En fouillant dans mes archives, j'ai retrouvé un texte datant de novembre 2000. C'est celui de mon témoignage lors de la tenue des États généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec ou Commission Larose.
Je me suis dit, en le relisant, qu'il n'avait peut-être pas perdu son actualité. Je vous l'envoie à toutes fins utiles. Vous en ferez ce que vous jugerez bon, y compris l'envoyer à la poubelle.
Quelques conditions nécessaires mais pas suffisantes à l'adhésion des Néo-Québécois à la langue française.
_ Témoignage d'un vieux Néo-Québécois.
Par Joseph Berbery
Je pourrais difficilement commencer mon intervention sans saluer la mémoire du Dr. Camille Laurin, le père de la Charte de la langue française, ou loi 101. Malgré les amputations qu'elle a dû subir, elle reste, peut-être avec la création des cegeps, l'acte qui aura le plus fortement marqué le Québec contemporain et raffermi son caractère français.
Je ne développerai pas ici de longue théories, n'étant aucunement un spécialiste de quelque question que ce soit. Je ferai part de mon expérience et de mes divagations personnelles. Elles porteront sur deux sujets : le caractère universel du Français, et le Français, langue de la majorité au Québec.
J'ai immigré au Canada il y a de cela aujourd'hui très exactement trente trois ans et un jour (aujourd'hui, près de quarante quatre ans). J'ai immédiatement choisi de m'établir au Québec et d'élever ma famille en Français. Pourquoi ne suis-je pas allé à Toronto? Pourquoi, établi à Montréal, n'ai-je pas élevé ma famille en Anglais, comme la plupart des nouveaux venus à l'époque? Libanais d'origine, j'ai moi-même été élevé en Français. J'ai toujours eu le sentiment que cela créait entre moi-même et bien des gens à travers la planète un lien bien particulier que j'appellerai la Francité. En d'autres termes, j'ai opté pour la langue française au Québec parce que je croyais, que je crois encore continuer à adhérer à une universalité française qui, en terre d'Amérique, s'incarne au Québec, mais qui, en même temps le dépasse. Je croyais, je crois encore qu'opter pour le français c'est opter pour une façon de parler, mais aussi d'être. II y a dans la langue française une articulation particulière de la pensée facilitée par la construction logique de la phrase; il y a une complexité de la pensée qui se traduit par la construction de la longue période héritée du latin; il y a une nuance de la pensée que permet une rare précision du vocabulaire. II y a également un système de valeurs, une certaine vision du monde, une esthétique propres à cette langue et qui ont un caractère universel.
D'une autre manière, il en va de même, je crois, de l'Anglais. J'observe, quant à moi, que les Etats-Unis qui sont sans conteste la première, que dis-je, la seule puissance mondiale, continuent à enseigner Shakespeare et la littérature anglaise. Il me semble qu'à trop vouloir n'appartenir qu'au continent américain, les Québécois "sont en train de commettre cet acte suicidaire de se couper de leurs racines. Je crois, quant à moi, que Villon, Montaigne, Molière, ou même Voltaire (en dépit de ses «quelques arpents de neige», appartiennent au Québec autant qu'à la France ou même au reste de la Francité. Pour ce qui est de moi, je me les étais appropriés, alors que je vivais encore au Liban. Quand je parle de moi ici, il faut comprendre que des centaines de milliers, voire des millions de Belges, de Suisses, de Marocains, d'Algériens, de Tunisiens, d'Africains, et j'en oublie, ont agi de même.
II est une sorte d'arbres tropicaux dont j'ai oublié le nom. Ils ont la particularité de laisser pousser des lianes avec leurs branches. Ces lianes pendent jusqu'au sol et, devenant racines dès lors qu'elles y touchent, se développent en tronc à leur tour. Ainsi, on peut voir tout un bois formé de nombreux arbres nettement identifiés. Mais ils sont tous liés. entre eux par un vieux tronc unique. Il me semble que le Québec, doit être l'un de ces arbres.
Chaque racine du vieux chêne françois doit nourrir le jeune chêne qui s'est enraciné en terre d'Amérique. On oublie souvent que le Québec est la deuxième collectivité de langue française la plus importante au monde, après la France. Les risques d'être culturellement phagocytés par cette dernière sont infiniment plus réduits que ceux de l'être par le géant d'à côté. Derrière les termes «s'ouvrir sur le continent américain» se cache donc le risque de se refermer sur le caractère de «minorité francophone en terre d'Amérique». II y a certes lieu de rester ouvert sur le continent américain dans son ensemble, à la condition de ne rien renier de sa Francité.
II est aussi une autre raison pour laquelle j'ai, sans hésitation, opté pour le Français au Québec. Encore aujourd'hui, je ne sais pas si je me suis alors trompé. II m'avait semblé, dans ma subjectivité encore une fois, que le Français était la langue de la majorité dominante. Je ne comprenais sans doute rien au Québec, puisque depuis lors je n'ai cessé de voir les Québécois se comporter avec la discrétion des minoritaires, s'excusant par exemple d'imposer une langue du travail ou une langue de l'enseignement ou de l'affichage. Même les tout puissants Etats-Unis ont vu certains de leurs états du sud adopter une loi pour protéger, tenons-nous bien, l'Anglais contre l'Espagnol.
