Dans un monde idéal, les droits d'auteur protégeraient toutes les oeuvres jamais créées et procureraient une juste rétribution à leurs créateurs, que ce soit dans le domaine de la musique, de la littérature, du cinéma, etc.
Les luttes pour le respect des droits d'auteur sont fort louables, on n'a qu'à penser à la saga victorieuse et symbolique du bédéiste Claude Robinson contre Cinar pour l'illustrer.
Un exemple extrême vient de la France où tout 45 tours joué à l'époque dans les juke-box rapportait quelques centimes à leurs auteurs. Mais imaginez quelle effrayante bureaucratie cela représentait, bien avant l'ère de l'informatique!
Par ailleurs, la diffusion et l'accès à la culture collective d'une nation doivent demeurer une priorité si on souhaite qu'elle reste présente et vivante, si on veut que les gens la consomment, à plus forte raison dans les petits pays comme le nôtre qui se voient la cible d'un constant bombardement culturel extérieur.
Il me semble que de larges pans de notre culture sont cachés, entreposés, archivés, enterrés, invisibles. Tenez, si vous souhaitez voir le légendaire spectacle de la Saint-Jean sur le Mont-Royal diffusé en 1976 (Ok, nous v'là) avec la relève de la chanson québécoise réunie sur une même scène, l'un des plus grands événements musicaux de ma jeunesse, bonne chance dans vos recherches. Vous ne trouverez qu'un bref documentaire de parlotte mais pas les 2 heures de musique emballante.
Dans le même ordre d'idées, Radio-Canada possède un certaine nombre de spectacles complets du groupe majeur Beau Dommage qui célèbre ses 40 ans cette année, mais essayez d'y avoir accès pour voir! On nous en montre quelques bribes lors de documentaires, mais ça s'arrête là. Impossible de revoir tous ces concerts en entier. Imaginez alors la possibilité quasi nulle de voir tous les autres artistes de moindre envergure.
Par conséquent, cette inaccessibilité tue la culture populaire ou savante et empêche le plus grand nombre d'y puiser son agrément. Les œuvres phares et représentatives d'une époque ainsi cachées finissent par sombrer dans l'oubli, non par désintérêt des gens mais par simple retrait des médias de diffusion.
Je suis toujours choqué lorsqu'on nous répète que les musées n'exposent qu'un infime pourcentage des collections qu'ils possèdent et que le reste croupit dans l'obscurité des réserves. C'est là bâillonner l'art, l'enterrer vif, le reléguer aux oubliettes de la mémoire. Quel artiste désire que ses œuvres finissent ainsi?
Quand avez-vous entendu Sylvain Lelièvre pour la dernière fois? Outre ses quelques succès qu'on entend encore parfois, il reste cent de ses chansons qui gagneraient à être diffusées. C'est honorer sa mémoire de faire en sorte que sa musique lui survive et se perpétue. Et nombreux sont ceux qui ne demandent pas mieux que de l'entendre.
Seule une infime partie de nos séries télé se retrouve sur des sites comme tout.tv. Pourtant elles nous reflètent énormément et contribuent à renforcer notre sentiment d'appartenance à l'identité québécoise. Pour chaque Moi et l'autre qui s'y trouve, mille Rues des Pignons sont omises, interdites.
Si vous regardez Les enfants de la télé, vous ne pourrez vous empêchez de vous demander où sont passées toutes ces émissions dont on nous présente les extraits. Qu'elles soient archivées sous clé ou détruites revient au même si personne ne peut plus les voir.
Je me disais la même chose en visitant cet été l'excellente exposition sur la publicité au Québec depuis 50 ans présentée au merveilleux Musée québécois de culture populaire de Trois-Rivières. Pourquoi tous ces documents présentant un intérêt indéniable sur notre petite histoire ne seraient-ils pas placés en ligne une fois l'exposition terminée? Ils continueraient ainsi à être visionnés par les gens.
On peut affirmer que bon nombre d'artistes accepteront volontairement que leurs œuvres deviennent accessibles au grand public gratuitement, simplement par besoin naturel de les faire connaître, une fois que leur vie commerciale active terminée. Il est normal de désirer une vitrine pour ce qu'on a accompli, pour ce qu'on lègue à la postérité, même lorsque ça ne se traduit pas par une rentrée d'argent immédiate.
Il existe bien la notion de l'oeuvre qui tombe dans le domaine public au bout de 50 ou 100 ans selon le type d'oeuvre et le pays, mais c'est précisément cette réglementation qu'il faut assouplir en raccourcissant ce délai. Cela permettra ainsi de récupérer et d'offrir au grand public ce qui ne rapporte peut-être plus monérairement mais qui reste digne d'appréciation. Cela s'étendrait aux périodes plus récentes qui intéressent encore les gens.
Bien des gens ne seront pas prêts à débourser pour voir tel ou tel artiste moins connu de la programmation d'un festival, mais si c'est gratuit, ils vont tenter leur chance et peut-être découvrir un artiste dont ils achèteront quelque chose éventuellement. Et même s'ils n'achètent pas, cela leur aura donné l'occasion d'apprécier un artiste qui ne demande que cela.
