nous regarde. À nous d’agir et de rendre le français aussi indispensable, incontournable au Québec que l’est l’anglais dans le reste du Canada.
Au nom de la survie du français et de l’espoir que celui-ci peut inspirer aux autres langues dominées, osons un Québec unilingue français!


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé