La centrale Gentilly-2 un an après Fukushima

Brève synthèse

Énergie nucléaire - Gentilly

À quand la décision du Gouvernement du Québec de procéder à la réfection de Gentilly-2 ou de choisir l’option du déclassement-démantèlement de ce réacteur CANDU6 entré en service le 1er octobre 1983 ?
TABLE DES MATIÈRES
I- La technologie CANDU: prétexte pour un gaspillage de fonds publics.
II- L’exploitation de Gentilly-2 est-elle rentable ?
III- La centrale jumelle de Pointe Lepreau: que nous révèlent les enseignements de cette réfection de centrale ?
IV- On peut apprendre aussi des erreurs des autres et investir autrement.
V- 11 mars 2012: tristesse à l’occasion du premier anniversaire de la fusion de trois réacteurs sur six de la centrale Fukushima Daiichi, Japon.
VI- La grande conclusion qui en ressort.


I- La technologie CANDU: prétexte pour un gaspillage de fonds publics.
Rappelons sommairement que le principe CANDU remonte, dans sa version première, aux années 1950 et résulte des travaux des employés de Énergie Atomique du Canada Ltée (ÉACL), société d’État fondée par une loi canadienne en 1952 dont le siège est situé à Mississauga, Ontario.

Le 29 juin 2011, une partie d’ÉACL a été vendue à SNC-LAVALIN pour la somme de 15 M$ et autres considérations.

Si on juge un arbre à ses fruits, les faits suivants concernant le nucléaire au Canada sont révélateurs:

a) Selon Éric Darier, PhD, directeur de Greenpeace, il a écrit le 25 juillet 2011, je cite: «... une société de la couronne (ÉACL) ayant englouti au moins 20 milliards de dollars de subventions publiques au cours des dernières décennies! » Nous pouvons assimiler ces crédits parlementaires comme étant une subvention à la R&D de la technologie CANDU, crédits payés par tous les canadiens, dont une partie payée par les Québécois.


b) D’autre part, cela se passe en Ontario lors de la fermeture de l’équivalent de Hydro-Québec, Ontario Hydro. Lors de la dissolution de cette société d’État le 1er avril 1999, les Ontariens ont hérité d’une dette de plus de 30 milliards $ largement expliquée par les réacteurs nucléaires construits pour Ontario Hydro au nombre de vingt réacteurs dans trois centrales différentes.


Voici ce que nous pouvons lire sur wikipedia sur le site de Ontario Hydro:
« La construction d'une troisième centrale nucléaire à Darlington, à une soixantaine de kilomètres à l'est de Toronto, sera par contre marquée par une série de délais et des dépassements de coûts substantiels. Le gouvernement de Bill Davis autorise la construction des quatre réacteurs qui devaient être complétés en 2003 (sic) pour la somme de 2,5 milliards de dollars. Les quatre réacteurs seront finalement mises en service entre 1989 et 1993 et leur coût total a augmenté à 14,4 milliards. »

Que ce soit un 20 milliards de subventions versées à ÉACL par le Gouvernement central avec les deniers publics, ou que ce soit la dette de 30 milliards $ héritée de Ontario Hydro en 1999, nous constatons que le nucléaire au Canada est comme un gouffre sans fond.

II- L’exploitation de Gentilly-2 est-elle rentable ?
Devant un déluge de milliards $ requis pour la recherche et le développement et pour la construction de centrales nucléaires de type CANDU au Canada, la question de la rentabilité de ces centrales surgit inévitablement. Si la technologie CANDU est déficitaire, pourquoi continuer dans la direction de la réfection d’une vieille centrale comme celle de Gentilly-2 qui a eu 28 ans le 1er octobre 2011 ?

Selon les chiffres publiés par Hydro-Québec pour l’exploitation de Gentilly-2 en 2009 et 2010, et nous espérons connaître bientôt les chiffres pour 2011, une analyse de ces chiffres nous révèle que les années 2009 et 2010 ont été déficitaires pour une somme de 8 millions $ en 2009 et de 20 millions $ en 2010 selon leur budget d’exploitation. Hydro-Québec n’a jamais rendu public ses chiffres démontrant la rentabilité de Gentilly-2 dans ce dossier gênant.