Dans le but de permettre une plus large diffusion des oeuvres, on peut proposer d'établir un certain nombre de règles facilitantes. Par exemple, une fois qu'un film a terminé sa vie commerciale active moyenne (entre 1 et 3 ans), il deviendra alors possible de le visionner gratuitement, à moins que le nombre de ventes soutenues le justifient bien entendu. De même pour les disques.
Les livres qui ne figurent plus au catalogue des librairies pourraient être disponibles en ligne (puisqu'ils sont déjà tous prêts à l'être sous forme de traitement de texte).
Des banques d'images d'oeuvres d'art du passé et contemporaines, des photos historiques et journalistiques pourraient être mises à la disposition des amateurs et collectionneurs sans frais, pour que ces oeuvres soient vues, utilisées et appréciées comme elles le méritent.
Les trois albums phares de Jean-Pierre Ferland sont Jaune, Soleil et Écoute pas ça. Si les autres ne se vendent plus en quantité significative, eh bien qu'il soit possible de les écouter tous en ligne. L'oeuvre d'un artiste ne se réduit pas à une seule chanson, un seul livre, un seul tableau ou un seul film.
Peu de gens ont les moyens de se payer les 400 chansons de Gilles Vigneault. Mais s'il y a une autre façon de les entendre qui leur est offerte, plusieurs saisiront cette occasion et feront ainsi vivre son oeuvre.
Et si jamais une chanson revient au goût du jour, elle pourra alors reprendre ses droits payants. On n'a qu'à penser aux excellentes chansons de Stéphane Venne comme Et c'est pas fini, qui ont bénéficié d'un regain de popularité grâce à Star Académie.
En résumé, lorsqu'une oeuvre ne rapporte plus réellement, elle devrait devenir disponible pour la diffusion générale gratuite.
De nos jours, internet rend possible et à peu de frais la diffusion d'une masse de documents et d'oeuvres qui forment la base d'une culture nationale, de l'identité d'un peuple. C'est pourquoi il faut aller dans le sens de toujours plus et non de moins d'accessibilité.
Car à trop vouloir tout protéger, tout réglementer, tout interdire, on obtient le contraire de l'effet escompté: les gens se détournent et vont vers autre chose.
Plus notre culture sera disponible et accessible à tous, plus les gens pourront s'en imprégner et la maintenir vivante et fertile, et plus elle contribuera à façonner et refléter notre identité collective.
En complément de lecture:
Le documentaire Ok, nous v'là: https://www.youtube.com/watch?v=_ikw7qwxS0o
Jean-Pierre Ferland interprète l'intégralité du disque Jaune: https://www.youtube.com/watch?v=BAYIaUUVucE
Gilles Vigneault, 400 chansons: http://smaccommunications.ca/images/ImagesSmac/Vigneault_Retrouvailles_DisqueDOr_Comm_Layout%201.pdf
Sur Stéphane Venne: http://www.auteurscompositeurs.com/index.php?option=com_content&view=article&id=98&Itemid=127
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
18 décembre 2014M. Labrie,
je comprends dans vos suggestions le désir que toutes les formes de culture soient plus accessibles à tous et je trouve cela très louable.
Moi qui aime la chanson québécoise, je fais des recherches sur Youtube et j'y trouve toutes sortes de choses intéressantes. Chaque amateur peut partager ses goûts en ajoutant les choses qui lui plaisent sans que ça ne coûte rien. C'est un site gratuit. C'est peut-être là la voie de l'avenir. Chaque citoyen qui apporte sa contribution à la diffusion de sa culture en mettant des éléments en ligne sur divers sites.
Archives de Vigile Répondre
19 septembre 2014Vous avez besoin de vous brancher...
Gilles Vigneault...
https://itunes.apple.com/ca/artist/gilles-vigneault/id41333467?l=fr
Ferland
https://itunes.apple.com/ca/artist/jean-pierre-ferland/id27811932?l=fr
Les frais pour digitaliser des oeuvres sont très élevés, livres, tableaux, etc, le contraire de ce que vous pensez. Enregistrer des spectacles (sons et images) est aussi très cher.
La majorité de la littérature n'est pas digitalisé, justement, et les grands détenteurs ont passés des accords avec Google, Microsoft, a cause des coûts monstrueux pour faire ce travail.
Pour les musées leur rôle n'est pas seulement d'exposer mais aussi de conserver et aucun musée dans le monde ne peut exposer la totalité. Le musée de l'Hermitage en Russie a plus de 3 millions de pièces, et en expose 60.000, le musée est immense. Le MBAM a Montréal a plus de 40.000 pièces, en expose 2000 en permanence, vos propositions sont totalement irréalistes.
Pour les droits de diffusion des artistes, dans la majorité, ils ne sont pas détenus par les artistes mais par les éditeurs, qui ne partagent surement pas votre avis...