Gaétan Frigon
_ Président exécutif de Publipage inc, ex-PDG de la SAQ et de Loto-Québec.
DE LA DÉMAGOGIE
La loi 101 a été votée il y a près de 35 ans. Depuis, elle a été contestée par à peu près tout ce qui bouge. Elle est passée par la Cour supérieure, la Cour d'appel et même la Cour suprême. Elle a été amendée lorsqu'il le fallait pour se conformer aux jugements. Qu'aujourd'hui, un maire vienne dire que l'obligation d'utiliser le français est une politique raciste et discriminatoire n'est rien d'autre que de la bouillie pour les chats, surtout lorsque le maire en question se retire dans quelques mois. Pour un exemple de courage, on repassera. La loi 101 prévoit qu'il doit y avoir au moins 50% d'anglophones dans une municipalité pour que cette dernière soit déclarée bilingue. Pourquoi alors, après 35 ans, quelqu'un se réveillerait et voudrait que la loi change parce que «sa» ville n'a que 40% d'anglophones? C'est vraiment de la démagogie, d'autant plus que le gouvernement ne changera pas la loi pour faire plaisir à la ville d'Huntingdon et à son maire en recherche de publicité. En bout de ligne, tous savent que les seuls gagnants de cette saga, si elle se poursuit, seront les avocats. Le maire d'Huntingdon semble aimer ouvrir des boîtes de Pandore, en autant que ce n'est pas lui qui paie les pots cassés.
Michel Kelly-Gagnon
_ PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.
VOTER AVEC SES PIEDS
Le maire Gendron ne m'aime pas, et le sentiment est réciproque. Ceci étant dit, en l'espèce, sa suggestion est brillante. Et probablement plus qu'il ne le réalise lui-même. Pour moi, ce n'est pas tant le débat linguistique qui est en cause ici, mais le principe de subsidiarité. J'ai en effet toujours considéré que les villes devraient disposer d'un maximum de liberté pour établir les politiques publiques. Ainsi, si quelqu'un n'aime pas l'équilibre proposé, il peut facilement «voter avec ses pieds» en allant vers une autre ville. Cela est moins coûteux, monétairement et émotionnellement parlant, que de devoir quitter le Québec ou encore le Canada, dans le cas de politiques fixées par le gouvernement fédéral. Cette approche fondée sur le principe de «vivre et laisser vivre» n'empêcherait pas certaines villes de vouloir fixer, au contraire, des politiques linguistiques encore plus contraignantes que celles prévues par la loi 101. Libertariens et ayatollahs de la langue, et tous ceux entre les deux, pourraient y trouver leur compte. En Suisse, certains cantons permettent aux consommateurs de drogue de se shooter à l'héroïne et la prostitution y est légale. D'autres cantons, parfois situés à moins de 20 minutes de voiture des premiers, sont au contraire ultraconservateurs et ne permettent même pas la vente de «magazines pour adultes» sur leur territoire, et encore moins la vente de drogue. Et tout ce beau monde arrive à vivre en harmonie les uns avec les autres, sans se piler sur les pieds.
Louis Bernard
_ Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec.
UN DÉBAT INOPPORTUN ET MAL ENGAGÉ
La loi 101 vise à établir un équilibre entre deux objectifs: renforcer le caractère français du Québec et respecter les droits de la minorité anglophone et des nations autochtones. Comme tout équilibre, celui de la loi 101 suppose un certain nombre de compromis qui doivent être évalués comme un tout, car ils s'équilibrent les uns les autres. C'est le cas des dispositions qui concernent les municipalités. Entre l'imposition universelle du français à toutes les municipalités, quelle que soit la langue de leurs citoyens, et la liberté complète qui leur serait donnée d'utiliser la langue de leur choix, la loi 101 a tracé une ligne: les municipalités à majorité anglophone peuvent utiliser à la fois le français et l'anglais, les autres uniquement le français; mais dans ce dernier cas, l'usage de l'anglais est permis sur demande. Cet arrangement, même s'il semble assez bien accepté, peut être critiqué. Plusieurs le trouvent trop restrictif, d'autres trop permissif. On peut donc en débattre. Mais il faut le faire correctement. D'abord dans le vocabulaire employé: la loi 101 peut avoir plusieurs défauts mais elle n'est pas raciste, quelle que soit l'acception qu'on peut vouloir donner à ce mot. Ensuite, le débat doit être politique et non judiciaire: le droit de l'Assemblée nationale de régir les institutions municipales a été clairement affirmé récemment par la Cour suprême du Canada et ce serait gaspiller les fonds publics que de reprendre inutilement la contestation.
Claudette Carbonneau
_ Ex-présidente de la CSN.
ET SI LA DISCRIMINATION ÉTAIT AILLEURS?
