La BNQ à l'ère de Google

Suivi de "BAnQ ne prend pas les mauvais conseils", réplique de Lise Bissonnette

17. Actualité archives 2007

La Bibliothèque nationale du Québec (BNQ) à Montréal est une incontestable réussite. Comme les autres grandes bibliothèques, elle rassemble par pur plaisir des centaines de personnes autour des livres, des journaux et des revues et, finalement, des ordinateurs ouverts au multimédia et au réseau Internet. [...]
Toutefois, il faut maintenant poser une question toute simple: quelle sera la prochaine étape? Comment notre bibliothèque nationale pourrait-elle favoriser la diffusion universelle de ses collections? Comment serait-il possible qu'elle mette rapidement et efficacement ses livres à la portée de tous les lecteurs du monde branchés sur Internet? Facile. Il lui suffit se joindre aux 13 bibliothèques qui sont aujourd'hui partenaires de la compagnie Google dans le cadre du projet intitulé «Recherche de livres». Gratuitement et en un rien de temps, tous les livres de notre bibliothèque nationale qui sont du domaine public se trouveraient à la portée de ceux qui veulent les consulter ou les utiliser sur la Toile.
Le programme «Recherche de livres» de Google comprend deux volets. Le premier est un regroupement d'éditeurs qui annoncent leurs livres, en proposent des extraits, voire en laissent consulter quelques pages ou même les textes au complet. À ce jour, plus de 10 000 éditeurs participent à ce projet. Chaque éditeur choisit à sa guise les ouvrages qu'il propose et, pour chacun de ces ouvrages, le mode de consultation. Il n'y a aucun contrat d'exclusivité et l'éditeur peut se retirer du programme en tout temps. Cela étant, 10 000 éditeurs, ça fait déjà pas mal de livres.
Or le second volet du programme «Recherche de livres» compte actuellement 13 bibliothèques partenaires extrêmement prestigieuses qui contribuent à la bibliothèque électronique de Google en y déposant chacune entre 100 000 et quelques millions de livres. Il s'agit d'ouvrages du domaine public qui sont ainsi mis gratuitement à la portée d'Internet. Et gratuitement n'est pas le mot, car c'est Google qui assume les frais de mise en place, alors que les bibliothèques partenaires, comme les éditeurs, peuvent présenter, sur leur propre site Internet, les fichiers scannés par cette entreprise californienne. Comme dit ma mère, à ce prix-là, tu ne peux pas t'en passer.
Les cinq premières bibliothèques à participer au projet de Google ont été la très prestigieuse Bodleian Library d'Oxford, en Grande-Bretagne, et les bibliothèques de la ville de New York et des universités Harvard, Stanford et du Michigan, aux États-Unis. Parmi les 13 bibliothèques partenaires de Google, on compte maintenant la Bibliothèque nationale de la Catalogne, première du genre à faire son entrée dans le projet, et la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne, première bibliothèque de langue française à participer à ce projet. Notre BNQ pourrait donc être la première à rassembler modestement les deux titres, la première bibliothèque nationale d'expression française à participer au programme.
Malheureusement, il semble bien que notre bibliothèque soit piégée dans le clan rétrograde de la République française. En effet, le programme de Google a été entrepris vers 2000 et lancé officiellement à la fin de 2004. Dès ce moment, la République française s'est elle-même lancée dans une croisade hallucinante pour contrer ce projet «impérialiste» au service de «l'hégémonie culturelle mondiale des États-Unis pour les générations futures» qui «risque de s'imposer aux dépens de l'héritage de siècles de sages réflexions». Les États-Unis auraient ainsi pour objectif d'imposer un «idiome simplifié» comparable au «grec abâtardi», etc. Heureusement, la France est là pour sauver la civilisation.
