La guerre en rouge du Liban

Par Sylvaine De Plaen

Géopolitique — Proche-Orient

Depuis le début de cette sale guerre du Liban, je me trouve, comme tout mon entourage, profondément interloquée et choquée par la situation qui prévaut dans cette région de la planète. Le massacre de Cana est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, pour moi comme pour bien d'autres, qu'ils soient d'Occident, du monde arabe ou des pays dits en développement.

Devant la démesure des moyens, la destruction massive d'un pays en reconstruction, la souffrance de milliers de civils innocents, devant surtout la logique implacable des discours guerriers et le manque d'empathie des plus forts, que dire et que faire ?...
Cette guerre nous touche même si nous ne sommes ni libanais ni juifs. Elle nous touche car elle caricature la violence et l'absurdité dont les êtres humains sont parfois capables dans leurs rapports avec d'autres êtres humains.
Il semble en effet qu'il soit bien difficile à ces derniers d'apprendre quelque peu de leur histoire collective, des erreurs du passé tout comme de celles dont ils ont été eux-mêmes victimes. En soi, le statut de victime n'a pas de caractère permanent et n'autorise pas à tout faire. Il ne peut en tout cas donner tous les droits ou tout justifier sous simple couvert de la légitime défense. S'il constitue certes une reconnaissance appropriée et nécessaire des torts subis dans le passé, il peut également devenir une source d'enfermement de la pire espèce en suscitant la répétition des traumas subis et l'agression aveugle d'autrui par identification à l'agresseur.
Il ne faut pas être un grand analyste politique pour se rendre compte qu'il ne peut émerger de cette guerre que plus de colère, de souffrance, d'intolérance et de fanatisme. À une époque où nous nous montrons si préoccupés du terrorisme et des dérives intégristes, comment pouvons-nous consciemment faire ainsi le lit des fanatismes de demain, en ajoutant ainsi la honte, l'humiliation et la rage au vécu de milliers de personnes ? Comme le disait une de mes collègues, quand on n'a plus rien à perdre, rien ne peut nous arrêter...
Que dire aux enfants ?

Dans mon travail quotidien auprès des enfants et de leurs familles en détresse, je tente notamment de soutenir les parents dans cette tâche difficile qui consiste à transmettre un sens des valeurs et une éthique de la vie qui puissent servir de tuteurs et de repères aux enfants devant les défis de la vie quotidienne.
En tant qu'équipe oeuvrant dans le champ de la pédopsychiatrie, nous tentons de démontrer comment, face aux conflits, il est parfois nécessaire de prendre du recul plutôt que d'attaquer, de réfléchir et de parler plutôt que de frapper. Nous valorisons particulièrement le développement de l'empathie pour l'autre, qui est seule garante d'un développement personnel et social équilibré. Ce processus de transmission des valeurs -- vues comme des vecteurs essentiels pour soutenir le lien parent-enfant, organiser la continuité de la vie collective et donner un mode d'emploi culturellement acceptable à l'enfant -- est appelé un «processus d'humanisation» par les anthropologues.
Alors, que dire à nos enfants en ce qui concerne la situation actuelle ? Comment donner du sens à ce qu'ils entendent, à ce qu'ils voient et à tout ce qu'ils perçoivent des émotions des adultes qui les entourent ? Pouvons-nous ainsi séparer si complètement ce que nous vivons à l'intérieur de nos familles et ce que nous pensons et faisons sur le plan collectif ?
Un de mes patients, un jeune garçon de sept ans, de mère libanaise et de père québécois, a bien illustré ce que la guerre représentait pour lui et pour sa famille : la couleur rouge.
Le dessin était en effet noyé sous un océan de couleur rouge, sans rivage et sans île. Dans ce rouge s'étaient à la fois perdus les contours d'une maison précédemment esquissée ainsi qu'un petit bonhomme perdu dans cette immensité. Rouge, rouge pour le sang, pour la mort, pour la colère... Rouge aussi pour la perte des points de repère, pour la confusion et pour l'angoisse. Rouge pour la vie perdue, la perte des traces de l'histoire, et pour la peur. La guerre en rouge.
Sylvaine De Plaen
_ Pédopsychiatre, Hôpital Sainte-Justine


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