La Caisse et la crise financière

Allocution prononcée devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain Montréal, le 9 mars 2009

L'affaire de la CDP - le cas Henri-Paul Rousseau


N.B. : l’allocution prononcée fait foi
LA CAISSE ET LA CRISE FINANCIÈRE

Par Henri-Paul Rousseau
Mesdames et messieurs de la table d’honneur,

Mesdames et messieurs,

Bonjour,
Je veux d’abord remercier M. Michel Leblanc pour sa présentation et son aimable invitation à m’adresser à vous aujourd’hui.
Il va de soi que comme ancien président, j’attendais de connaître les résultats de la Caisse avant de les commenter. Comme je l’ai fait savoir le jour du dévoilement de ces résultats, j’aurais volontiers comparu devant la Commission des Finances publiques de l’Assemblée nationale. Et bien sûr, je suis toujours disposé à le faire. Toutefois, j’ai cru opportun de saisir l’occasion qui m’était faite par la Chambre d’utiliser sa tribune pour donner mes perspectives sur la Caisse et la crise financière mondiale. Je crois même avoir le devoir de parler à l’ensemble des Québécois, ce que la présence des médias me permet de faire aujourd’hui.
Je vous signale au passage que je m’adresse à vous en mon nom personnel. Étant donné l’importance et la complexité du sujet, je dépasserai sans doute la vingtaine de minutes habituelle.
Le 25 février, la Caisse de dépôt a publié ses résultats pour l’année 2008. Ces résultats ont semé l’émoi chez les Québécois. Je les comprends. Rien de plus normal étant donné l’importance de la baisse de l’avoir des déposants et le rôle crucial de la Caisse dans notre société.
Une crise financière sans précédent a secoué le monde à l'automne 2008, soit cinq mois après que j’aie quitté la présidence de la Caisse. J’ai donc vécu la crise à l’extérieur de la Caisse.
Cela ne veut pas dire que je reste indifférent. Je suis très sensible à la tourmente dans laquelle cette crise financière mondiale a plongé la Caisse et ses déposants. On ne peut pas avoir été pendant plus de cinq ans à la tête d’une institution aussi prestigieuse sans ressentir aujourd’hui une sincère empathie à l’égard des gestionnaires et des employés toujours en place. La Caisse a vécu des moments difficiles et cela me touche profondément.
J’aimerais aujourd’hui partager avec vous ma perspective sur trois points que je considère essentiels.
D’abord, à l’automne la Caisse a été frappée de plein fouet par une combinaison de facteurs qui a créé la tempête parfaite. Je parlerai de chacun de ces facteurs, mais l’un d’eux est le fameux PCAA. À ce sujet je vous le dis d’emblée : la situation du PCAA s’est développée pendant que j’étais premier dirigeant de la Caisse et, à ce titre, j’en assume pleinement la responsabilité.
Le deuxième point, c’est que la Caisse a affronté la crise dotée d’un coussin de plusieurs milliards qui découle d’une excellente performance provenant d’une saine diversification des portefeuilles, et non d’une prise de risque inappropriée.
Et mon troisième point, c’est que la Caisse est en bien meilleur état qu’on ne le croit généralement et très bien positionnée pour l’avenir.
Je vous le dis tout de suite : malgré tout ce qu’on a pu dire ou écrire depuis quelques semaines, même après l’automne 2008, même en pleine crise financière mondiale, la Caisse demeure une institution de calibre mondial. La Caisse est un des plus importants gestionnaires d’Amérique du Nord; un partenaire de premier plan pour les entreprises du Québec; un chef de file au Canada dans le domaine du placement privé et des infrastructures; un des dix plus grands gestionnaires
immobiliers au monde; une institution cotée AAA, la plus haute cote qui soit, confirmée vendredi dernier par Moody’s.
Automne 2008 : la tempête parfaite
Parlons d’abord de la crise mondiale de l’automne dernier.
En 45 jours de l’automne 2008, il s’est produit plus d’événements et de rebondissements sur les marchés financiers que pendant les presque 45 ans d’existence de la Caisse.