Ce discours paranoïaque est celui de la République française. Le président d'alors, Jacques Chirac, le ministre de la Culture et de la Communication, Renaud Donnedieu de Vabres, et le président de la Bibliothèque nationale de France, Jean-Noël Jeanneney, étaient tous impliqués dans ce délire. Leur discours maladif a été relayé par tous les grands journaux français. Il s'ensuit, évidemment, que de nombreuses actions judiciaires ont été lancées contre Google, dont la plus célèbre est celle du Groupe La Martinière, appuyée par le Syndicat national de l'édition de la République française.
Le résultat de tout cela? Un petit pet informatique intitulé de manière très appropriée Europeana. La République française se proposait de jouer les matamores en réunissant 19 «très grandes bibliothèques» européennes pour écraser l'Amérique. Finalement, elle n'a pu embrigader que deux bibliothèques nationales, celles de la Hongrie et du Portugal. Et le résultat mathématique est bien simple puisqu'il compte tout au plus 12 000 ouvrages. Le projet de Google comprend aujourd'hui des centaines de milliers d'ouvrages, et la question est de savoir quand il passera le cap de son premier million.
Pour la Bibliothèque nationale du Québec, la question est donc fort simple: veut-elle jouer dans la cour des grands ou s'amuser dans la petite ligue mineure dirigée par la République française? Veut-elle refléter ce qu'elle est, une grande bibliothèque d'Amérique, ou cautionner le discours nationaliste, patriotard et chauvin, clairement anti-états-unien et proche du racisme, de la République française?
Comme dit ma mère, il y a des prix, même tout petits, que tu ne veux pas payer.
Mais après tout, peu importe les projets de la BNQ. L'important, me semble-t-il, serait de ne pas laisser passer la chance de participer au projet «Recherche de livres» de Google, qui ne lui coûterait rien et lui rapporterait beaucoup.
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Guy Laflèche, Professeur au département des littératures de langue française de l'Université de Montréal
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RÉPLIQUE
BAnQ ne prend pas les mauvais conseils
Lise Bissonnette
Le Devoir jeudi, 8 novembre 2007
Sur les conseils de sa maman qu'il cite à répétition (Le Devoir, 2 novembre 2007, «La BNQ à l'ère de Google»), un professeur au département des littératures de langue française de l'Université de Montréal nous reproche de ne pas nous joindre aux quelques bibliothèques universitaires et patrimoniales qui ont accepté de confier la numérisation de leurs livres anciens au géant américain Google. Guy Laflèche a tout faux en ces matières qui ne sont visiblement pas les siennes; j'invite ici sa maman à lui donner de nouveaux et plus judicieux conseils.
À commencer par la précaution élémentaire de regarder avant de traverser la rue. Il veut se rendre chez nous mais ne connaît même pas notre nom, sans doute le dernier littéraire au Québec à ignorer que la BNQ n'existe plus depuis deux ans. C'est dire avec quelle assiduité il fréquente BAnQ, l'institution qu'il veut chicaner, pourtant partenaire de tous les réseaux qui devraient être les siens.
Sa maman aurait pu aussi lui dire de se méfier des inconnus, ce que Google est pour lui. Le roman qu'il raconte aux lecteurs du Devoir à propos de la générosité du moteur de recherche américain mérite le prix du conte de fées. Google, dit-il sommairement, numérise gratuitement tous les livres des bibliothèques participantes et pousse la générosité jusqu'à leur permettre de mettre en ligne sur leur propre site les fichiers ainsi «scannés» (le terme anglais est de lui).
Que dirait-on si le Musée national des beaux-arts du Québec, dépositaire de nos richesses artistiques nationales, annonçait demain qu'il vient de remettre les droits exclusifs de diffusion et d'utilisation de ses collections à une société privée américaine et qu'il n'est désormais autorisé qu'à les exposer en ses murs? C'est exactement ce que M. Laflèche nous propose en ignorant tout des règles qu'impose Google.
