L'opposition surprise et perplexe par la volte-face de Harper

«Notre succès est modeste»

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Afghanistan - une guerre masquée



Des soldats de la compagnie B du 22e Régiment installés dans une tranchée dans le district de Zhari en août 2007.
Photo: Martin Tremblay, archives La Presse

Malorie Beauchemin (Ottawa) «Jamais nous ne battrons les insurgés...» : l'aveu du premier ministre Stephen Harper sur la mission de combat en Afghanistan, à la veille du déploiement là-bas de 1 400 soldats québécois, a fait bondir l'opposition à Ottawa.
Dans une entrevue donnée au réseau américain CNN le lundi 23 février, mais qui n'a été diffusée que dimanche, M. Harper a estimé qu'il sera impossible pour les forces militaires internationales de vaincre l'insurrection talibane en Afghanistan.
Après avoir, depuis son arrivée au pouvoir en 2006, vanté les progrès réalisés sur le terrain par les troupes canadiennes, faisant même adopter en 2008 une résolution prolongeant la mission jusqu'en 2011, le premier ministre a ainsi créé une onde de choc sur la colline parlementaire. Mais si les députés se sont dits surpris de cette volte-face, au final, ils se sont réjouis de cette nouvelle clairvoyance, demandant maintenant des comptes au premier ministre quant à la suite des choses.
«Il change littéralement son fusil d'épaule. Je suis très satisfait d'entendre le premier ministre dire ça, a dit le député néo-démocrate d'Outremont, Thomas Mulcair. C'est quelque chose que le NPD affirme depuis fort longtemps, qu'avec la frontière ouverte de l'Afghanistan, on n'arrivera pas à venir à bout de la guerre contre les insurgés.»


Le NPD réclame la fin immédiate de l'engagement militaire canadien, au profit d'une mission qui serait davantage humanitaire et diplomatique.
«Si on sait d'avance, si le premier ministre est en train d'avouer que ça ne peut pas être gagné, pourquoi on envoie encore des soldats là-bas?» s'est inquiété M. Mulcair.
Selon lui, ces déclarations envoient un message contradictoire aux familles et proches des 1400 soldats de Valcartier qui doivent être déployés en Afghanistan dans les prochaines semaines.
À la Chambre des communes, les accusations ont fusé de toutes parts. «Lorsque le Bloc québécois remettait en question l'orientation de la mission, le premier ministre nous accusait d'être l'allié des terroristes, a tonné le chef bloquiste Gilles Duceppe. Le premier ministre peut-il nous expliquer aujourd'hui les raisons de sa volte-face?»
M. Harper a esquivé la question, se contentant d'affirmer que le Canada était «en Afghanistan pour entraîner les forces afghanes à assurer la sécurité de leur propre pays» et qu'il était «très fier» des efforts consentis par les militaires canadiens.
Le Bloc craint que le gouvernement conservateur ne tente actuellement d'entrouvrir la porte à un prolongement de la mission militaire après 2011, ce que tous les partis de l'opposition rejettent.
«Je lui ai posé la question s'il avait l'intention de demander à la Chambre de prolonger la mission. Il a refusé de répondre», a conclu avec inquiétude M. Duceppe à la sortie de la période de questions.
Si, dans l'entourage du premier ministre, on confirme que la mission de combat doit se terminer en 2011 comme prévu dans la résolution adoptée en 2008, M. Harper, lui, s'est bien gardé d'être catégorique, autant en entrevue à CNN qu'en répondant aux questions de ses adversaires.
«Notre gouvernement agit selon une résolution de cette Chambre», a-t-il dit, refusant de parler d'avenir.
Le député libéral Denis Coderre a rappelé que le premier ministre avait affirmé en 2006, devant les troupes canadiennes en Afghanistan, qu'il fallait d'abord « se débarrasser des rebelles » pour ensuite pouvoir se concentrer sur la reconstruction et le développement.
«Le premier ministre a encore changé sa version quant à la mission en Afghanistan, et il a été obligé de passer par les États-Unis pour qu'on l'apprenne, s'est insurgé M. Coderre, porte-parole libéral en matière de défense nationale. A-t-il informé nos troupes que leur devoir jusqu'en 2011 va être simplement de faire du temps?»
Le député montréalais estime que M. Harper devrait aller rencontrer sur le terrain les militaires canadiens pour clarifier la «nouvelle position» du gouvernement canadien.
Le Parti libéral a voté en 2008 en faveur du prolongement de l'engagement militaire jusqu'en 2011 et appuie le rapport Manley, qui suggérait une réorientation de la mission vers davantage de diplomatie et de formation des forces de sécurité afghane.
«Affirmer catégoriquement que nous ne vaincrons pas les insurgés sans dire quelle sera la stratégie, ce que nous ferons pour que cette mission soit cohérente, c'est franchement un peu étrange, a pour sa part souligné le critique libéral en affaires étrangères, Bob Rae. Ce qu'il manque en ce moment, c'est l'aspect diplomatique et les autres initiatives qui seront clairement nécessaires.»
Les partis de l'opposition ont estimé très curieux que l'entrevue de M. Harper à CNN ait été enregistrée seulement cinq jours après la visite du président américain Barack Obama à Ottawa, alors que les deux hommes ont affirmé ne pas avoir discuté d'un effort militaire supplémentaire du Canada en Afghanistan après 2011.
Pour le député néo-démocrate Thomas Mulcair, le premier ministre envoie ainsi le message à Barack Obama qu'il se distance de sa volonté de retirer les troupes américaines d'Irak pour mettre l'emphase sur l'Afghanistan.
«Espérons que le premier ministre accepte maintenant l'idée que nous pouvons être une force de paix», a renchéri le chef du NPD, Jack Layton.
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«Notre succès est modeste»

L'entrevue accordée par le premier ministre Stephen Harper à la chaîne américaine CNN a surpris plus d'un analyste.
Images tirées du site Internet de CNN

La Presse 3 mars 2009

Extraits de l'entretien entre Fareed Zakaria et Stephen Harper
Q: Fareed Zakaria: Il semble qu'il y a très peu de soutien au Canada pour une prolongation de la mission canadienne qui doit prendre fin en 2012, est-ce que je me trompe?
R: Stephen Harper: Oui, la mission prend fin en 2011. La question au Canada, Fareed, n'est pas de savoir si nous devons rester ou si nous devons partir. La question que se posent les Canadiens est: sommes-nous en train de réussir? Et...

Q: Comment répondez-vous à cela maintenant?
R: Présentement, nous avons fait des gains. Ces gains ne sont pas irréversibles. Notre succès est donc modeste.
Q: Pourquoi partir alors?
R: Nous ne remporterons pas cette guerre seulement en restant là. Nous ne... En fait, selon moi, Fareed, jamais nous ne battrons les insurgés. L'Afghanistan a probablement eu... ma lecture de l'histoire afghane nous dit que le pays a probablement toujours connu une forme d'insurrection. Nous devons avoir en Afghanistan un gouvernement afghan capable de contrôler les insurgés tout en améliorant sa gouvernance.
Q: Comme ça, nous ne battrons jamais les insurgés. Le mieux qu'on puisse faire, c'est d'entraîner les troupes afghanes pour prendre la relève, puis de nous retirer?
R: Exactement. Parce que je crois qu'une partie de ce calcul doit venir du fait que la source de l'autorité afghane doit émaner de la population elle-même. Si elle est perçue comme venant de l'étranger - même si je crois que nous sommes encore les bienvenus là-bas - il y aura toujours une opposition importante.


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