L’ampleur de cette crise était d’autant moins prévisible qu’elle a été déclenchée par une décision précise des autorités américaines : la décision de laisser Lehman Brothers faire faillite. Depuis les années 30, jamais un gouvernement d’un pays développé n’avait laissé tomber une très grande institution financière. Cette politique était tellement bien établie qu’elle avait presque le statut de postulat. On disait : « Too big to fail ». « Trop gros pour faire faillite ». L’adage a été validé en mars 2008, lorsque le gouvernement américain s’est porté à la rescousse de Bear Stearns, dont la taille était pourtant moins de la moitié de celle de Lehman Brothers. Quand Lehman Brothers a fait faillite le 15 septembre sans que le gouvernement américain ne se porte à sa rescousse, le monde financier a basculé. De « too big to fail », on est passé à « too big to bail ».
Cet événement est capital. Pour le comprendre, imaginez-vous un instant que les gouvernements du Canada et des autres pays du monde, sans avertissement, suppriment l’assurance-dépôt des banques demain matin. Rapidement nous irions tous retirer notre argent de la banque pour le conserver sous une autre forme : espèces, or et métaux précieux, etc. Ce mouvement ferait rapidement boule de neige. Il y aurait une ruée sur les banques et tout le système bancaire mondial serait rapidement paralysé.
La faillite de Lehman Brothers a eu un impact similaire sur les marchés financiers mondiaux : le gouvernement américain a retiré une garantie implicite qui était une des assises de la confiance dans les marchés financiers.
Par conséquent, on ne peut pas exagérer la rupture, la dislocation que ce point de bascule a représentées. Les marchés ont réagi avec une force inouïe. Il y a eu une explosion de la prime de risque; les indices de volatilité des marchés ont atteint des sommets sans précédent; il y a eu un élargissement sans précédent des écarts de crédit pour les entreprises et les institutions financières. S’ensuivit une chute simultanée et spectaculaire de toutes les valeurs dans tous les marchés – non pas parce que tous les actifs du monde ne valaient plus rien, mais parce que l’incertitude était telle qu’il n’y avait plus d’acheteurs.
Il en a résulté la tempête parfaite. « The perfect storm ». Aucune politique de diversification, aucune politique de gestion de risques ne met à l’abri de ce genre de synchronisme qui ne s’est pas produit depuis 80 ans.
Résultat : l’avoir de la Caisse s’est déprécié de 39,8 milliards, une baisse de 25 pour cent. C’est énorme.
Cette tempête parfaite a frappé tout le monde. Aucun grand investisseur nord-américain n’y a échappé. Mais la crise financière mondiale n’a pas frappé tout le monde également. La Caisse a été plus durement frappée que ses pairs canadiens pour trois raisons : premièrement, l’impact des règles comptables qui lui sont propres; deuxièmement, l’impact de la politique de la Caisse en matière de protection contre les fluctuations de change; et troisièmement, l’impact du PCAA.
D’abord, les règles comptables. Parce qu’elle gère des fonds de tiers, ceux de ses déposants, la Caisse doit utiliser des règles comptables qui s’appliquent à une société de placement, et non celles d’une caisse de retraite ou d’une société d’assurance. Contrairement à ces institutions, la Caisse utilise des règles qui obligent les experts indépendants et les vérificateurs à évaluer les actifs comme s’ils devaient être vendus à la date du bilan. En temps normal, ces règles ne posent aucun problème. Dans l’état actuel des marchés cela oblige la Caisse à prendre des provisions plus élevées que les autres institutions. Prenons un exemple typique donné par le président Perreault. La Caisse possède un immeuble commercial à Londres, loué au gouvernement britannique pour dix ans, contre un loyer dont la croissance est préétablie sur la durée du bail. Les revenus de cet immeuble ne sont pas à risque et la Caisse n’a pas de raison de le vendre à court terme. En raison de la baisse des valeurs immobilières sur le marché de Londres, suite à la tempête parfaite, la valeur marchande a été dévaluée de 30 pour cent le 31 décembre 2008, même si ses loyers ont augmenté en 2008 – et qu’ils augmenteront encore en 2009. Faites cela à l’échelle des investissements de la Caisse en immeubles, participations privées et projets d’infrastructure, et vous aurez compris que de telles dévaluations sont responsables d’une très large partie de la baisse de valeur de la Caisse en 2008.
En fait, la majorité de la baisse de valeur, soit 22 milliards sur les 39,8 milliards, est constituée de provisions, essentiellement dues à la tempête parfaite de l’automne dernier et dues à l’impact des règles comptables applicables à la Caisse.
Le deuxième élément, comme l’a expliqué monsieur Perreault, c’est le coût de la protection contre les fluctuations de change, à hauteur de 8,9 milliards.
