7 janvier 1998
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On croyait pourtant avoir tout entendu. Que non! Voilà que Mario Dumont, chef de l'ADQ, semble avoir enfin trouvé un moyen infaillible d'attirer l'attention. Dans Le Devoir de lundi, il nous apprenait son intention de rester neutre lors d'un troisième référendum sur la souveraineté. En d'autres termes, l'ADQ pratiquerait l'abstention.
C'est supposément par «souci de cohérence» qu'il adopte une telle position. Puisqu'il a déjà proposé un «moratoire» de dix ans sur la tenue d'un référendum, M. Dumont semble considérer sa nouvelle virginité politique comme étant d'une impeccable logique. Le fait est que, comme déduction, on aura vu mieux. S'ils avaient emprunté cette même «logique», tous les partis politiques de Québec et d'Ottawa - lesquels, hormis le PQ et le BQ, ne proposent aucunement la tenue d'un référendum sur cette question - s'abstiendraient à leur tour. Qui plus est, ils se seraient déjà abstenus et en 1980, et en 1995.
Ce ne sont pas les interrogations qui manquent sur la déclaration troublante du jeune chef de l'ADQ. C'est à se demander s'il comprend que son refus de participer au prochain référendum pourrait avoir comme effet de renforcer la position de ceux qui nient le droit des Québécois à leur propre autodétermination. Parce que M. Dumont n'est pas un simple citoyen mais le chef d'un parti dûment représenté à l'Assemblée nationale, son refus de prendre position se joindra, qu'il le veuille ou non, aux voix de ceux qui oeuvrent à nier la légitimité d'un tel référendum.
C'est aussi à se demander s'il voit que sa position risque d'encourager la multiplication des abstentionnistes qui ne viseraient encore une fois, qu'à délégitimer le processus référendaire (soit en contestant la question ou le pourcentage requis pour une victoire du OUI). S'aperçoit-il que la «logique» de la position abstentionniste s'inscrit à merveille dans celle du plan B fédéral et ne servirait au bout du compte, qu'à déstabiliser considérablement le déroulement de la prochaine campagne? Sait-il aussi qu'avec son récent jugement sur la Loi référendaire, la Cour suprême a justement ouvert la porte à la possibilité de considérer comme des «tiers» ceux qui prôneraient l'abstention? Ce que cette loi ne permettait pas avant que les juges ne s'amusent à la dynamiter. Comprend-il également que ce même jugement ouvre la porte à un financement public et privé des abstentionnistes?
On voit donc que, dans les faits, toute position abstentionniste n'est aucunement «neutre». Dans le contexte bien particulier du plan B, on ne s'en sort pas, toute abstention, parce qu'elle encourage cette délégitimation du processus même, ne peut que favoriser le camp du NON.
Dans de telles circonstances, la déclaration de M. Dumont voulant qu'il ne soit pas moins souverainiste qu'en 1995 n'a plus aucun sens. Il faut dire qu'il ajoute du même souffle qu'il veut une confédération à l'européenne tout en croyant toujours à l'évangile du rapport Allaire. Bref, le chef de l'ADQ serait à la fois souverainiste, confédérationniste et allairiste. A ce rythme, ce n'est plus d'ambiguïté chronique qu'on dira qu'il souffre, mais bien plutôt d'une incompréhension totale des options et des enjeux qui sont propres à la question nationale.
Dans une ère où les élus qui défendent des positions et des principes clairs se font de plus en plus rares, M. Dumont ne brille certainement pas par la précision de sa pensée. Il agit comme s'il n'avait pas vu que depuis le 30 octobre 1995, les options se sont considérablement clarifiées de part et d'autre ou, si on préfère, qu'elles sont de plus en plus polarisées. Entre le statu quo offert par le camp du NON et la souveraineté prônée par le camp du OUI, il ne reste plus - à moins de vivre avec Alice au pays des merveilles - de présumée troisième voie ou de confédération possible.
Sa position d'apparence confuse mais dont le résultat ultime sera de renforcer le camp fédéraliste, c'est ce qui pousse M. Dumont à se décrire lui-même comme un «nationaliste pratique». Catégorie nébuleuse s'il en est une, et qui ne va pas sans rappeler la formule d'un conseiller du premier ministre et ancien journaliste qui, tout au moins jusqu'à ce que Jacques Parizeau l'embauche en 1994, aimait se présenter comme un «souverainiste sceptique». Voilà des formules vaporeuses qui laissent toutes les portes ouvertes à ceux qui les prononcent.
Cela dit - et cette leçon est intemporelle autant qu'universelle -, un mouvement politique qui propose un changement aussi majeur que la souveraineté d'un Etat, doit s'attendre à ce que certains de ses alliés de circonstances quittent le navire lorsque la mer gronde ou lorsqu'ils jugent que leur propre intérêt est ailleurs. Et c'est pourquoi un tel mouvement doit soigner ses vrais alliés aux petits oignons plutôt que de prendre le risque de les aliéner ou de leur faire sentir qu'ils sont jetables après usage dès qu'une campagne référendaire est terminée.
L'année 1998 nous dira si cette leçon politique aura enfin porté dans cette grande coalition souverainiste de 1995, mais dont les solidarités, de toute évidence, sont de plus en plus éprouvées.
Quant à la «cohérence» de M. Dumont, il ne reste plus qu'à lui souhaiter de comprendre le plus rapidement possible que quelque chose d'aussi important que le destin d'un peuple appelle des positions nettement plus claires et plus courageuses qu'une simple et inquiétante abstention.
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