III- La centrale jumelle de Pointe Lepreau: que nous révèlent les enseignements de cette réfection de centrale ?
Concernant la réfection hypothétique de Gentilly-2, les communiqués de presse d’Hydro-Québec répètent que la décision de procéder ou non à cette réfection s’appuiera sur l’expérience de la réfection de la centrale jumelle de Pointe Lepreau située sur le bord de la baie de Fundy au Nouveau-Brunswick. Nous décelons un subterfuge à plusieurs facettes dans cette référence à la réfection de Point Lepreau.
Facette no.1: Le personnel actuel de G-2 est-il compétent ?
Gentilly-2 est opérée par Hydro-Québec depuis plus de 28 ans. En principe, cette centrale ne contient plus de secrets pour ses employés. Hydro-Québec s’emploie à répéter que pour des raisons de sécurité, Gentilly-2 est opérée par des employés «très compétents». En quoi la réfection de la centrale du voisin puisse être déterminante dans la décision de procéder ou non à la réfection de Gentilly-2 ?

Selon un rapport d’octobre 2004 fait pour Hydro-Québec Production, sur les 790 employés recensés, il existe 160 ingénieurs et 154 techniciens. Ces deux corps de métiers travaillent étroitement ensemble et leur nombre de 314 représente 40% de tout le personnel de Gentilly-2. Sont-ils aussi compétents qu’on le dit ?