La crise a eu un impact sans précédent sur le dollar canadien. Du 26 septembre au 27 octobre, en un seul mois, le dollar canadien s’est déprécié de 20 pour cent – du jamais vu dans toute l’histoire de notre devise, crise de 1929 incluse. Il importe de bien comprendre l’impact de cette baisse soudaine et sans précédent du dollar canadien. Avec la croissance de la Caisse et la diversification internationale de son portefeuille immobilier et de placements privés, la Caisse a adopté il y a une quinzaine d’années une politique de protection des fluctuations de change. Cette politique de la Caisse est tout le contraire d’une politique spéculative. Réputée neutre à long terme, cette politique a eu pour effet en 2008 de coûter plus cher à la Caisse qu’à ses pairs, également présents à l’étranger, mais dotés d’une politique de protection contre les fluctuations de change globalement moins conservatrice que la Caisse.
Le PCAA : une erreur assumée mais une restructuration réussie
Le troisième facteur est celui des PCAA. La Caisse a enregistré une nouvelle provision de 4 milliards à ce chapitre en 2008, soit 10 pour cent de la baisse de valeur totale. On en a beaucoup parlé ces derniers temps; on me permettra donc de m’y attarder un peu.
Aussi répandu que les bons du Trésor fédéral, le PCAA représentait en 2007 près du tiers du marché monétaire canadien. Transigé depuis les années 1990 au Canada, il n’avait fait l’objet d’aucun défaut de remboursement. Il était coté AAA par DBRS, une agence de notation reconnue. La Caisse a commencé à utiliser le PCAA comme instrument de gestion de liquidité en 1997.
Le PCAA s’était donc imposé comme un véhicule utile sur le marché monétaire canadien, où relativement peu d’instruments de gestion de liquidité sont disponibles.
La qualité intrinsèque de ce véhicule, ou celle de ses valeurs sous-jacentes, n’a jamais fait problème au Canada.
Le problème survenu en 2007 découlait d’une échappatoire de la réglementation au Canada sur les ententes de liquidité – en anglais, on dirait un loophole. Cette échappatoire a été exploitée par des banques étrangères pour se soustraire à leur engagement de maintenir la liquidité des PCAA
lorsqu’il y a eu une perturbation généralisée du marché des PCAA non-bancaires en août 2007. Peu importe leur valeur intrinsèque, les PCAA ne trouvaient plus preneur.
La perturbation des marchés du PCAA a été mondiale. Pourtant, seul le Canada a été confronté à une impasse durable de liquidité. Partout ailleurs, avec l’appui de leurs banques centrales, les banques ont fourni les liquidités nécessaires au maintien du marché des PCAA.
D’ailleurs, depuis la perturbation d’août 2007, toutes les banques faisant affaire au Canada ont adopté les normes internationales appelées Entente de liquidité globale.
Comme l’a dit le président Fernand Perreault, l’erreur ne fut pas de détenir des PCAA; elle fut d’en accumuler autant. L’accumulation a été rendue possible parce que la politique de gestion de risque de la Caisse ne comportait pas de plafond pour les produits du marché monétaire de première qualité. Cette situation a été évidemment corrigée depuis.
L’accumulation est le fruit de centaines de transactions, réalisées sur une période de plusieurs années sans aucun incident. La direction de la Caisse n’a pas décidé d’un seul coup d’accumuler 13 milliards de PCAA. La Caisse avait simplement beaucoup de liquidités parce qu’elle avait encaissé beaucoup de profits de 2005 à 2007.
Malgré ces faits, malgré ces explications, cette situation regrettable s’est produite pendant mon mandat. Comme premier dirigeant, j’en assume la pleine responsabilité.
Je revendique toutefois d’avoir rapidement, avec des collègues de l’industrie financière, posé les gestes appropriés pour résoudre l’impasse du PCAA non-bancaire canadien. Grâce à l’Entente de Montréal, le PCAA non-bancaire canadien a été restructuré avec succès. Résultat : plutôt que de subir des pertes colossales dans le cadre d’une vente de feu du PCAA, la Caisse détient des créances à long terme sur lesquelles elle perçoit des intérêts trimestriels. Elle a reçu 389 millions de dollars d’intérêts accumulés en janvier dernier. La décote actuelle reflète l’absence de marché liquide pour ces titres, et non leur valeur intrinsèque. À peine 3 pour cent des provisions enregistrées sur les PCAA sont matérialisées. Ces créances affichent une bonne perspective de récupération du capital à l’échéance.
