La métamorphose de la question nationale

Pour les nationalistes, il reste à passer de la rhétorique identitaire à un programme centré sur le démantèlement du multiculturalisme québécois.

Le multiculturalisme et ses dérives


Le récent colloque du Parti québécois sur les questions liées à l'identité québécoise a été bien accueilli par sa base militante. Il confirme le sérieux du tournant identitaire enclenché à l'automne 2007 et la sortie de la longue décennie post-référendaire qui avait vu les souverainistes se convertir au multiculturalisme en dissociant de plus en plus la cause de l'indépendance de celle de l'identité québécoise.
Plusieurs analystes ont expliqué un tel virage par des considérations strictement stratégiques. Ces dernières ne sont pas absentes. Le souverainisme sans nationalisme a correspondu au long déclin d'une option vidée de sa pertinence et placée sous le respirateur artificiel d'un argumentaire technicien, basculant entre le registre comptable et celui du «projet de société progressiste».
Mais la raison stratégique n'explique pas tout et ce virage correspond à une mutation en profondeur de la question nationale, qui passe lentement de la question constitutionnelle à la question identitaire.
Très longtemps, la question nationale s'est déclinée sur le registre constitutionnel. Il s'agissait d'institutionnaliser le dualisme du Canada historique et depuis 1982, de réparer une constitution fondée sur la négation explicite du Québec comme État national. Avec l'échec des réparations constitutionnelles des années 90 et la loi C-20 quelques années plus tard, nous avons assisté à la consolidation d'un nouvel ordre constitutionnel tirant définitivement un trait sur la réforme du fédéralisme selon la vision québécoise du Canada. Sans surprise, les griefs historiques des Québécois se sont attiédis en s'habituant au nouvel ordre des choses canadien. Si on peut se désoler d'un tel état d'esprit, on ne peut le nier.
Cela ne veut pas dire que la question nationale se dissolve pour autant. Avec la diffusion partout en Occident du multiculturalisme, on peut dire qu'elle se métamorphose. Si les discussions sur l'identité nationale traversent toutes les sociétés, c'est parce que le multiculturalisme diffuse un virus idéologique, celui de la haine de soi, qui affecte de manière particulièrement virulente les couches supérieures de la population. Depuis une quinzaine d'années, nous avons assisté au retournement des élites dominantes contre l'identité nationale qui ont mené contre elle une guerre idéologique de tous les instants. Le programme était partout le même: remplacement de l'identité nationale par les chartes de droits, inversion du devoir d'intégration, dénationalisation de l'enseignement de l'histoire, disqualification des symboles nationaux et censure du malaise identitaire.
C'est avec la crise des accommodements raisonnables que le Québec a découvert à sa manière les problèmes du multiculturalisme mondialisé. De la question constitutionnelle à la question identitaire, la question nationale regagne sa pertinence dans la société québécoise. Cela ne veut pas dire que la constitution canadienne ne pèse plus sur le Québec, comme le jugement sur la loi 104 nous l'a rappelé, mais tout simplement que la dynamique idéologique du nationalisme est moins porteuse d'un désir de réaffirmation du Québec au sein du Canada que de la majorité francophone dans le Québec même. Il n'est plus seulement demandé aux nationalistes de se tenir fermement devant Ottawa, mais de défendre l'identité québécoise contre une idéologie qui travaille à sa dislocation. Le malaise identitaire des Québécois est moins généré par le Canada fédéral qui les indiffère que par leurs propres élites gagnées au multiculturalisme qui les exaspèrent.
Pour les nationalistes, il reste à passer de la rhétorique identitaire à un programme centré sur le démantèlement du multiculturalisme québécois. Mais on ne peut sérieusement combattre le multiculturalisme sans lutter contre les élites qui l'ont transformé en religion d'État. Il reste ainsi au Parti québécois à assumer la nécessaire polarisation idéologique de l'électorat pour passer d'une stratégie de conquête illusoire d'un centre mou à celle d'une majorité nationaliste qui lui donnera l'élan pour mener les grandes réformes nécessaires à l'affirmation décomplexée de l'identité québécoise.
Si les souverainistes parviennent à marquer un contraste fort entre le Canada multiculturel et un Québec enfin sorti d'un tel modèle, il n'est pas impensable que l'indépendance sorte du cul-de-sac où elle est enfoncée.
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Mathieu Bock-Côté
L'auteur est candidat au doctorat en sociologie à l'UQAM.


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