Invoquer une référence à la réfection de Pointe Lepreau pour justifier la pertinence de la réfection de Gentilly-2 est quelque peu irrévérencieux ou suspect pour la compétence des employés de Gentilly-2. La centrale de Gentilly-2 fonctionne depuis son ouverture le 1er octobre 1983 supposément de manière sécuritaire et avec succès. Alors, les employés actuels sont-ils compétents ou ne le sont-ils pas ? Connaissent-ils leur réacteur en profondeur parce qu’ils l’entretiennent, le réparent ?
En quoi le réacteur jumeau de Point Lepreau soit une référence obligée avant de se prononcer sur d’autres enjeux beaucoup plus évidents pour le commun des mortels qu’une question de plomberie, de radioacivité, de très hautes pressions, en somme de la quincaillerie ? Pourquoi les ingénieurs de Gentilly-2 ne seraient pas à la hauteur? On plastronne que leur expertise est exportable. Est-ce vrai ?
Facette no.2: Les enseignements de Pointe Lepreau les plus pertinents sont surtout des erreurs à ne pas répéter.
Voici une liste des erreurs vécues à Pointe Lepreau à éviter ou à mesurer dans toute leur ampleur de manière à pouvoir confirmer que le déclassement-démantèlement est la meilleure option qui s’offre au Gouvernement de Jean Charest pour réaliser d’importantes économies en lieu et place d’un gaspillage de fonds publics.
E.1 Éviter de devoir retuber le coeur du réacteur comme a dû le faire le maître d’oeuvre de cette opération, Énergie atomique du Canada Ltée. Le maître d’oeuvre était-il à la hauteur de la tâche à Pointe Lepreau?
E.2 Éviter d’échapper deux turbines toutes neuves arrivées d’Europe: une fois placées sur une barge d’Irving Marine dans le port de St-John, la barge a versée envoyant les 2 turbines baigner dans l’eau de mer: dommages réclamés de 40 millions $.
E.3 Quatre générateurs de vapeur font partie du réacteur dans l’enceinte de confinement, tous âgés comme le réacteur. Pour économiser maintenant, on décide de ne pas les changer à G-2 en même temps que la réfection du réacteur. Pourquoi reporter ce changement dans x années, pourquoi pelleter en avant ? Ce changement futur nécessitera l’arrêt complet du réacteur et il faudra pratiquer une grande ouverture dans le mur d’enceinte en béton du réacteur: des centaines de millions $ à l’horizon.
E.4 Non respect du calendrier original qui a été annoncé pour les travaux de réfection: de avril 2008 à septembre 2009. La fin de la réfection est maintenant annoncée pour l’automne 2012, soit 36 mois plus tard. Ce retard implique une importante hausse des coûts.
E.5 Comme nous venons de le mentionner, non respect du budget de réfection annoncé de un milliard$ qui est maintenant estimé à 2 milliards $, soit en hausse de 100%. C’est un doublement du budget original.
E.6 Énergie NB avait estimé qu’il lui en coûterait 400 M$ en coûts de remplacement de l’électricité non produite par Pointe Lepreau durant la réfection. Ces coûts s’approcheront du milliard $ à l’automne 2012 à raison de un million $ par jour, multiplié par 36 mois ou 1095 jours, soit 1,095 G$. C’est un dépassement de 174% des prévisions.
E.7 À ce jour, le volume des déchets contaminés et radioactifs générés par les travaux de réfection est multiplié par cinq fois la quantité estimée au départ. La gestion de ces déchets, leur transport dans des sites spécialisés pour traitement par incinération pour certains déchets et l’entreposage de ceux qui ne peuvent être incinérés représentent des coûts additionnels par millions $.
Le déclassement-démantèlement de Gentilly-2 est la solution garantie de ne pas répéter les erreurs de Pointe Lepreau.
IV- On peut apprendre aussi des erreurs des autres et investir autrement.
Toutes ces erreurs additionnées ensemble cumulent finalement des millions et des milliards qui auraient tôt fait d’être utilisés autrement pour la conservation de l’énergie dans des maisons mieux isolées, pour l’éducation continue du grand public qui doit consentir des efforts pour économiser l’énergie sous toutes ses formes et pour des investissements dans des parcs d’énergie verte comme la biomasse, l’éolien et le solaire. Le Québec est riche de ces gisements.
V- 11 mars 2012: tristesse à l’occasion du premier anniversaire de la fusion de trois réacteurs sur six de la centrale Fukushima Daiichi, Japon.
Ce premier anniversaire doit nous permettre de mesurer encore grossièrement tous les dommages que la fusion de trois réacteurs a causé et crée encore.
Si nous nous arrêtons qu’aux dommages économiques, ils sont de deux catégories:
- les dommages économiques de plus de 200 milliards $ causés à l’économie du pays tout entier. Ces pertes économiques dureront durant des décennies.
Qui au Québec, du Gouvernement avec un PIB annuel de 300 G$ ou d’Hydro-Québec avec un actif propre de 18,5 G$ (2010) peut absorber et compenser une telle perte ?
- les dommages causés aux biens personnels des japonais qui ont tout perdu. La radioactivité encore émise par les réacteurs en fusion rend inhabitable pour plusieurs décennies des milliers de kilomètres carrés dans un rayon de dizaines de kilomètres de la centrale Fukushima Daiichi. De semblables dommages causés par la fusion du réacteur de Gentilly-2 ne sont pas indemnisables par les polices d’assurances habitation du Québec. Les compagnies d’assurances du Québec ont pris soin d’exclure de leur couverture les dommages générés par une catastrophe nucléaire de Gentilly-2.
conclusion: en matière de risques économiques au Québec découlant d’une catastrophe nucléaire à Gentilly-2, cela signifie que ce risque est assumé par tous les québécois. Ce risque est encore plus grand pour les habitants et leurs biens dans la région populeuse de Trois-Rivières.
Anecdote: un hôtelier, en vertu de sa police d’assurance commerciale, serait en droit de refuser l’hébergement à des clients qui arriveraient d’une zone contaminée par la radioactivité de Gentilly-2, eux-mêmes étant potentiellement porteur de radioactivités.
VI- La grande conclusion qui en ressort.
Comment pouvons-nous penser que la réfection de Gentilly-2 soit la meilleure décision à prendre lorsque notre société d’État, Hydro-Québec, n’a pas besoin de cette centrale vieillissante, polluante, coûteuse, inutile et très risquée ?
Qui plus est, les 790 emplois (2003) actuellement nécessaires pour opérer cette centrale durant moins de 245 jours en 2011, produisant moins de 2% de l’électricité nette requise par Hydro-Québec, tous ces employés ont un avenir garanti par d’excellentes conventions de travail. Des centaines de ces employés seront requis pour le déclassement-démantèlement de la centrale voisine Gentilly-1 arrêtée officiellement depuis 1980 et pour démarrer le déclassement de Gentilly-2.
C’est sans compter les centaines d’autres emplois qui trouveront place dans le développement et le monitoring de toute activité nucléaire sur le territoire du Québec à mettre en place dans les locaux déjà bien équipés des centrales Gentilly-1 et 2.
Et nous n’avons pas traité le sort «imprévu et indéfini» des 2500 tonnes de combustible nucléaire irradié (CNI) actuellement entreposés sur le site de Gentilly-2.
Pour les générations actuelles et celles qui sont montantes, l’option du déclassement-démantèlement de Gentilly-1 et 2 est beaucoup plus motivante pour les Québécois et va dans le sens du respect de notre environnement et de la qualité de notre vie.
Les risques d’une catastrophe nucléaire à Gentilly-2 sont disproportionnés des piteux avantages que le Québec peut retirer de cette centrale nucléaire. D’autres États dans le monde ont déjà empruntés la voie du déclassement-démantèlement de leurs centrales nucléaires vieillissantes.


***
François A. Lachapelle, retraité d’Hydro-Québec et actionnaire minoritaire
7 mars 2012


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