Le 23 février dernier, la Banque du Canada s’est donné de nouveaux moyens de soutenir les marchés perturbés en élargissant la liste des produits qu’elle peut prendre en pension en échange de nouvelles liquidités. Elle envisage maintenant de prendre en collatéral les acceptations bancaires, le papier commercial, les obligations de sociétés et les PCAA notés par un minimum de deux agences. Cela constitue une amélioration très bienvenue. Mais il serait plus que souhaitable qu’on ajoute à cette liste le PCAA non-bancaire restructuré. La Banque du Canada pourrait les prendre en pension. Comme il en existe pour plus de 30 milliards de dollars au Canada cela contribuerait grandement à restaurer le marché pour ces titres ainsi que pour les autres créances.
J’estime que plus de 15 milliards de dollars seraient ainsi dégelés au profit de l’économie canadienne, dont plus de 50 pour cent au Québec.
En rétrospective, cette crise mondiale, cette « tempête parfaite », nous apprend que malgré les grands dogmes de la finance, il nous faut dorénavant tout envisager – même l’improbable, voire l’impossible. La crise de 2008 a tout changé à tout jamais.
Les changements à venir touchent l’ensemble du système financier, sa réglementation et ses pratiques d’affaires et de gestion de risques, à la Caisse comme partout ailleurs.
En ce qui concerne la gestion de risques, il est clair que la Caisse, comme les autres gestionnaires, accorde déjà une attention accrue aux enjeux de liquidité, ainsi qu’aux scénarios extrêmes et improbables. Monsieur Perreault a été clair là-dessus.
2003 – 2007 : une solide performance
Cela étant, il est essentiel de mettre les événements de 2008 en perspective.
Quand on prend un peu de recul, on constate que, avec ou sans PCAA, la Caisse est dans un bien meilleur état pour traverser la crise actuelle qu’on semble le croire généralement. En fait, même en tenant compte de la dure année 2008, le patrimoine des déposants à la Caisse est aujourd’hui plus élevé que si la Caisse avait reproduit, de 2002 à 2008, sa performance historique des années 90.
Je m’explique et permettez-moi de revenir un instant sur la performance de la Caisse jusqu’à la dramatique année 2008.
De 1988 à 2002, les rendements moyens de la Caisse sur les périodes successives de cinq ans se classaient systématiquement au troisième ou quatrième quartile parmi les grandes caisses de retraite canadiennes. Au mieux, la tendance historique de cette période est une performance de troisième quartile. En d’autres termes, sur des moyennes de cinq ans, la grande majorité des caisses de retraite faisaient mieux que la Caisse depuis 1988.
Dès 2004 la Caisse s’est hissée dans le premier quartile pour ses rendements annuels. Et en 2007, son rendement sur cinq ans était meilleur que 95 pour cent des grandes caisses de retraite canadiennes.
Si la Caisse avait continué de produire des rendements de troisième quartile, l’avoir des déposants serait passé de 77,7 milliards de dollars à la fin de 2002, à 140 milliards à la fin de 2007.
En réalité, grâce à sa performance de premier quartile, la Caisse a accumulé un avoir net de 155 milliards de dollars le 31 décembre 2007.
Autrement dit, la performance de la Caisse a été telle qu’à la fin de 2007, elle avait permis d’accumuler un coussin de 15 milliards par rapport à la performance historique de troisième quartile. Enlevez la provision prise sur le PCAA en 2008, il reste encore un coussin de 11 milliards. Tenez compte finalement de toutes les baisses de valeur de 2008, sans exception, même celles qui sont des provisions, et il reste encore aux déposants de la Caisse trois milliards de plus que si la Caisse avait prolongé sa performance historique de troisième quartile des années 90.
Une vraie progression, de vrais dollars
Voilà pour la valeur comptable de l’avoir des déposants de la Caisse. Je le rappelle, celle-ci est établie comme si la Caisse devait liquider tous ses actifs le 31 décembre de chaque année. C’est ce qu’imposent les règles comptables appliquées par les comités d’experts indépendants et les vérificateurs. Mais la Caisse investit à long terme et non pour revendre ses actifs le 31 décembre de chaque année. Son objectif, c’est de faire fructifier l’avoir des déposants pour que ceux-ci puissent honorer leurs engagements envers les retraités et les assurés. Cela se fait avec des dollars, et non des valeurs comptables.
