La finance ne s'est jamais régulée toute seule

Les professionnels de la finance, qui organisent la circulation internationale des capitaux, sont les premiers bénéficiaires de la mondialisation, et les premiers responsables des abus qui en résultent.

Géopolitique - État profond


Par Pierre-Cyrille Hautcoeur, Ecole d'économie de Paris, EHESS
***
Près de 50 % des électeurs, lors du premier tour de l'élection présidentielle, ont remis en cause les deux grands partis de gouvernement au nom de leur rôle dans la mondialisation, en particulier financière.
Pourquoi la mondialisation et la finance, considérées par nombre d'économistes comme utiles au développement, suscitent-elles tant d'hostilité dans un électorat aussi large que divers ?
La mondialisation fait des bénéficiaires mais aussi des victimes - tous ceux dont l'activité est délocalisée ou susceptible de l'être et qui doivent consentir d'énormes efforts pour maintenir leur niveau de vie. Si, en théorie économique, le gain des premiers est plus que suffisant pour compenser les pertes des autres, en pratique cette redistribution n'a pas eu lieu.
Depuis trente ans, dans tous les pays européens et en particulier en France, les élites insérées dans la mondialisation et qui en tirent profit n'ont pas vu leur part des impôts augmenter. Pis, la mondialisation financière (et la libéralisation qui la conditionne) permet à ces élites de masquer leurs gains dans des proportions inimaginables pour les salariés ordinaires, dont pas 1 euro de revenu n'échappe à l'oeil du fisc.
Les professionnels de la finance, qui organisent la circulation internationale des capitaux, sont les premiers bénéficiaires de la mondialisation, et les premiers responsables des abus qui en résultent. Du fait de leurs gains considérables, ils ont corrompu ou convaincu des hommes politiques de droite comme de gauche, des journalistes et des économistes stipendiés. Même repérés, ils bénéficient de protections, des lacunes de la loi ou de la complaisance de certains tribunaux.
Cette situation n'est pas si nouvelle : les années 1880 et 1930 ont déjà vu la montée d'une opinion publique nationaliste, hostile à la mondialisation et la finance parisienne, nostalgique d'une économie révolue et à la recherche d'un sauveur.
FAILLITE DU CANAL DE PANAMA
Dans les années 1880, alors que la conjoncture économique est difficile, une série de crises financières et de scandales mettent en cause les républicains, souvent proches des milieux d'affaires libéraux. La gauche libérale est alors associée à la faillite du canal de Panama, qui ruine en 1888 des centaines de milliers de personne, au sauvetage discutable, en 1889, du Comptoir d'escompte - grande banque embarquée dans une opération spéculative internationale - ou encore à la banqueroute en 1882 de l'Union générale - banque catholique conservatrice qu'aurait mise à mort la finance protestante et juive.
C'est cette finance "cosmopolite" que dénonce dans ses écrits le journaliste Paul Déroulède (1846-1914), tout comme le général Boulanger (1837-1891) lors de sa tentative de coup d'Etat en 1889.
C'est elle aussi qu'accuse le pamphlétaire Edouard Drumont (1844-1917), l'antisémitisme en plus, qui stigmatise dans la foulée ceux qu'on appellerait aujourd'hui les bobos, les "sans Dieu" qui ouvrent l'école à tous, libéralisent la presse, les associations et les syndicats.
Pour protéger la "France des terroirs", la droite dite modérée, celle qu'incarne le ministre Jules Méline (1838-1925), relève les droits de douane et réforme la Bourse en un sens antispéculatif en 1898, échangeant la certitude du lendemain contre le maintien d'inégalités considérables de revenus.
C'est la gauche qui, en 1913, obtient de haute lutte la création de l'impôt sur le revenu, premier instrument explicite de redistribution vers les victimes du capitalisme mondialisé.
Après la Grande Guerre, les turbulences monétaires et financières de la mondialisation s'amplifient. Lors du Cartel des gauches, la Banque de France - alors privée - est accusée d'être la proie d'intérêts financiers et politiques. Elle est soupçonnée après 1931 de sauver d'abord les banques amies et de contribuer à une politique de rigueur inadaptée pour sauver le franc et les épargnants.
S'ajoute à cela une série de scandales, des opérations "à la Madoff" de Marthe Hanau (1886-1935) aux spéculations d'Oustric ou de Stavisky (1886-1924), qui bénéficient de protections politiques de droite comme de gauche. Léon Daudet (1867-1942), le porte-parole de l'Action française, accuse pêle-mêle le parlementarisme et les politiques "tous pourris".
La demande de protectionnisme monte, mais c'est, en 1936, la prise de contrôle de la Banque de France par l'Etat et la dévaluation du franc qui relancent l'économie et remettent la finance au service de l'intérêt général.
Si l'on veut éviter aujourd'hui un succès croissant des discours révolutionnaires aux deux extrêmes de l'échiquier politique, avec les risques de violence civile qui l'accompagnent, un nouveau président de la République doit mener la France et l'Europe vers une vraie politique de protection des épargnants, de surveillance systématique des opérations financières, de mise au pas des géants bancaires et des paradis fiscaux.
Il doit être exemplaire et donner à la justice les moyens de sanctionner les dérives de la finance et la corruption des politiques. Il doit enfin veiller à ce que les gagnants de la mondialisation, qui en général seraient incapables de gagner autant ailleurs qu'en France, y paient une juste contribution au bien commun, qui est aussi le leur.
Pierre-Cyrille Hautcoeur, Ecole d'économie de Paris, EHESS


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé