Des élections s'en viennent.

La caisse électorale du PLQ et l'affaire Tomassi

Un geste d'intégrité que le PLQ ne posera pas

Tribune libre

Alors que le premier ministre Jean Charest fait la manchette sur son supposé Plan Nord, il se prépare aux élections avec une caisse électorale qui pue. On en vient à oublier le scandale Tomassi qui disparait dans le bourbier judiciaire. Déjà en janvier 2012, les avocats de l'ex-ministre obtenaient que la cause soit reportée au 6 mars 2012. Depuis le tribunal a accordé un autre délai jusqu’en juin 2012. Au 1ier avril 2012, les poursuites criminelles contre Coretti se font étonnement attendre.
Le 14 novembre 2011, après un long délai de plus de 18 mois, le Directeur des poursuites criminelles et pénales dépose trois chefs d'accusations contre Tony Tomassi. Les deux premiers découlent des alinéas (1) c) (3) et (1) a) (3) de l'article 121 du Code criminel (L .R.C. (1985), ch. C-46): deux inculpations de fraude envers le gouvernement; le troisième résulte de l'article 123: une poursuite pour abus de confiance par un fonctionnaire public. Ces crimes présumés auraient été commis entre le 1ier juillet 2006 et le 6 mai 2010. Chaque délit, si Tony Tomassi est reconnu coupable, peut entraîner une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement.
En termes clairs, le procureur général du Québec laisse entendre que l’ex-ministre aurait reçu un bénéfice, soit l’utilisation d’une carte de crédit de la compagnie Bureau Canadien d’investigation et d’ajustement (BCIA) et son propriétaire Luigi Coretti, en vue « d’un exercice d’influence ou d’un acte d’omission concernant la conclusion d’affaires avec le gouvernement ou un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement ». Si on limite cet abus de confiance seulement à l’affaire BCIA, les possibilités d’influencer le gouvernement pourraient toucher autant le financement du Parti Libéral du Québec (PLQ) par BCIA que le fonctionnement même du gouvernement, soit l’octroi de contrats gouvernementaux à BCIA entre le 1ier juillet 2006 et le 6 mai 2010.
Sans attendre les conclusions du procès de Tomassi, le 6 mai 2010, Jean Charest a expulsé l’ex-ministre Tomassi du PLQ alors qu’il le défendait depuis des mois. Depuis ce temps, le député siège comme indépendant à l’Assemblée nationale. Il ne cache pas qu’il désire revenir au PLQ. Le 20 février2012, son père Donato affirme à la Presse Canadienne qu’il a ramassé des millions de $ comme collecteur de fonds pour le PLQ et clame que son fils n’a commis que « des petites erreurs ».
Entre 2006 et 2010, Tony Tomassi, son père, sa mère et son épouse, Clementina Teti-Tomassi, ont donné au PLQ des contributions au montant total de 24 000 $.
L’affaire Tomassi et BCIA est troublante et importante par toutes ses ramifications dans lesquelles des personnalités, tant de la sphère politique que du monde des affaires, sont éclaboussées.
Au printemps 2008, le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis et son chef de cabinet, Jocelyn Turcotte, rencontrent, à tour de rôle, Luigi Coretti qui leur demande de l’aide pour avoir un permis de port d’arme. C’est après le refus répété de la Sûreté du Québec, que Coretti s’est tourné vers son ami Tony Tomassi afin d’avoir une entrevue avec le ministre de la Sécurité publique du Québec. Finalement, Coretti se voit accorder un permis temporaire, renouvelable à tous les trois mois (La Presse, le 7 mai 2010).
La Presse du 12 avril 2010 affirme que le directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), André Delorme, a eu des contacts personnels avec Coretti, avant et après sa première nomination en 2005. La journaliste Michèle Ouimet, encore dans La Presse du 28 avril 2010, rapporte l’achat par BCIA d’actifs de la compagnie Unique en 2006. BCIA se retrouve ainsi avec le contrat avec le SPVM (Unique assurait la sécurité du quartier général de la SPVM) et André Delorme décide de le prolonger, sans appel d’offres, jusqu’en décembre 2008. Le 3 mai 2010, Delorme annonce sa retraite alors, quelques semaines plus tôt, le gouvernement Charest venait de le reconduire pour un deuxième mandat. Il affirme qu’il est victime d’une campagne de diffamation, ce qui expliquerait, en partie, son départ.
Entre 2008 et 2009, Investissement Québec (IQ) et le Mouvement Desjardins misent plus de 16 millions dans BCIA sans vérifier les états financiers remis par l’entrepreneur Luigi Coretti, qui avait déjà connu deux faillites en 1990 et 1997 (Louise Ouimet, La Presse, 29 avril 2009). C’est par ses Fonds d’intervention économique régional (FIER) qu’IQ Fier finance BCIA pour la somme de 4 millions $ (TVA-Argent, 21 mai 2010) en se basant sur des états financiers non vérifiés, pratique contraire à la norme. Nous retrouvons des libéraux notoires dans cette nouvelle structure d’investissement mise en place par le gouvernement libéral. Jean-Sébastien Lamoureux, ancien député libéral d’Anjou, obligé de démissionner trois ans après sa victoire électorale en 1998, entachée par des irrégularités de son organisation, sanctionnées par la Cour du Québec, est désigné à la tête d’IQ Fier dont le mandat principal consiste à superviser la création et l’organisation des FIER au Québec. Quatre FIER sont impliqués dans ce financement de BCIA: FIER Boréal 02 du Saguenay-Lac Saint-Jean, FIER Ville-Marie de Laval, FIER de Sherbrooke et du Fier CPVC Montréal. En 2005, IQ FIER crée le FIER Boréal 02 dans lequel Gilbert Grimard et Pietro Perrino sont nommés administrateurs. En juin 2006, Valier Boivin devient président du FIER Ville-Marie de Laval et Pietro Perrino entre au conseil d’administration.
Ces personnes ne cachent pas leur allégeance au PLQ et Perrino est un familier de Jean Charest. Ils y militent et sont des donateurs. Entre 2006 et 2010, Pietro Perrino a fait des contributions de 2 300 $, Valier Boivin a donné un total de 1 500 $ et Gilbert Grimard se montre le plus généreux, en contribuant pour plus de 11 330 $ à la caisse du parti. Pendant cette même période, Coretti et son épouse ont fait des contributions totales de 10 000 $ au PLQ.
Quant au Mouvement Desjardins, il fait preuve de la même négligence en versant environ 12,4 millions $. Il devra s’expliquer devant ses membres. Finalement la compagnie MMV Financial, dont la Caisse de dépôt et placements du Québec et le Fonds de Solidarité des travailleurs de la FTQ, sont les deuxième et troisième actionnaires en importance, a déjà récupéré 2,2 millions $ des 2,6 millions $ investis.
En février 2010, suite à un rapport interne, Jean-Sébastien Lamoureux quittera en douce la direction d’IQ FIER. Desjardins et Investissement Québec ont déposé, le 27 septembre 2010 une plainte criminelle contre BCIA à la Sûreté du Québec. Les analystes financiers croient qu’ils ne pourront pas récupérer leurs investissements.
BCIA a aussi bénéficié d’un autre type d’investissement. En 2008, Coretti aurait emprunté à l’homme d’affaires Bunkorn Yun une somme de 150 000$ à un taux annuel de 68 % (La Presse, 6 juillet 2010). Toujours selon l’article de Vailles, Yun serait étroitement lié à la firme KL services financiers. Cette compagnie gère des bureaux de change et des centres d'encaissement de chèques. Depuis de nombreuses années, Bunkorn Yun était membre de L’exécutif national du PLQ et représentait les communautés culturelles. Le 12 mai 2010, quelques jours après l’expulsion de Tomassi, le PLQ a demandé sa démission de l’exécutif national et, depuis, il a été suspendu du parti. Yun est aussi un généreux donateur au PLQ; de 2006 à 2010, il a fait des contributions totales de 4 855 $.
Sans présumer du verdict dans l’affaire Tony Tomassi, mais compte tenu, d’une part, des accusations qui ont été portées et d’autre part, le fait que le Directeur des poursuites criminelles et pénales s’apprête va déposer des accusations criminelles contre Luigi Corettti, le PLQ se doit de poser un geste qui dépasse la simple expulsion du parti des présumés contrevenants.
Certains diront que le Directeur Général des Élections du Québec (DGÉQ) a déjà blanchi Luigi Coretti et Tony Tomassi. Le mandat d’enquête était très limité : le DGÉQ a seulement étudié la possibilité d’utilisation de prête-noms par BCIA dans le but de contribuer à la caisse électorale du PLQ. Le financement direct par les donateurs ne faisait pas partie de son investigation.
Le financement du PLQ est déjà entaché par l’affaire des garderies. Lors des discussions à l’Assemblée nationale portant sur la mesure de censure de l’opposition officielle, Nicolas Girard du Parti Québécois (PQ) estimait que 25 garderies avaient été accordées aux donateurs libéraux qui avaient versé 300 000 $ à la caisse du PLQ (Le Devoir, 8 décembre 2011). Il semble bien que cet autre scandale ne fera pas l’objet d’une enquête policière.
En attendant les verdicts, il faut que le PLQ crée un fonds en fidéicommis dans lequel se retrouvera l’ensemble des contributions reçues des personnalités mêlées, entre le 1ier juillet 2006 et la fin du procès de Tony Tomassi) à la compagnie BCIA.
Pour dissiper tout doute quant à sa volonté de se dissocier des actions supposément frauduleuses de son ex-député, le PLQ doit poser un tel geste. Depuis 2002, le financement du PLQ s’est accru par l’augmentation importante des dons de plus de 1 000 $ et PLUS. Dans mon étude sur le financement du PLQ en 2008 parue sur le site Vigile (http://www.vigile.net/Le-financement-par-dons-du-PLQ-en),je démontrais que la catégorie des contributions de 1 000 $ et PLUS atteignait son sommet en 2008, soit 3120 donateurs par rapport à seulement 1 668 en 2002.
En 2002, les contributions 1 000 $ et PLUS représentaient 45 % du montant total (6,3 millions $), alors qu’en 2008, cette proportion passait à 61,1 % du montant total. Depuis 2003, dans la région de Montréal, Tony Tomassi et sa grande amie Filomena Rotiroti, nouvelle députée de Jeanne-Mance-Viger en 2008, étaient les grands collecteurs d’argent. Dès le début des années 2000, ils ont créé un réseau de donateurs issus principalement du domaine de la construction et des firmes d’ingénierie. Ces dernières ont été dénoncées par le député Amir Khadir pour l’utilisation de prête-noms dans le financement du PLQ et plus spécifiquement les contributions de 3 000 $. En août 2010, le Groupe Axor a plaidé coupable d'avoir fait usage, en 2008, de prête-noms afin de faire des dons aux trois principaux partis politiques du Québec (Le Devoir, 6 août 2010). Le PLQ a reçu 75 % de ces contributions illégales.
Si le PLQ ne pose pas un geste significatif, nous serons face à un vrai scandale. Le PLQ ne peut pas aller en élections après avoir encaissé et utilisé des contributions des donateurs liés à l’affaire BCIA. Si le PLQ s’est permis d’expulser de son parti Tony Tomassi avant qu’il ne soit jugé et mis dehors Bunkorn Yun de l’exécutif du parti, le PLQ doit logiquement refuser tous les dons des personnes ciblées et leur entourage, et toutes les personnalités, mêlées au fonctionnement et au financement de BCIA, entre le 1ier juillet 2006 et la fin du procès de Tony Tomassi.




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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    2 avril 2012

    Monsieur Archambault, il s'agissait d'Yvan Delorme et non d'André Delorme.