À cet égard, la performance de la Caisse a également été excellente depuis 2003. Les revenus courants – c’est-à-dire les dividendes, loyers et intérêts tirés des actifs de la Caisse, sont passés de 3,5 milliards à 6,2 milliards de dollars.
Cette réussite est très importante pour deux raisons.
D’une part je le répète, ces revenus courants permettent aux déposants d’honorer leurs engagements de rentes et d’assurance sans avoir à vendre des actifs. Nous avons des défis
démographiques qui nous sont propres. Notre population vieillit. Il sera toujours préférable d’avoir des revenus pour payer des rentes et de prestations d’assurances plutôt que de vendre des actifs.
D’autre part, ces revenus courants indiquent que les actifs de la Caisse sont de bonne qualité, capables de générer des revenus en espèces, peu importe les valeurs comptables qui leur sont assignées. Jugez-en par vous-même, même si ces actifs ont été dépréciés de 25 pour cent en 2008, ils rapportent presque autant d’argent qu’auparavant.
La clé de la bonne performance de la Caisse: la diversification, et non l’augmentation du risque
Regardons maintenant ce qui explique la performance de la Caisse au cours des dernières années. Sa bonne performance tient essentiellement à deux choses. D’abord, elle est le fruit d’une collaboration étroite entre la Caisse et ses déposants. Ensuite, elle est le résultat d’une prudente diversification. Et non, elle ne résulte pas d’une prise de risque inconsidérée.
À mon arrivée à la Caisse j’ai procédé non seulement à une évaluation interne des forces de la Caisse et des points à améliorer; non seulement à une revue des meilleures pratiques chez les meilleurs gestionnaires de fonds au monde; mais j’ai aussi effectué une consultation de tous les déposants à la Caisse. On oublie trop souvent que la Caisse n’est pas une société d’État comme les autres. Elle est plutôt une véritable coopérative publique dont les déposants sont à la fois les propriétaires et les clients.
C’est leur patrimoine que la Caisse administre. Rappelons-nous que les avoirs des déposants proviennent de cotisations et contributions à des régimes de rentes et d’assurance. Ce ne sont ni des taxes, ni des impôts.
Dans le cadre de leurs lois constitutives, c’est aux déposants qu’il incombe de s’acquitter de leurs obligations vis-à-vis leurs propres commettants, qu’il s’agisse des employés du secteur public, des employés de la construction, des accidentés du travail, des accidentés de la route ou de l’ensemble des cotisants au régime de rentes du Québec.
Il faut bien comprendre que ce sont les déposants, et non le gouvernement, qui constituent le pivot de la relation entre la Caisse et le secteur public du Québec.
Que m’ont dit les déposants? Leurs attentes étaient très claires. Ils voulaient :
1. une meilleure gestion des risques;

2. une plus grande transparence et une meilleure reddition de comptes;

3. une participation active à la politique de placement;
le tout pour produire un rendement annuel moyen de 7 pour cent sur un horizon de 10 ans sans accroître le risque. C’est en effet le rendement qu’ils estimaient requis pour honorer leurs obligations à long terme.
Ce sont ces attentes qui ont guidé l’action de la Caisse.
C’est en fonction de ces attentes que la Caisse offre maintenant à ses déposants la possibilité d’investir dans 18 portefeuilles spécialisés. Pour chacun de ces 18 portefeuilles, il existe une politique d’investissement et une politique de gestion de risque. Ainsi chaque déposant peut répartir ses fonds parmi ces portefeuilles en fonction des besoins spécifiques, de sa propre politique de gestion de risque et de sa propre politique de placement. C’est ce qui explique que, pour 2008, les déposants affichent des rendements qui s’échelonnent de moins 17 à moins 27 pour cent. Ils ont des politiques de placement différentes.

Dans un contexte de faible inflation et de taux d’intérêt nominaux également faibles, comment obtenir le rendement de 7 pour cent sans accroître le risque? Cela semble impossible à un investisseur limité aux actions et aux obligations. Il atteint rapidement ce qu’on appelle la frontière d’efficience de son arbitrage risque-rendement. Une fois cette frontière atteinte, il est vrai qu’il n’a d’autre choix que d’augmenter sa proportion d’actions, donc de prendre plus de risque, s’il veut augmenter le rendement du portefeuille. C’est de cette notion que vient la croyance populaire que la bonne performance de la Caisse entre 2003 et 2007 découlerait nécessairement d’un accroissement de risque. Cela n’est pas conforme à la réalité.
