DISCOURS HAINEUX

La mauvaise loi

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Le gouvernement Couillard joue avec des concepts qu'il ne maîtrise pas

Que de confusion autour du projet de loi 59 déposé par Québec pour, notamment, lutter « contre les discours haineux et les discours incitant à la violence », comme le signale le titre du document. Mais son véritable objectif est de contrer le radicalisme et l’endoctrinement, et il le fait au prix d’énoncés qui laissent déjà entrevoir de vraies dérives démocratiques.

Il semblerait qu’il y a plus de vingt ans que la Commission des droits de la personne du Québec souhaite des balises pour contrer les discours haineux contre des groupes de personnes, intentions qui ne se sont jamais concrétisées, et pour cause !

Diverses dispositions du Code criminel interdisent déjà les propos haineux, sujet éminemment délicat puisque c’est la liberté d’expression qui est ici menacée, ce qui exige certaines précautions procédurales si on veut intervenir en cette matière. En droit pénal, il y a ainsi nécessité de prouver hors de tout doute raisonnable que des propos doivent être censurés. Ces garanties n’existent pas en matière civile.

Or voilà qu’en 2015, le gouvernement du Québec est à discuter d’un projet de loi qui entend interdire les propos haineux qui seraient tenus contre les femmes, ou les homosexuels, ou des communautés culturelles, ou des groupes politiques, ou religieux, etc.

Pourquoi ce déblocage soudain ? Pour épargner aux femmes les propos d’imbéciles appelant au viol légal, pour lutter contre l’homophobie ? Non, pour donner un pendant québécois à la chasse à l’islamisme radical — chasse qui devrait relever d’enquêtes de police, mais dont plusieurs gouvernements font une telle obsession que les restrictions aux droits et libertés leur semblent aller de soi. Même s’il s’y prend moins abruptement que ce que l’on voit à Ottawa, le gouvernement Couillard ne fait pas exception au phénomène.

Il faut d’abord rappeler qu’en juin dernier, celui-ci a présenté au grand public le projet de loi 59 en même temps qu’il annonçait un plan d’action en quelque 60 points pour lutter contre la radicalisation. C’est ce plan qui a fait les manchettes, mais le lien avec le projet de loi sur les discours haineux (qui inclut aussi des dispositions sur les mariages forcés) était très net.

À quoi s’ajoute la manière dont la ministre québécoise de la Justice, Stéphanie Vallée, présente le projet de loi 59 : il s’agit, a-t-elle dit en ouverture de la commission parlementaire qui se penche sur le sujet, de faire « face à la menace réelle de la radicalisation, de la violence, des discours haineux et du terrorisme ». Elle précise même que « le statu quo n’est pas une option ». D’ailleurs, derrière les articles du vaste projet de loi qui permettent d’enquêter sur des comportements « pouvant raisonnablement faire craindre pour la sécurité physique ou morale des étudiants », c’est l’ombre du Collège de Maisonneuve que l’on voit, et le profil des jeunes qui partent, ou tentent de partir, pour le djihad.

Pour les groupes — de juristes, de transgenres, d’aide aux hommes violents — qui défilent présentement en commission parlementaire, cet arrière-fond rend tout le débat assez mêlant. De quoi est-il question au juste ? Eux voient bien que la définition de discours haineux est si floue que la loi en deviendra inapplicable ou qu’elle ouvre la porte aux abus. Ils s’interrogent aussi sur la dangereuse idée de diffuser sur Internet la liste des « coupables » de discours haineux, comme le prévoit aussi le projet de loi. Et ils soulignent que l’approche punitive est bien moins efficace que l’éducation et le travail sur le terrain de groupes communautaires (par ailleurs victimes des coupes gouvernementales !) pour nous sortir de la discrimination bête et violente.

La ministre se défend, répète qu’il ne s’agit aucunement de censure, mais de contrer les appels à la violence. Reste que l’un des intervenants qui appuient le projet de loi a donné l’exemple des radios de Québec qui tiennent parfois des propos « déshumanisants pour certaines minorités »… Cette seule évocation témoigne de la dangereuse brèche que le gouvernement libéral s’apprête à ouvrir. Qu’est-ce que le discours haineux ? Il nous semblait que l’attentat de Charlie Hebdo avait été l’occasion de dénoncer la censure au profit du débat, du boycott, de la critique, de la dénonciation. Mais de faire taire, non.

La ministre de la Justice est sans doute de bonne foi, mais elle joue présentement avec des allumettes. Il vaudrait mieux qu’elle envisage immédiatement un remaniement majeur de tout ce qui ici menace la liberté de dire et de penser.


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