Les fichiers numérisés demeurent en effet la propriété du moteur américain, qui exige d'en devenir l'unique diffuseur commercial, d'en bloquer l'accès à d'autres moteurs de recherche et d'ériger diverses barrières à la circulation des fichiers, qui sont pourtant des biens collectifs. C'est pourquoi, parmi les centaines de bibliothèques nationales du monde, une seule, en Catalogne, a curieusement accepté de remettre ainsi à un acteur privé la propriété virtuelle de collections qui sont des patrimoines nationaux rassemblés au cours des siècles par des fonds publics. La diffusion virtuelle de ces collections est certes l'avenir, il est impensable d'en remettre la propriété à une firme commerciale qui imposerait ses règles à l'entrée. La maman de M. Laflèche aurait dû lui conseiller également de bien examiner les bonbons que lui proposent des inconnus: il leur arrive d'être empoisonnés.
Elle aurait pu aussi lui prescrire de bien choisir ses petits copains. Tout en nous mettant en cause, le professeur s'en prend surtout à ce qu'il appelle «le clan rétrograde de la République française», envers lequel il n'a pas de mots assez violents pour dénoncer ce qu'il présente comme une croisade solitaire contre le richissime Google qu'il rêve tant de fréquenter. Or, plus tôt cette année, certaines des plus grandes bibliothèques et institutions américaines - Boston Public Library, Smithsonian Institution et un consortium de 19 prestigieuses bibliothèques universitaires et de recherche de la Nouvelle-Angleterre - ont annoncé qu'elles refusaient l'offre de Google et qu'elles exploraient ensemble des solutions coopératives sans restrictions d'accès, comme celle qu'offre Open Content Alliance, quitte à payer pour numériser leurs fichiers.
Après avoir brièvement flirté avec Google, la très prestigieuse Bibliothèque du Congrès, la plus importante bibliothèque nationale du monde, vient de lancer un projet alternatif avec l'UNESCO, auquel participent d'autres grandes bibliothèques nationales et la célèbre bibliothèque d'Alexandrie. Cela fait bien du monde, hors l'Hexagone, à adopter ce que M. Laflèche appelle un «discours paranoïaque» ou encore «patriotard et chauvin, clairement anti-états-unien et proche du racisme», excusez du peu. Sa maman aurait vraiment dû exiger qu'il apprenne ses leçons avant de tenter de les enseigner.
Nous sommes donc de ce «clan» très large, non seulement européen mais nord-américain et états-unien, plus divers désormais que celui de Google. Les collections de BAnQ, comme semble aussi l'ignorer notre imprécateur, ce ne sont pas que des livres. Ce sont entre autres des journaux et des périodiques, des cartes et des plans, des archives historiques et littéraires, des enregistrements sonores, des manuscrits, des films, un immense tout cohérent qui se présente et se présentera virtuellement dans son entièreté et sa continuité.
Nous n'avons aucune raison d'en extraire les livres pour en confier la présentation à autrui. Nous avons déjà numérisé des millions de fichiers, ils sont disponibles sur notre portail, fréquenté par des centaines de milliers de visiteurs chaque mois, et nous en numériserons encore des millions. Nous sommes parmi les fondateurs du Réseau francophone des bibliothèques nationales numériques et nous y préparons, au Québec, le prototype du futur Portail commun. Avec Bibliothèque et Archives Canada, autre institution de renommée mondiale et autre résistante à Google, nous travaillons à une solution coopérative ouverte et totalement accessible aussi, plusieurs universités canadiennes sont partie prenante de ce développement. Et nous suivons de très près la Bibliothèque Europeana promue par la Bibliothèque nationale de France, qui comptera bientôt 100 000 ouvrages et non 12 000 comme le prétend M. Laflèche.
L'ignorance de ce professeur nous sidère. Mais sa crise antifrançaise, si furieuse qu'elle va jusqu'à l'expression scatologique, nous mystifie encore plus. Sa maman nous dira-t-elle de quelle profondeur surgit ce malaise? Ou devrons-nous conclure, devant une telle série de faux pas, que M. Laflèche a été mal élevé?
Lise Bissonnette : Présidente-directrice générale, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ)
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Guy Laflèche, Professeur au département des littératures de langue française de l'Université de Montréal





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