Parce qu’un gestionnaire de fonds de la taille de la Caisse a un éventail de possibilités beaucoup plus large qu’un investisseur moyen, il peut diversifier davantage en investissant dans une multitude de produits et d’industries et ce, partout sur la planète. En fait, certains investissements ne sont accessibles qu’aux investisseurs d’envergure mondiale.
C’est d’abord par une meilleure diversification, et non davantage de risques, que les rendements de la Caisse se sont hissés jusqu’au premier quartile entre 2003 et 2007. C’est ce que désigne l’expression « rendement optimal » dans la mission de la Caisse : la recherche du rendement requis par les déposants en respectant le niveau de risque fixé par eux, et non le rendement maximal au prix d’un risque accru.
Je n’ai pas inventé la roue en accroissant la diversification du portefeuille de la Caisse. Cette diversification accrue, loin de rompre avec le passé, s’inscrit dans le prolongement des gestes posés par le législateur et les gestionnaires de la Caisse au cours des quarante années précédentes. En 1968, la Caisse gérait un portefeuille constitué à 80 pour cent d‘obligations et 20 pour cent d’actions. Progressivement, la proportion des actions a plus que doublé. Puis dans les années 80, les placements privés et l’immobilier sont apparus et ont permis à la Caisse de se diversifier davantage.
Au fil de la croissance et de cette diversification, les dirigeants de la Caisse ont constitué un réservoir d’expertise enviable – notamment en immobilier et en placements privés – de même qu’un impressionnant réseau international de partenaires et de contacts. C’est en capitalisant sur cette vaste expérience que la Caisse a poursuivi sa croissance et sa diversification.
De 2002 à 2007, la part des actions cotées en bourse dans l’actif de la Caisse a diminué de 42 % à 36 %, au profit d’un accroissement de 22 % à 35 % des actifs dits non traditionnels comme l’immobilier, les infrastructures ou des fonds de placement privés de première qualité. Ces actifs ont l’avantage de produire d’importants revenus courants, revenus qui deviennent essentiels avec l’accroissement du nombre de Québécois prestataires de rentes de retraite.
La poursuite de cette diversification a permis de faire exactement ce que les déposants attendaient de la Caisse : produire le rendement requis sans accroître le risque.
Certes, aucune diversification ne met à l’abri d’un écrasement simultané de tous les marchés, dans tous les secteurs et dans toutes les régions du monde, comme cela s’est produit en octobre dernier. La Caisse n’a pu se mettre à l’abri, pas plus que d’autres investisseurs, d’ailleurs.
Des investissements au Québec plus importants que jamais.
J’ouvre une parenthèse : les résultats de la Caisse n’ont pas été obtenus au détriment de sa contribution au développement économique du Québec. Loin de là.
J’insiste là-dessus : la Caisse joue aujourd’hui un rôle plus important que jamais dans l’économie du Québec.
J’entends parfois dire qu’on aurait modifié la mission de la Caisse pour privilégier le rendement au détriment du développement économique du Québec.
D’abord une mise au point. Quelle est donc cette mission? Depuis 2004, la Loi de la Caisse énonce ceci : « La Caisse a pour mission de recevoir des sommes en dépôt conformément à la loi et de les gérer en recherchant le rendement optimal du capital des déposants dans le respect de leur politique de placement tout en contribuant au développement économique du Québec. »
Ce qui est nouveau, c’est que pour la première fois depuis sa création, la Caisse a une mission écrite clairement dans sa loi.
Vous pouvez remonter jusqu’en 1965, lire toutes les éditions de la Loi de la Caisse, vous n’y trouverez pas le moindre énoncé de mission. La fameuse double mission de la Caisse provient de l’interprétation d’un discours que le Premier ministre Jean Lesage a prononcé à l’Assemblée législative en 1965. Monsieur Paul Gérin-Lajoie, qui est avec nous ce midi et que je salue chaleureusement, s’en rappelle sûrement. Certes Jean Lesage a dit que la Caisse devait être envisagée comme un instrument de croissance.
