La campagne bilingue d’une candidate de Québec solidaire ne fait pas l’unanimité

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La langue commune selon QS est le « bilingue »

Alors que le déclin du français au Québec retient une fois de plus l’attention lors de la campagne électorale, la candidate de Québec solidaire dans Notre-Dame-de-Grâce suscite la controverse avec des publications bilingues.


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«We’re a multigenerational & bilingual team», peut-on lire sur le compte Instagram de l'association qsiste du comté de NDG en soutien d’Élisabeth Labelle. Celle-ci prend aussi la peine de traduire toutes ses publications sur son compte Twitter.


La candidate solidaire et ses équipes ne lésinent pas sur les moyens de se faire comprendre par la majorité anglophone et allophone du comté.


Si le principe de français langue commune devrait faire en sorte que ces populations puissent comprendre des communications générales et politiques dites dans la langue de Molière, c’est par souci d’inclusivité que Mme Labelle s’exprime ainsi.



Répondant à des questions au sujet de ces publications bilingues controversées, la candidate solidaire explique qu’elle souhaite avoir une approche bienveillante avec les populations anglophones et allophones de son comté alors que 22% des personnes qui y vivent ne parlent pas français.


Elle soulève aussi l’ire du commentateur spécialisé en questions linguistiques, Frédéric Lacroix, qui explique que «cela signifie évidemment que la langue de convergence, la langue commune et la langue d’intégration d’une grande proportion d’allophones à Montréal est l’anglais. Nous sommes mis face à une autre manifestation de l’échec de la loi 101 (et la loi 96, c’est déjà prévisible)».



PHOTO STEVENS LEBLANC


C’est que la loi 101 ne prévoit pas d’obligation linguistique à proprement parler pour les communications et les affichages politiques. 


La seule référence est dans l’article 59 de la Charte, où il est stipulé que les obligations concernant l’affichage commercial (prépondérance du français) ne s’appliquent pas aux communications politiques.


Mme Labelle explique aussi qu’elle et sa campagne peuvent protéger le français tout en reconnaissant les réalités locales comme celle de NDG, où la communauté anglophone est majoritaire. 


«Comme je me présente pour être la voix de tout le monde, il est naturel pour moi de m’exprimer d’abord en français, la langue commune du Québec, ainsi qu’en anglais, pour les personnes dont le niveau de français n’est pas suffisamment élevé́ pour bien comprendre nos idées. Il faut créer des ponts entre les communautés», ajoute-t-elle. 


Là encore, M. Lacroix n’arrive pas à concevoir la viabilité d’une telle réponse.


«Il est incohérent de prétendre que le français serait la “langue commune” tout en utilisant systématiquement l’anglais à côté. Cette notion de “langue commune” est vide de sens dans un contexte de bilinguisme systématique. Il faut que les futurs députés, représentants de l’État, soient exemplaires si on souhaite réellement faire du français la langue commune», explique-t-il.


Il rappelle aussi que, dans NDG, selon le profil du recensement de 2016, «les anglophones [langue maternelle] forment 38,8% de la population de NDG. Donc, pas la “majorité”». 






Alors que de nombreux citoyens accusent la candidate qsiste de réduire au silence la chute du fait français au Québec par son comportement, Mme Labelle considère ces commentaires comme «réducteurs».


«C’est une erreur d’adopter un discours accusateur ou de créer des divisions. Je suis préoccupée par la situation du français au Québec, notamment dans les milieux de travail et dans la culture consommée. Je crois qu’il faut investir davantage en francisation et en culture», avance-t-elle.


«J’ai souhaité́, durant cette campagne, tendre la main à toutes les personnes de Notre-Dame-de-Grâce, indépendamment de leur origine et de leur langue», conclut-elle. 


Des exemples qui ne manquent pas ailleurs


Cet exemple de campagne électorale bilingue dans un comté à forte proportion d'anglophones et d'allophones n'est néanmoins pas le seul, comme le montrent les publications Twitter de la candidate libérale dans d'Arcy McGhee, Elisabeth Prass.



Une autre campagne libérale peut aussi être citée, celle de Jennifer Maccarone dans Westmount - Saint Louis.



CRÉDIT PHOTO JULIEN CORONA.


Une pancarte bilingue de la candidate libérale dans Westmount - Saint Louis, Jennifer Maccarone.


Qu’en dit Élections Québec?


En allant s’enquérir auprès de l’organisme indépendant assurant le libre exercice du droit de vote de l’ensemble des citoyens québécois et leur pleine accessibilité à ce droit, on a pu voir un ensemble de guides d’accessibilité au vote produits dans les deux langues officielles, voire dans de nombreuses langues étrangères.



Étant donné que le droit de vote est un droit garanti par la Charte des droits et libertés de la personne, une entrave linguistique peut être vue comme une entrave à l’exercice de ce droit.


Pour Guillaume Rousseau, professeur agrégé en droit à l’Université de Sherbrooke et directeur des programmes de droit et politique appliqués de l’État, on est encore ici dans une mauvaise pratique linguistique.




PHOTO COURTOISIE


Le professeur de droit de l'Université de Sherbrooke, Guillaume Rousseau


«L’article 1 de la loi 101 dispose que le français est la seule langue commune de la nation québécoise. Cela est encore plus réaffirmé par la récente loi 96. C’est un principe fort qui doit avoir des effets», explique-t-il.


«Le principe de français langue commune suppose que tous les citoyens du Québec connaissent le français. Donc, lorsqu’on fait des communications dans l’espace public à des fins civiques, il n’y a aucune raison de ne pas les faire uniquement en français», ajoute-t-il.


Le Service des communications d'Élections Québec affirme qu’une nouvelle pratique linguistique va être appliquée à la suite du scrutin en cours et sera annoncée dans les prochaines semaines.



JEAN-FRANÇOIS DESGAGNÉS/JOURNAL


«Il sera intéressant de voir quelles seront les nouvelles lignes de conduite linguistiques annoncées par l’organisme», conclut M. Rousseau.


Les élections générales auront lieu ce lundi 3 octobre. Alors qu’un quart de l’électorat a déjà pu voter de manière anticipée, la question du français langue commune a encore une fois constitué un sujet majeur.