La liberté est un instrument dangereux

Darwin et les créationnistes

Le conseil scolaire de Toronto, organisme public, acceptait il y a une dizaine de jours la création d'une école réservée exclusivement aux Noirs. À Sherbrooke, récemment, quelques profs de cégep bien intentionnés prétendant défendre l'espace public et laïque, s'insurgeaient contre la tenue d'une conférence sur le créationnisme dans les locaux de leur établissement. À Montréal, dimanche dernier, le Collectif contre la brutalité policière organisait son happening annuel pour provoquer de la violence policière, piège dans lequel, on ne sait trop pourquoi, la police tombe toujours un peu. Ce qui relie ces trois événements, c'est la lecture qu'on peut faire de la notion de liberté et, surtout, cette croyance que la liberté ne peut avoir que des effets positifs.
Nous sommes tous libres de nous regrouper, de resserrer les liens communautaires ou identitaires, libres de ne fréquenter que des gens qui partagent les mêmes valeurs et une vision identique du monde. Libres, en tant que groupes et collectivités, de perpétuer des valeurs et une histoire, des coutumes et des rites. C'est bien ce qu'on fera dans cette école «publique» réservée aux Noirs. Ce qu'il faut se demander est simple: les enfants qui sortiront de cette école seront-ils plus libres, plus affranchis, ou seulement plus Noirs? Les historiens savent que l'Histoire est une montagne qui possède de multiples versants et que, selon la lumière, l'image de la montagne diffère. Dans ces écoles communautaristes, la montagne est un miroir apaisant. Nulle aspérité, nul défaut. L'enfant qui grandit dans ce genre de ghetto scolaire en sort éminemment informé de la grandeur de ses origines, ce qui est bien. Il en sort aussi avec la notion de tout ce qui est nauséabond dans la culture de l'autre, en particulier du Blanc. L'école a la liberté de créer des aveugles. Les élus n'ont pas le droit de donner à l'école la liberté de conforter les ghettos et leur pensée. Mais ils sont libres.
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Le créationnisme est à la raison et à la science ce que Star Académie est à la création artistique. Une sorte d'aberration folklorique que pratiquent surtout aux États-Unis des millions d'évangélistes qui changent de trottoir quand ils croisent un homosexuel. Ils ne font de mal à personne, sauf quand ils votent et bloquent l'entrée des cliniques d'avortement. Ils sont libres de croire que Darwin est le diable, et je suis libre de croire qu'ils se trompent. Voilà donc que quelque jeunes croyants de la Bible veulent exprimer leurs convictions dans un établissement scolaire public. Grand brouhaha de laïcisme à Sherbrooke. L'espace public et laïque ne saurait accepter un tel viol. Dieu n'a pas le droit de pénétrer dans les locaux grisâtres de la laïcité et de la science. Autrement dit, ceux qui croient en Dieu n'ont pas la liberté de s'exprimer chez ceux qui croient en la science. On pourrait comprendre un tel sursaut de protestation si le conférencier invité niait l'existence des chambres à gaz, s'il était connu pour tenir des propos haineux et encourager la violence, toutes choses interdites par nos lois. Mais nous sommes libres de croire que Dieu a créé l'homme et la femme, qu'il y avait un serpent, une pomme, et qu'aucun des susnommés n'est le fruit de l'évolution de Darwin. Nous sommes libres de le penser, de le dire et de défendre nos convictions partout, y compris dans un collège de Sherbrooke. La liberté de penser et de dire s'applique aussi à ceux qui ne pensent pas comme nous. Ce sont là matière de croyances, pas de lois. Les pauvres petits créationnistes, devant la colère «publique», ont plié bagage et ont tenu leur conférence dans une église devant des créationnistes convaincus. Nul élève du collège n'eut la liberté d'aller entendre ce discours, de le discuter, de le ridiculiser, de le découvrir ou de l'adopter. Pourrait-on parler d'obscurantisme post-moderne? Tu es libre de dire ce qui convient scientifiquement. Salut Copernic.
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Nous sommes libres de manifester et la police est libre d'encadrer les manifestations au nom de l'ordre public dont elle est dépositaire. Non, la police n'est pas libre, elle est dans l'obligation de le faire. Depuis dix ans environ, un petit groupe d'anarchistes manifeste contre la brutalité policière. Ils sont libres de le faire, libres aussi de comparer les policiers montréalais aux tortionnaires de l'Amérique centrale. Ils partagent ce droit au mensonge et à la démagogie avec des gens qui nous dirigent. Nous sommes libres de croire en leurs maigres slogans et de prendre leur défense. Mais ont-ils le droit, même s'ils récusent officiellement la violence, d'organiser un événement qui en a toujours entraîné? Le collectif est-il responsable? Oui, la police est souvent imparfaite et raciste, comme les dépanneurs et les propriétaires, comme mon père et son voisin. Ils sont libres de manifester, les anarchistes, et on ne saura jamais les encadrer, leur demander un parcours. Ce sont des anarchistes et leur credo, c'est la création du désordre, la destruction gratuite, le bordel. La brutalité policière n'est qu'un prétexte. Chacun peut choisir son prétexte. Mais leur liberté diminue celle des autres, en particulier la liberté de ceux qui peinent dans les couloirs du droit pour établir les preuves de la brutalité occasionnelle et de l'irrationnel policier, comme dans l'affaire Villanueva.
La liberté est un idéal et aussi le pire des pièges. La liberté de se regrouper peut mener à l'enfermement; celle de proclamer la vérité, à l'exclusion; et celle de dénoncer violemment peut entraîner la répression. La liberté est un instrument dangereux quand elle n'est pas accompagnée par la réflexion.


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