Mais il a aussi dit ceci, et je le cite : « Encore ne faut-il pas entretenir d’illusions sur l’usage qui doit être fait de la Caisse. En particulier, on aurait tort de croire que cet instrument doit servir à financer, dans n’importe quelle condition, des projets économiques ou sociaux si essentiels soient-ils. La Caisse n’est pas destinée à subventionner le gouvernement, les municipalités, les commissions scolaires ou les entreprises. […] Elle doit pouvoir satisfaire à la fois des critères de rentabilité convenable et rendre disponibles des fonds pour le développement à long terme du Québec. »[1]
Plus la Caisse est performante, plus elle peut « rendre disponibles des fonds pour le développement à long terme du Québec ». Prenez le chiffre que vous voulez. Celui qui importe est la valeur totale des investissements de la Caisse au Québec.
De 2002 à 2006, la valeur des investissements de la Caisse dans les entreprises du Québec a progressé plus de deux fois plus rapidement que le PIB du Québec. À la fin de 2007, elle détenait près de 37 milliards d’actifs au Québec – 20 milliards d’obligations des secteurs public et privé, et 17 milliards répartis entre des actions dans des entreprises québécoises cotées en Bourse, environ 600 immeubles et des placements dans quelque 500 entreprises privées. C’est considérable.
Ce qui compte dans ce débat, c’est l’importance de la Caisse dans l’économie du Québec; pas l’importance du Québec dans les investissements de la Caisse. Je le répète : ce qui compte, c’est l’importance de la Caisse dans l’économie du Québec; pas l’importance du Québec dans les investissements de la Caisse.
Autrement dit, plus la Caisse grossit, plus elle peut investir au Québec même si ses investissements représentent une proportion moins grande de ses investissements totaux.
En fait, l’actif québécois de la Caisse en 2007 était supérieur de 13,2 milliards à ce qu’il aurait été si la Caisse s’était contentée de calquer les indices. Autrement dit, la Caisse est fortement surpondérée en actifs québécois, ce qu’elle peut faire grâce à ses succès à l’étranger. Il faut se le dire et le répéter. La Caisse est québécoise et elle investit considérablement au Québec.

Mai 2008 : des marchés financiers fonctionnels
Parlons maintenant de mon départ de la Caisse.
J’ai quitté la présidence de la Caisse le 30 mai 2008. J’avais complété un mandat de cinq ans prévu à la nouvelle Loi de la Caisse; le cycle de divulgation et de reddition de comptes de 2007 était aussi complété. Dans le cycle annuel de la Caisse, le printemps est le moment le plus approprié pour effectuer la transition entre deux chefs de la direction. Tous les chefs de la direction de la Caisse depuis Jean Campeau ont quitté leurs fonctions au printemps.
Quel était l’état des grands dossiers de la Caisse à ce moment-là? D’un côté, le plan stratégique de trois ans était complété; de l’autre, la restructuration des PCAA était essentiellement terminée, sous réserve de l’approbation du tribunal. D’ailleurs, tout en laissant la direction de la Caisse, j’ai accepté de rester comme conseiller spécifiquement sur ce dossier des PCAA, jusqu’en août 2008.
L’environnement financier se prêtait aussi à un changement à la direction. Les marchés se stabilisaient. La plupart des experts s’attendaient à un ralentissement nord-américain, mais aucunement à la crise qui s’est déchaînée dans le sillage de la faillite de Lehman Brothers à la mi-septembre. À compter du printemps 2008, les banques centrales effectuèrent une pause dans les baisses de taux, indiquant leur attente d’une reprise de l’activité économique.
Au printemps 2008, un large consensus existait à l’effet que le pire était passé, et que les marchés financiers avaient retrouvé une certaine sérénité.
Je ne suis donc pas parti « en pleine tempête ». Encore moins pour fuir le genre de tempête qui s’est déclenché en octobre 2008. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas de ceux qui se défilent devant leurs obligations. Par exemple, en août 2007, je me suis retroussé les manches et j’ai pris mes responsabilités dans le dossier des PCAA.
L’histoire financière de 2008, à la Caisse comme ailleurs, s’est écrite pour l’essentiel cinq mois après mon départ de l’institution. Ce n’est pas me soustraire à ma responsabilité que de rappeler ce fait.
Vers la sortie de crise
Pour conclure, je veux partager avec vous deux convictions.
La première, c’est qu’on va sortir de cette crise. La seconde, c’est que la Caisse est bien positionnée pour l’avenir.
