La grande solitude de Philippe Couillard

Dans le dossier de la Charte, le chef libéral s’oppose autant au compromis émergent, qu’au projet du gouvernement

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Couillard, incroyable de non pertinence !

Un peu plus de trois semaines après le lancement du débat sur le projet de Charte des valeurs, le 10 septembre dernier, un immense chemin a déjà été parcouru.
Il y a à peine un mois, on entendait encore des gens affirmer que cet enjeu était artificiel, populiste, électoraliste. Il fallait renoncer à tout ça, nous disaient les opposants. Aujourd’hui, il y a presque unanimité chez ces mêmes opposants pour adopter dans l’urgence 90% du projet présenté par Bernard Drainville.
Les débats ont été vifs, revigorants et passionnés. Ça fait du bien au Canayen.
Nous avons même eu droit à une sortie en cascade de trois anciens premiers ministres du Québec.
La sortie très attendue de M. Parizeau fut étonnement modérée et même, sibylline.
Lucien Bouchard a appuyé Jacques Parizeau, le soutenant sans réserve. Effluve de réconciliation?
Et puis il y a eu Bernard Landry qui s’est rangé, lui aussi, dans le camp de ceux qui prônent le compromis.
De mémoire de souverainiste, il y a longtemps, très longtemps qu’on n’avait pas assisté à une telle chorégraphie des trois ténors.
Ils ont pris la parole, l’un après l’autre, dans le même ordre où ils se sont succédés en tant que premier ministre du Québec. Procession?
S’ils s’accordent pour en appeler à une position de compromis, les trois appuient le projet de Charte des valeurs québécoises. Lucien Bouchard:
«Le gouvernement peut frapper un coup de circuit! Il est possible, je dirais même probable, que l’Assemblée nationale vote à l’unanimité un tel compromis. Ce serait un triomphe.»
Les fédéralistes aussi se sont précipités sur le texte de M. Parizeau, l’utilisant pour charger le gouvernement Marois et son projet.
Justin Trudeau a pris la pose, déclarant que M. Parizeau incarnait «la voie de la modération.» Comme je le soulignais ici, c’est quand même quelque chose d’entendre le chef du Parti libéral du Canada approuver l’idée d’interdire le port de signes religieux pour les policiers, les juges, les procureurs, etc. Il y a des agents de la GRC dont les turbans ont dû défriser en entendant ça!
Le chef de l’opposition libérale et officielle, Jean-Marc Fournier, s’est appuyé sur le texte de M. Parizeau pour planter le gouvernement. Il appuie l’ancien premier ministre, qui prône le retrait du crucifix de l’Assemblée nationale et l’interdiction du port de signes religieux pour les policiers, les juges, les procureurs, etc.
Même un opposant féroce au projet de Charte comme Jérôme Lussier en appelle au ralliement derrière les hommes d’État que sont devenus à ses yeux (il était temps) les trois ténors souverainistes. Et ce, même si l’ancien premier ministre prône le retrait du crucifix de l’Assemblée nationale et l’interdiction du port de signes religieux pour les policiers, les juges, les procureurs, etc.
À l’Assemblée nationale, Québec solidaire s’est jeté – sans voile! – dans le sillage de M. Parizeau, tandis que François Legault s’y appuyait comme sur une béquille pour appeler au compromis (Sauve qui peut!).
Quel compromis? Le suivant: on adopte toutes les dispositions du projet de Charte des valeurs québécoises. Toutes, y compris celle portant sur l’interdiction du port des signes religieux. Simplement, on doit l’assouplir, pour reprendre les mots de Monsieur, et l’appliquer seulement (pour l’instant) aux policiers, juges, procureurs, etc.
Je partage pour ma part l’avis de Bernard Descôteaux, du Devoir. Extrait:
«Il faut pour la Charte des valeurs aller au fond des choses. Il serait de fait assez facile aujourd’hui de trouver un consensus construit sur le plus petit dénominateur commun (…) S’en tenir à cela serait occulter le débat du port de signes religieux par les agents ordinaires de l’État, tout particulièrement celui sur le port du voile. On est là au cœur du débat. On ne trouvera sans doute pas une réponse dans une acceptation ou une interdiction universelle du port de signes religieux. Au contraire, il faut porter un regard sur la dimension politique que peuvent avoir certains d’entre eux.»
Au moment du dépôt du projet du gouvernement, Bernard Drainville demandait à la population de lui donner un rapport de force. Selon le dernier sondage disponible, l’appui au projet de Charte atteint près de 60% chez les francophones, tandis que seulement 31% s’y opposent. Le ministre semble avoir gagné son pari.
Il y a donc cette position de compromis qui rallie trois anciens premiers ministres, Trudeau, Fournier, David et Legault (qui assujettirait aussi les enseignants à l’interdiction). Et il y a le projet du gouvernement. Ce sont les limites du terrain où l’immense majorité des Québécois se situe.
Et puis il y a Philippe Couillard.
Seul dans son coin.
Philippe Couillard, qui a prévenu qu’il faudrait lui «passer sur le corps» pour interdire à qui que ce soit de porter un signe religieux.
Même les policiers.
Même les juges.
Même les procureurs.
Cette grande solitude du bon docteur fait peine à voir.
Empathique, j’ai bricolé un haïku:
Comme un fantôme solitaire,
Il rame, dans le brouillard,
Isolé, retranché, sans repaire,
Le chef errant: Philippe. Couillard.


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