L'Union européenne ou le canard sans tête

Crise mondiale — crise financière



La crise a mis en évidence une réalité que peinent à reconnaître la plupart des commentateurs et des dirigeants politiques : l’UE n’existe plus ! Entendons-nous : l’UE comme système d’institutions politiques, comme machine à produire des règlements, directives et autres remontrances existe toujours. Barroso, l’ineffable Barroso, le nullissime Barroso est toujours en place et on annonce sa reconduction par l’accord du PPE et du PSE, la « grande coalition » de la « droite » et de la « gauche » qui domine le pseudo-parlement de Strasbourg (nommé ainsi car il se réunit la moitié du temps à Bruxelles). Mais l’UE comme projet politique un tant soit peu consistant, comme projet fédérateur des libéraux, des sociaux-démocrates et des démocrates chrétiens, cette « Europe »-là est morte. Les canards à qui on a coupé la tête peuvent encore courir quelque temps. L’UE est un canard sans tête.
Depuis que la crise est ouverte, en effet, l’UE a fait preuve de son impuissance totale. Elle n’a pris aucune décision, n’a pas été capable d’élaborer une stratégie de lutte contre la récession et le chômage. La présidence française a été une opération de « com », réussie nous dit-on, essentiellement grâce à la complaisance d’une presse aux ordres toujours prête à faire des communiqués issus de l’Élysée la vérité du jour. Mais pour les questions sérieuses, la présidence Sarkozy a été un bide total. N’en accusons pas Sarkozy : il a tenté de donner le change, mais face à la crise il a dû constater, comme tout le monde, que les seules réalités existantes restent les États-nations qui agissent chacun selon son propre naturel et se moquent comme d’une guigne des déclarations « européennes » aussi creuses que prétentieuses. Aux propositions d’action concertée du président français, « Jedem seine Scheisse », répond Angela Merkel avec la franchise et le sens du réel qui la caractérise. Et depuis, rien ne s’est passé. Chaque pays a pris ses dispositions, sauvé « ses » banques, multiplié les déficits et enterré la discipline budgétaire de Maastricht sans le moindre remord. Trichet, de temps à autre, fait de timides objections, mais il obtempère. Les prêts aux banques du gouvernement français, sa politique de renflouement de l’automobile, sont de la création monétaire sauvage : à Paris on fait tourner la planche à euros en faisant comme si la BCE n’existait pas ! Et Berlin en fait autant. Londres qui n’est pas tenu pas la discipline de l’euro fait bande à part. Les pays d’Europe centrale et orientale, bons élèves d’hier sont virtuellement en faillite et passent sous la tutelle du FMI qui impose, comme d’habitude, ses fameux « plans de stabilisation » directement inspirés des médications des charlatans brocardés par Molière : saignons, saignons ! Sous l’autorité de Strauss-Kahn, représentant archétypique de cette véritable droite impitoyable qu’est devenue la social-démocratie, on impose les réductions d’effectifs dans la fonction publique et les baisses des salaires des fonctionnaires. Strauss-Kahn en disciple de Laval.
De temps en temps on réunit un « G » quelque chose : un petit spectacle un peu ridicule où l’on additionne les mesures des uns et des autres qu’on fait passer pour une politique commune. Mais ni Sarkozy, ni Brown, ni Merkel, ni Berlusconi ne font autre chose que de tenter de sauver les meubles chacun de leur côté. Les réunions internationales qui comptent ne se tiennent pas entre ceux-là. C’est le « G20 », parce qu’il se tient sous direction américaine et parce que là on a pris une vraie orientation : renflouement du système bancaire et tenter de continuer comme avant. Tout le reste et notamment le soi-disant triomphe des idées franco-allemandes n’est que de l’esbroufe destinée à alimenter la machine à propagande.
La deuxième réunion importante, c’est le sommet de l’OTAN et là encore il s’agit de réaffirmer le « leadership » des USA. La seule « Europe » existant réellement est l’OTAN. C’est évident pour quiconque réfléchit un peu à ce qu’est la politique en tant que séparation des affaires intérieures et affaires étrangères, délimitation des amis et ennemis. Depuis Maastricht (1992) est entériné le fait que la défense commune de l’Europe est l’OTAN (qui réduit d’ailleurs la prétendue neutralité de la Suède ou de l’Autriche à une pétition de principes). Quand la Tchéquie et la Pologne se portées candidates pour accueillir le nouveau bouclier antimissile américain, elles ont ouvertement proclamé que l’Europe n’était pas leur affaire – sauf pour le libre échange et les subventions. Entre la russophilie traditionnelle de la France et la russophobie (bien compréhensible historiquement) de la Pologne, il n’est guère de ligne commune possible.
C’est donc tout naturellement qu’Obama a pu « s’ingérer » brutalement dans les « affaires européennes » en réclamant l’intégration de la Turquie à l’UE. La Turquie, en effet, est un des piliers de l’OTAN et un allié sûr d’Israël dans cette région. Les Turcs sont musulmans comme la majorité des Arabes et comme les Iraniens, mais cette communauté religieuse n’a aucune réalité : les Turcs ne sont ni Arabes ni Perses, ils sont Turcs et tout cela montre une fois de plus que les idéologies et les affichages religieux ne peuvent effacer les réalités historiques sur la longue durée. Donc Obama, chef militaire de l’Europe, se sent autorisé à exiger que son allié turc intègre les instances de l’UE. Rien de plus normal. Ceux qui s’en étonnent devraient réfléchir à deux fois.
L’UE supranationale, contrepoids à la puissance américaine n’est donc qu’un mythe. Il est parfaitement vain d’espérer la réformer « de l’intérieur ». Peureusement les gouvernements d’Europe font bloc derrière l’ami américain pour tenter de prendre place dans le nouveau champ des relations internationales que laisse entrevoir la poussée des nouvelles puissances capitalistes – tant en Asie qu’en Amérique Latine. Les voiles idéologiques déchirés, ne reste que la réalité des forces étatiques et du bon vieux « concert des nations ». Réfléchir à partir de cette réalité, dessiner de nouvelles perspectives, internationalistes, c’est-à-dire fondées sur l’association de nations libres, il n’y a rien de plus urgent aujourd’hui.


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