Les autorités du Canada et des autres pays industrialisés ont pris les bonnes décisions fiscales et monétaires pour nous sortir de cette crise.
Le Canada est bien positionné pour être un des premiers à sortir de cette crise. Nos banques et notre système financier sont sains. Contrairement à d’autres pays, jusqu’à maintenant nos gouvernements n’ont pas eu à injecter un seul dollar dans le capital de nos institutions financières. De plus nos finances publiques font l’envie des autres pays; nos avantages comparés sont toujours là en termes de main-d’oeuvre, de technologie et d’un taux de change favorable.
Au Canada comme ailleurs dans le monde, la liquidité est abondante, mais elle attend. Elle attend la reprise alors que de nombreuses entreprises des secteurs manufacturier, immobilier, des services et des ressources naturelles ne réussissent pas à refinancer à long terme leur dette venue à échéance. Ils sont contraints de retarder leurs projets d’investissement parce que même si le coût du crédit n’est pas élevé, il y a peu d’appétit pour le financement à long terme. Il ne faudrait pas que le gel de la liquidité qui a frappé le PCAA en août 2007 s’étende au financement des entreprises.
Je considère que l’ouverture faite par la Banque du Canada le 23 février, ainsi que les gestes posés récemment par les autres banques centrales, qui achètent directement ou indirectement des créances du secteur privé, indiquent qu’on peut espérer une relance des marchés du crédit aux entreprises, au Canada comme ailleurs dans le monde.
Ma seconde conviction, c’est que la Caisse demeure une institution de premier plan, capable d’affronter la crise actuelle.
Cette conviction repose sur trois éléments. :
• Le premier c’est que la Caisse est en bien meilleur état que l’on semble le croire généralement. Sa performance de 2003 à 2007 lui a permis de doubler sa taille de 77 milliards à 155 milliards et d’accumuler un coussin de 15 milliards de dollars par rapport à sa performance historique de troisième quartile.
• Le deuxième, c’est que les actifs de la Caisse sont de très bonne qualité. Ils ont été fortement dépréciés en raison des règles comptables et de la crise financière mondiale. La Caisse dispose de 22,4 milliards de dollars de provisions pour faire face à l’avenir. De plus, ses revenus courants sont élevés et robustes à hauteur de près de 6 milliard de dollars en 2008, un niveau comparable à l’année précédente.
• Le troisième, c’est que la Caisse est bien positionnée pour faire face à la crise et en ressortir plus forte. Vu de l’extérieur, je comprends que la Caisse a effectué une gestion proactive de la crise mondiale : elle a rapidement déterminé que la crise de l’automne pouvait perdurer. En abaissant davantage sa pondération en actions, elle a choisi de protéger le capital des déposants au lieu de privilégier le rendement à court terme. La Caisse a la chance de compter sur des employés, des gestionnaires et des dirigeants d’une compétence remarquable. Ce sont les mêmes équipes qui ont produit la performance de 2003 à 2007. D’ailleurs, en excluant les provisions non matérialisées sur le PCAA, le rendement de la Caisse sur cinq ans demeure très près du premier quartile.
À l’appui de ma conviction, je vous rappelle que pas plus tard que vendredi dernier Moody’s, à la suite de DBRS, a confirmé la cote AAA de la Caisse.
Quand il est question d’enjeux économiques et financiers, il faut toujours se rappeler qu’en dernière analyse, il est question d’individus, de leur famille et de leur droit de vivre en sécurité tout en recherchant des occasions d’épanouissement. Derrières les chiffres, il y a des visages humains, des espoirs et des rêves. Ceux et celles qui ont le privilège de travailler à la Caisse ont toujours mis cette réalité au coeur de leur action pour édifier la Caisse jour après jour.
Il ne me reste plus qu’à souhaiter au président du conseil, M. Robert Tessier, à M. Fernand Perreault, au chef de la direction qui lui succédera et à l’ensemble des employés, tout le succès que les Québécois attendent de cette grande institution, leur grande institution.
Je vous remercie.
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[1] « Notes du discours de Jean Lesage prononcé en Chambre le 9 juin 1965 lors de la présentation en deuxième lecture de la Loi de la Caisse de dépôt et placement du Québec », cité dans Pelletier, Mario, La Machine à milliards, l’histoire de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Montréal, Québec / Amérique, 1989, p. 292-293.


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