Constatons au Québec un certain nombre de faits. L'immigration n'y est pas récente. Elle s'est seulement accrue et surtout diversifiée, ces dernières années. En dehors de la région métropolitaine, les immigrés s'intègrent complètement à la majorité dès la deuxième ou la troisième génération. J'ai eu personnellement l'occasion de constater cela à propos des immigrés libanais établis au lac Saint-Jean ou en Beauce, par exemple. Même la consonance de leur nom, ailleurs perçue comme inhabituelle, n'attire plus l'attention. Qu'ils s'appellent Kouri, Gimaïel ou autrement, ils font désormais partie de la communauté. De nombreux mariages mixtes les ont enracinés complètement. Se sont-ils dilués pour autant? Je ne le crois pas. Ils sont très conscients de leurs origines. Ils ont conservé -et même répandu dans le milieu- certaines de leurs habitudes, en particulier alimentaires. C'est seulement dans la région métropolitaine qu'ils ont tendu -et cela, depuis déjà le milieu du siècle- à se constituer en communautés distinctes frisant le ghetto. Que signifie cela sinon qu'une micro-société québécoise, dès lors que ne se pose pas à elle le problème de ses rapports avec les Anglais, est parfaitement capable d'accueillir et d'intégrer harmonieusement des immigrés? Pourquoi les choses se sont-elles déroulées autrement à Montréal? Je ne crois pas que le nombre ait été le seul facteur déterminant. Un autre facteur réside dans la perception par l'immigré de messages clairs en région, ambigus, sinon confus à Montréal. Je m'explique.
Être Québécois, c'est appartenir à une majorité au Québec, ce qui constitue pour l'immigré un signal positif. Quand on immigre dans un nouveau pays, la première ambition, c'est d'en adopter le plus vite possible les mentalités, les coutumes, les comportements, les valeurs. Bien avant le désir de réussir, c'est d'abord l'anxiété de se fondre qui prédomine. Cette attitude est admirablement observée et traduite dans le vieux film américain «Douze hommes en colère» où celui des jurés qui rappelle le plus souvent à ses collègues les grands principes qui ont fait les États-Unis est précisément un immigré.
Mais être Québécois, c'est aussi être minoritaire au Canada. Si cela est occulté en région, par contre à Montréal, les deux messages se recoupent et la situation devient embarrassante. Sur qui se modeler? Qui représente la culture dominante? Suis-je au Québec ou au Canada?
Manifestement, au delà de ce que prévoit la Charte de la langue, le Québec et Montréal en particulier ont besoin d'une politique volontariste à long terme qui soit ferme et cohérente, et qui embrasse des domaines aussi différents que les infrastructures routières, le transport en commun, la politique municipale, la politique linguistique, l'accès à la fonction publique. Ces politiques devraient avoir pour objet d'aider à l'intégration de tous les citoyens à une culture commune, une culture québécoise dont la langue majoritaire et dominante soit le Français. (L'affaire des deux hauts fonctionnaires unilingues anglais recrutés par la Caisse de Dépôt et de Placement du Québec fait actuellement la Une des journaux. L'un d'eux est en fonction depuis onze ans, sans avoir jamais été invité à faire un effort sérieux. C'est significatif du laxisme, de la complaisance et de l'«àplatventrisme» de nos élites).
Les solutions qui s'apparentent au concept du multiculturalisme sont, à cet égard, aberrantes. Il n'y a pas et il ne peut y avoir de société multiculturelle. Une telle collectivité devient une addition d'égoïsmes et une jungle. Le Québec est capable, sans se dénaturer, de développer une culture et des structures susceptibles de permettre à l'immigré, aux nouvelles générations de néo-québécois de trouver leur place de citoyens à part entière au sein même de la société globale.
Le multiculturalisme présente les apparences de la tolérance et du respect des minorités. En fait, il porte en lui une menace grave. C'est l'isolement des néo-québécois dans de multiples ghettos où les cultures d'origine, faute d'oxygénation réelle et de possibilités concrètes de projet collectif, sont réduites au folklore, c'est-à-dire à l'étouffement et à la pétrification. Les personnes sont ainsi livrées à l'aliénation, en marge de la société globale.
C'est le propre d'une société de se définir par sa culture. II ne peut y avoir au Québec qu'une culture, la culture québécoise. Celle-ci possède d'ores et déjà, et doit continuer de développer les capacités d'engendrer et de promouvoir des valeurs de tolérance, de convivialité et de pluralisme, ainsi que des structures politiques, juridiques et sociales qui rendent possible le fait d'être, de différentes façons, Québécois; et qui permettent à tous les Québécois, anciens ou nouveaux, de jouir des mêmes droits, d'être soumis aux mêmes obligations. Il reste aux Québécois de souche de s'affirmer clairement et sans ambiguïté comme la majorité accueillante et dominante. Ce dernier terme peut paraître fort, voire choquant. II n'en est rien. Dominant n'est pas synonyme de dominateur. Ce qui donne à une toile de maître aux mille bigarrures, son caractère unique et son unité, c'est la présence d'une couleur dominante.
Le Québec et ses néo-Québécois
La culture québécoise
Quelques conditions nécessaires mais pas suffisantes à l'adhésion des Néo-Québécois à la langue française
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
17 novembre 2011Monsieur Berbery
C'est pas sorcier l'intégration des immigrants: ça prend un pays et une langue officielle ce que ne possède pas le Québec. C'est aussi simple que ça mais très difficile à faire rentrer dans la tête des Québécois. En attendant, on se dirige tranquillement vers la louisianisation du Québec parce qu'on n'ose pas se prendre en main en tant que collectivité responsable d'elle-même. Ce n'est pas en continuant à élire des gouvernements de collabos que nous allons nous en sortir; ça c'est sûr!
André Gignac 17/11/11