Stéphane Gendron déraille en qualifiant la loi 101 de discriminatoire et de raciste. À l'instar du reste du monde le Québec a, en toute légalité et légitimité, légiféré pour faire du français sa seule langue officielle et la langue de communication de l'administration publique. Là où il se démarque, c'est en accordant pas moins mais bien davantage de droits à sa minorité historique: statut de municipalité bilingue là où une majorité le justifie, droit individuel des citoyens d'exiger qu'on communique avec eux en anglais, etc. . Bref, on est loin du «goulag» et du mépris des droits de la personne! S'il est soucieux des droits fondamentaux, le maire de Huntingdon doit revoir sa politique d'embauche. Le «pas d'anglais, pas d'emploi» est discriminatoire et contraire à la loi 101 qui exige une analyse serrée de chaque poste avant d'autoriser comme exigence la connaissance de l'anglais. Il s'agit là d'une des dispositions des plus malmenées de la loi 101. Enfin, le maire baigne dans la contradiction quand il appelle à la désobéissance civile au nom du respect des droits. L'existence d'une société de droits sert justement le respect des droits fondamentaux.
Jean Gouin
_ Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec.
UN PEU DE RETENUE
Monsieur le maire, je vous reconnais comme étant un homme de principe, une personne de gros bon sens cherchant à donner les services qui s'imposent aux citoyens de Huntingdon. Je suis conscient que vous gérez une population dont 40 % s'adresse dans la langue de Shakespeare, mais de là à vouloir contester la Charte de la langue française, sous prétexte qu'elle est, selon vous, discriminatoire, il y a un pas qu'il ne faut pas franchir. Je suis certain qu'il existe des accommodements que vous pourriez mettre en place pour éviter une confrontation futile. Par exemple, pourquoi ne pas faire parvenir à tous vos commettants votre documentation en français et demander à ceux qui veulent la recevoir en anglais également de vous en faire part. Je suis d'accord que le bilinguisme procure un avantage marqué à ceux qui le pratiquent. Mais nous sommes au Québec et nous avons décidé que notre langue officielle était celle de Molière. Nous devons, comme citoyens, respecter les lois dont nous nous sommes dotés. Nous avons également le devoir d'éviter la polarisation des extrêmes dans un premier temps et de trouver, dans un deuxième temps, des solutions qui siéront à tous. Monsieur le Maire, pour moi, c'est une question de respect. À vous de jouer maintenant.
Mélanie Dugré
_ Avocate.
PROTÉGER NOTRE RICHESSE COLLECTIVE
Il suffit de se promener dans la grande région de Montréal en ouvrant les yeux et en tendant l'oreille pour comprendre que la loi 101 est plus que jamais essentielle. Malheureusement, les ressources destinées à assurer le respect de cette loi sont largement insuffisantes et l'actualité des récents mois a confirmé l'ampleur des transgressions et la sévérité des entorses faites à cette loi dans le monde des affaires et du commerce. Je suis une ardente défenderesse de l'utilité et de la pertinence du bilinguisme, mais certainement pas au détriment de la préservation de nos racines linguistiques. Un citoyen dont la langue maternelle est l'anglais possède le droit de s'exprimer dans sa langue et d'exiger que les institutions et organismes communiquent avec lui en anglais. La loi 101 le confirme et protège ce droit. Évidemment, cela suppose que la ville consigne à ses registres la demande de ce citoyen. Je conçois que cette démarche puisse entraîner des soucis administratifs et logistiques pour les fonctionnaires de la municipalité. Mais l'enjeu est trop fondamental pour qu'on mette en péril la survie du français au nom d'un argument pratique et bureaucratique. En définitive, c'est un bien petit prix à payer afin de protéger notre langue, laquelle constitue une de nos plus grandes richesses collectives.
Jean-Pierre Aubry
_ Économiste et fellow associé au CIRANO.
POUR DE MEILLEURS SERVICES PUBLICS
Tant dans ma ville (Ottawa) que dans ma province (l'Ontario), la langue prédominante est l'anglais. Par contre, comme francophone, nous avons encore certains droits et certains privilègesm ce qui me permet de recevoir certains services publics en français. J'apprécie énormément quand ma municipalité communique avec moi en français. Si vous allez sur le site Internet de la ville d'Ottawa vous verrez que plusieurs informations sont données en français aux citoyens d'Ottawa (http://www.ottawa.ca/fr/). Je peux même lire dans ma langue maternelle de nombreux renseignements sur le plan stratégique et sur le budget de ma ville. Il en est de même pour les sites des divers ministères du gouvernement de l'Ontario. Par exemple, je lis les plans budgétaires de l'Ontario en français. J'apprécie beaucoup quand Bell Canada, Hydro-Ottawa et Enbridge (fournisseur de gaz naturel) communiquent avec moi en français. Par contre, j'ai horreur quand ces grands fournisseurs de services quasi publics me donnent des renseignements uniquement en anglais, surtout via des appels téléphoniques. Je déplore fortement l'attitude de certains groupuscules de la région de Cornwall qui brandissent ces jours-ci le slogan «un pays une langue» et qui veulent que les francophones de cette région ne soient pas soignés en français dans leur centre hospitalier. Je pense que les diverses entités du secteur public d'une province, tout en respectant la prédominance d'une langue sur l'entièreté de son territoire, peut et doivent servir le mieux possible les citoyens qui utilisent et paient une partie importante des services qu'elles leur offrent. Le but premier de ces entités n'est pas d'imposer l'usage de la langue prédominante, mais d'offrir des services qui sont souvent importants pour le bien-être de la population. Je ne suis pas du tout certain que la stratégie suivante est gagnante à long terme : si voulez être bien servis par votre municipalité, apprenez la langue prédominante.
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